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Périr par surpopulation, vraiment ?

News des Mines

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30/04/2024

J’ai lu avec intérêt l’article qu’un de nos camarades a publié dans la News de février 2024 sous le titre « Crise de l’environnement et surpopulation : le débat interdit » ... J’adhère volontiers à une grande partie de ses analyses : la croissance de la population mondiale est bien sûr préoccupante au vu de la limitation de certaines ressources naturelles et au vu des atteintes à l’environnement. J’ajoute que dans de nombreuses métropoles, la surpopulation concourt à dégrader la qualité de la vie.

Il reste que l’article de notre camarade me semble appeler quelques compléments, voire quelques réserves. Au moins trois questions me semblent se poser :


  • Pourquoi avons-nous des enfants ?
  • Faut-il aller vers une dictature écologiste ?
  • Et à supposer qu’il convienne de diminuer le nombre d’enfants, à qui cette recommandation pourrait-elle s’adresser avec pertinence ?

 

Pourquoi avons-nous des enfants ?

Notre camarade dénonce comme tout premier facteur de la natalité excessive « le poids toujours si lourd […] des religions qui sont toutes natalistes par prosélytisme ». Certes, nous pouvons (par exemple) nous rappeler les paroles que Jéhovah a adressées à Adam et Ève : « Dieu les bénit, et Dieu leur dit : “Soyez féconds, multipliez, et remplissez la terre” »

Mais nous pouvons penser que les paroles de Dieu (ou les paroles prêtées à Dieu…) ne sont pas arbitraires. En fait, indépendamment de leur éventuelle transcendance, elles constituent aussi (et peut-être surtout) des prescriptions morales à l’utilité tout à fait immanente pour l’individu et la société… De quoi s’agit-il ? Je suis tenté d’essayer de répondre à cette question en reprenant le concept freudien de « pulsions de vie » … 

Il n’est pas nécessaire d’être un grand adepte de la psychanalyse pour reconnaître l’existence de « pulsions de vie », dont certaines sont essentiellement centrées sur le sujet considéré (les désirs d’autoconservation, d’accomplissement, de jouissance…), et dont d’autres sont plus altruistes (les pulsions amoureuses, les désirs de création, le désir de procréation…). 

Allons plus loin : Freud a opposé les pulsions de vie et la « pulsion de mort ». Cette dernière est très cachée et très étonnante, mais elle apparaît exister en chaque être humain et en chaque société : par son action souterraine, la pulsion de mort tend à ce que le sujet considéré aspire à perdre son identité, à s’auto-dissoudre, à s’autodétruire de façon masochiste (et si le sujet détourne la pulsion de mort de sa cible première, c’est-à-dire de lui-même, et s’il l’oriente vers autrui, la pulsion de mort devient alors pulsion d’agression ou de destruction) …

Au total, la parole « Soyez féconds » me semble nous donner cette leçon : ne cédons pas à notre pulsion de mort et ne visons pas notre extinction, préférons les pulsions de vie, et parmi celles-ci, limitons les pulsions égoïstes (même si elles permettent notre survie et notre confort), et dans un certain oubli de nous-mêmes, restons capables d’amour et de procréation… Et de fait, cette leçon a une certaine valeur hygiénique : une société qui n’engendre pas suffisamment d’enfants connaît de multiples problèmes (par exemple pour accompagner et financer la survie des personnes âgées…), et surtout, devient frileuse et racornie.

Bref : je crois que même dans l’hypothèse où nous n’aurions plus sur nous « le poids toujours si lourd […] des religions qui sont toutes natalistes », nous aurions toujours d’excellentes raisons anthropologiques (et économiques…) pour avoir des enfants… 

 

Faut-il aller vers une dictature écologiste ?

Notre camarade a écrit : « Le seul moyen pacifique et non violent de reprendre le contrôle de la population terrestre serait de limiter la natalité à deux enfants par femme au plan mondial ». Je ne veux surtout pas faire dire à notre camarade plus que ce qu’il a pensé et dit, et d’ailleurs je note qu’il ajoute : « On comprend malheureusement que cela n’arrivera pas ». Mais j’observe aussi que de façon générale, il y a une forte aspiration vers des actions coercitives menées au nom des grandes causes, et notamment de l’écologie…

Avant de se raviser, la Chine a ainsi longtemps imposé un quota d’un enfant (et un seul) par couple. De fait, la notion chinoise de « score social » permet de noter les comportements « déviants » (comme avoir des enfants au-delà d’un quota ou dire du mal du Gouvernement…) et de les sanctionner (pas de logements sociaux pour les familles ayant dépassé le quota, pas de possibilité de voyage pour les parents, pas d’accès à l’enseignement supérieur pour les enfants « en trop » …).

L’aspiration à cette « coercition douce » est-elle limitée aux pays autoritaires ? Pas nécessairement… En 2019, l'ancien ministre Y. Cochet a écrit dans « L’Obs » : « renversons notre politique d’incitation à la natalité » ; « [il faut inverser] la logique des allocations familiales : plus vous avez d’enfants, plus vos allocations diminuent ». Dans un esprit voisin, il a été proposé que chaque être humain dispose d’un quota de voyages aériens dans sa vie limité à 4 ; etc.

J.-M. Jancovici a le mérite d’avoir explicité et théorisé l’esprit de ces propositions disparates. En 2019, il a ainsi déclaré : « Pour lutter contre le changement climatique, il faut être capable d’imposer des efforts extrêmement significatifs et cela veut dire qu’il faut qu’on ait un pouvoir très fort pour être capable de faire respecter ces efforts ». Pour mener cette lutte contre le réchauffement climatique, « un système de type chinois est-il un bon compromis ? Il n’est pas exclu que la réponse soit oui » …

Peut-être choisirons-nous effectivement d’en venir là… Mais dans l’immédiat, nous pouvons faire ce constat : Philippe Muray avait sans doute raison, lorsqu’il écrivait que Freud avait inventé la notion d’ « envie de pénis »,mais que désormais, malgré la permissivité de nos sociétés en de multiples domaines, une grande partie des classes intellectuelle et politique était travaillée par l’« envie de pénal »…

Toutefois, malgré cette aspiration à la coercition et aux sanctions, nous pouvons garder cet espoir : que dans un domaine aussi personnel et intime que la procréation, chacun de nous conserve la maîtrise de ses choix et ne soit pas soumis à des quotas… 

Du reste, s’il n’y a pas coercition et sanctions, nous pouvons dans une certaine mesure compter sur les régulations naturelles : des peuples ont disparu sous l’effet des guerres, des épidémies ou des changements climatiques, mais aucun n’a péri par surpopulation…

 

À qui recommander de diminuer le nombre d’enfants ?

J’en viens au point essentiel de mon propos : à qui recommande-t-on de diminuer le nombre d’enfants, et s’il fallait vraiment formuler cette prescription, à qui pourrait-on l’adresser avec pertinence ?

Partons de ce constat : sur tous les continents, le taux de fécondité baisse, et sur presque tous, le taux de fécondité est désormais nettement en-dessous du niveau qui permettrait le renouvellement des générations. Il n’y a qu’une exception : l’Afrique (ajoutons pour mémoire que l’Océanie est à l’équilibre avec un taux de fécondité de 2,13, mais sa population est négligeable au niveau mondial). Soyons précis : d’après l’ONU et l’Institut national d’études démographiques, le nombre moyen d’enfants auxquels une femme donne naissance dans sa vie est actuellement de 1,51 en Europe, 1,64 en Amérique du nord, 1,83 en Amérique du sud et 1,93 en Asie, versus 4,12 en Afrique (6,8 au Niger, 6,0 au Mali…).

Lorsque notre camarade signale que « l'Inde et la Chine sont désormais engagées dans une compétition au pays le plus peuplé », il risque de susciter une idée inexacte dans l’esprit du lecteur... Certes, la population indienne a dépassé en 2023 la population chinoise, et cet événement n’est pas anodin. Mais il ne résulte pas d’une natalité politiquement « boostée » et excessive. Il résulte du fait qu’avec un taux de fécondité de 2 en Inde et de 1,2 en Chine, la population chinoise a reçu vocation à décroître plus vite que l’indienne… De même, c’est trop prêter à la Russie que d’affirmer que « les dirigeants de pays comme […] la Russie et pas mal d'autres ont l’ambition d'alimenter la surpopulation galopante par volonté de puissance » : en réalité, après avoir atteint l’étiage de 1,16 au terme de la débâcle eltsinienne, le taux de fécondité russe est aujourd’hui de seulement 1,5…

S’il y a un problème de natalité excessive, c’est donc un problème africain. De fait, notre camarade fait quelques références à l’Afrique. Il signale ainsi des prévisions faisant état de 12 milliards d’êtres humains en 2100 (contre 8 milliards en 2024), « dont 4 milliards pour la seule Afrique », et il ajoute : « À 800 millions en l'an 2000, l'Afrique n'arrivait pas à abreuver et à nourrir correctement l'intégralité de sa population. À 4 milliards en 2100, elle fera comment exactement ??? ».

Il reste que si notre camarade, à l’instar de nombreux représentants des médias et de la classe politique, nous appelle à faire moins d’enfants, il ne focalise pas ce discours sur le seul continent où l’éventuel problème se pose : l’Afrique. 

Il est permis de s’interroger sur les raisons de cette abstention quasi générale… Peut-être les données démographiques récentes ne sont-elles pas assez connues. Peut-être l’homme européen, et plus généralement l’homme occidental, a-t-il des scrupules à s’ériger en donneur de leçons face à l’Afrique (en ce sens, il serait vrai que le débat sur la surpopulation serait un « débat interdit » …). Peut-être aussi sommes-nous censés expier une « dette historique » qui résulterait de la croissance passée de la population occidentale (mais l’Asie a été beaucoup plus prolifique que l’Occident, et ce dernier représente aujourd’hui moins de 15 % de la population mondiale), ou peut-être sommes-nous censés expier une dette historique qui résulterait de nos rejets de gaz à effet de serre (mais l’Union européenne, qui représente 5,6 % de la population mondiale et 6,7 % des rejets de ces gaz, diminue ses émissions alors que les rejets globaux ne cessent pas d’augmenter). Peut-être encore s’agit-il de « donner l’exemple » en accélérant notre déclin démographique et en espérant être imités (quitte à ce qu’il y ait sans doute un peu d’outrecuidance et d’irréalisme à prétendre s’afficher en modèle). En tout état de cause, espérons que l’aspiration à intensifier notre dénatalité ne soit pas ce qui serait le pire : un signe de la pulsion de mort occidentale…

 


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