
Éditorial
Faits et surprises
On lira, à la page «Courrier des lecteurs», quelques-unes des réactions qui, plus nombreuses que de coutume, nous sont parvenues au sujet du dossier consacré aux gaz de schiste paru dans le numéro précédent. Il va sans dire que c’est précisément parce qu’elles expriment une forme de désaccord avec les opinions présentées le mois dernier que nos colonnes les accueillent volontiers ; espérons même qu’elles inciteront d’autres lecteurs à contribuer et à prendre position ! Les dossiers de ce mois-ci susciteront-ils un tel débat ? En tout état de cause, à des titres divers, ils ont eux aussi toute leur place dans notre Revue.
Pourquoi avoir choisi, sujet inédit, de se pencher sur les piles et les batteries ? Comme nous l’expliquent François Vinçotte et les praticiens qu’il a rencontrés, même s’il ne représente en France que 1% des ventes, le marché des véhicules électriques connaît un réel développement de par le monde (chez le constructeur californien Tesla par exemple, la demande dépasse l’offre) ; or, bien sûr, la mise au point de technologies de stockage de l’énergie électrique adaptées à ces besoins est un élément déterminant de cet essor. Si les principes tech¬niques sont bien connus depuis plus de deux siècles, jusqu’à il y a peu on reprochait aux bus électriques de transporter davantage de batteries, en poids, que de passagers ! La miniaturisation, et l’amélioration des performances des piles nécessaire à une plus grande autonomie pour les véhicules, sont les deux principaux enjeux de ce secteur, que n’ont investi pour l’instant que des géants asiatiques de l’électronique. À l’extérieur des voitures aussi les challenges sont légion : les infrastructures d’approvisionnement en carburant ne maillent pas encore le territoire comme pour les moteurs thermiques, et le constructeur de voitures électriques doit donc se préoccuper de la facilité d’usage de son produit : où l’automobiliste trouvera-t-il des bornes de recharge, combien de temps devra-t-il y brancher son véhicule, etc. L’étude de ce domaine ressemble fort à un défrichage tous azimuts.
Pour quelles raisons plusieurs de nos camarades, aventuriers eux aussi, ont-ils entrepris de poursuivre une vie d’artiste, de s’aventurer dans un monde aux codes que l’on comprend peu pénétrables où, disent-ils, c’est souvent la renommée ou la rumeur, davantage que le talent, qui décide de la réussite ? Les ressorts semblent être de plusieurs ordres. De même qu’à travers les âges, la frontière entre l’artisan et l’artiste a été mouvante, c’est dans la confrontation au réel (au public, à l’instrument, au carnet de notes, etc.) qu’ils puisent ce qui fait leur passion. Ensuite, l’époque du génial artiste isolé leur paraît révolue : dans ce qui prend désormais la forme d’un écosystème organisé, la méthode rationnelle peut aider à déceler les chausse-trappes, et produit des effets parfois inattendus. Et, surtout, nous savons que l’ingénieur ne peut plus être seulement l’expert de sa discipline technique de prédilection : les mineurs-artistes illustrent à l’extrême l’esprit d’ouverture désormais attendu de tout un chacun !
Dans le premier tome de ses mémoires 1, Jacques Chirac raconte avec gourmandise comment il a justement appris, au cours de ses études, à ménager une certaine distance vis-à-vis des experts trop doctes à ses yeux : «Nos professeurs, à l’ENA, raconte-t-il, nous expliquent, démonstrations lumineuses à l’appui, que le redressement économique de la France est devenu impossible. Le déficit de la balance des paiements est considéré, par les plus éminents de nos maîtres, comme une fatalité inéluctable. [...] Là-dessus, le général de Gaulle reprend les rênes du pays et Jacques Rueff lance son plan dans la foulée. Six semaines se passent et la balance des paiements est de nouveau en équilibre. [...] J’en tire la conclusion que mieux vaut se méfier de l’opinion des théoriciens [...]». Quotidiennement confrontés au monde tel qu’il est, et non tel que les théories le décrivent, les ingénieurs que nous sommes trouvons sans cesse les raisons de croire que c’est dans la mise en résonance des disciplines, des avis et des faits que se façonne une opinion éclairée. Pour ce qui concerne la Revue, c’est l’état d’esprit avec lequel le comité de rédaction continuera d’œuvrer bénévolement pour l’intérêt collectif durant cette année 2015 que, en dépit de débuts tragiques, nous vous souhaitons la plus heureuse.
Guillaume APPÉRÉ (P02/CM05)
1 Chaque pas doit être un but, Nil Editions, 2009