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Jules Verne et l’énergie électrique illimitée !

News des Mines

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30/04/2024

Hélène Giouse (P81-Doct 87)

Tous les ingénieurs et pas seulement eux, ont aimé lire Jules Verne, ses récits de voyage et d’inventions prémonitoires. Le premier de ces récits, qui l’a rendu célèbre est « Cinq Semaines en Ballon », écrit en 1863. Une petite équipe de trois explorateurs, menée par Samuel Fergusson parcourt la distance de 6 à 7000 kms entre Zanzibar et le Sénégal en traversant le continent africain d’Est en Ouest dans un ballon. Ce ballon est rempli d’hydrogène, l’hydrogène est produit non par la réduction de débris de fer comme cela s’est fait historiquement (1) mais par électrolyse de l’eau, l’électricité étant produite par une pile. Pour régler la hauteur du ballon, le gaz est chauffé par un chalumeau qui brûle l’hydrogène (et l’oxygène) produit par l’électrolyse. Le procédé nous parait tout à coup assez précurseur et on a envie d’y voir d’un peu plus près. 

Jules Verne nous présente des calculs précis sur le poids et le volume du ballon (enfin des deux ballons puisqu’il y a un petit ballon dans un grand ballon), du chargement, du lest, de la hauteur qu’il pourra gagner par chauffage de l’hydrogène. Cela reflète une bonne maitrise de la physique des gaz, de la chimie. 

Mais pour ce qui concerne l’électricité, il maitrise beaucoup moins. Les piles étaient fort peu disponibles et performantes à l’époque et servaient essentiellement à alimenter les télégraphes, à produire des arcs électriques pour éclairer les projecteurs de cinéma et autres usages qui nous paraissent marginaux aujourd’hui. Il utilise une « forte pile Bunsen », une réserve d’eau à électrolyser de 25 gallons qui devrait lui durer 630 heures à un régime moyen. La pile Bunsen a été inventée en 1841. Le fait de mentionner une « forte » pile est déjà̀ une certaine méconnaissance. La pile Bunsen unitaire a des caractéristiques fixes et il faut en mettre des dizaines en série pour des usages requérant une certaine puissance. 

D’après le récit, la réserve d’eau de 25 gallons est renouvelée plusieurs fois et elle est aussi vidée plusieurs fois pour délester le ballon. Le décompte est difficile et nous laissons le bénéfice du doute à Jules Verne en retenant seulement les 25 gallons pour notre calcul. Ce volume doit produire 140 m3 d’hydrogène à pression atmosphérique. D’après ce que l’on sait des performances des électrolyseurs actuels, il faut 5 kWh par m3 d’hydrogène produit. Donc la pile a produit une énergie de 700 kWh. La pile Bunsen délivre une différence de potentiel de 1,9 V. Donc pour fournir les 700kWh, la pile devrait produire 368 000 Ah. Ce paramètre clef (Ah intensité en a=Ampères multiplié par la durée en heures) des piles et des batteries peut être comparé aux performances des batteries actuelles, par exemple 232 Ah pour la batterie de la Tesla modèle S. , soit plus de 1000 fois moins.... Le compte n’y est pas, même si sans le dire, les explorateurs avaient pu recharger la pile en consommable (zinc et carbone pour les électrodes et acide sulfurique dilué pour l’électrolyte). 

Ainsi, face à une énergie nouvelle mal connue et pour tout dire un peu magique, Jules Verne s’emballe et nous emmène dans un voyage apparemment économe en énergie (ce sont les alizés qui poussent le ballon) mais en réalité irréaliste. 

En lisant le récit des « cinq semaines en ballon », Jules Verne nous parait daté du fait de son racisme vis-à-vis des Africains. Ce type d’analyse de son œuvre est classique et nous savons prendre du recul par rapport à ses préjugés. Ne devrions-nous pas comprendre que bien que technologiquement visionnaire, il est également daté quand il rêve d’une énergie illimitée et devenir lucide aussi sur ce point ? 

(1) Bidault des Chaumes A. 1914. La fabrication de l’hydrogène pour le gonflement des ballons militaires en France et en Allemagne. Le Génie Civil 1685: 401–407. Available from https://gallica.bnf.fr/ 


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