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juillet 2018

Vers une électronique circulaire

Publié par Adrien MONTAGUT-ROMANS et Elie ASSÉMAT | N° 498 - INTELLIGENCE ARTIFICIELLE / ÉCONOMIE CIRCULAIRE

 


L’électronique est au centre de notre société moderne, et pourtant elle est encore très éloignée d’un modèle circulaire. Elie Assémat et Adrien Montagut de la coopérative Commown, dressent un panorama des limitations du modèle actuel pour inciter à l’innovation.

Alors que nous sommes de plus en plus dépendants au numérique, il est urgent de s’interroger sur la soutenabilité de ces technologies. Le gouvernement vient de publier sa feuille de route de l’économie circulaire, pourtant il reste un grand nombre de défis technologiques et organisationnels à relever pour tendre vers une électronique circulaire. Nous donnerons dans cet article des pistes de réflexion pour chaque étape du cycle de vie d’un produit électronique.

 

Loin des mines loin du cœur : ces externalités qu’il est confortable d’occulter

Aujourd’hui, sans indium pas d’écran tactile, et sans néodyme pas d’aimant permanent miniaturisé. Les projections de pénurie pour ces minéraux sont assez complexes à modéliser1 . Sur le plan quantitatif, elles dépendent du taux de production, des réserves connues à un instant donné et de la demande, facteurs qui ne cessent d’évoluer. En revanche, des tensions existent déjà en termes de capacité d’approvisionnement, comme l’illustre le cas de la Chine, qui décida en 2010 de bloquer ses exportations de terres rares vers le Japon2 . Les fluctuations du marché sont donc liées aux monopoles de certains pays producteurs. Ces monopoles se sont construits grâce au dumping économique car ces pays ne considèrent pas le coût des externalités environnementales et sociétales des mines3 . Par exemple en Chine, dans le cas du néodyme qui est naturellement associé à des éléments radioactifs tels que l’uranium, peu de précautions sont prises pour préserver les habitants voisins des mines. Autre exemple au Congo où les mines de cobalt exploitent des enfants tout en finançant des milices armées. Parallèlement, d’autres facteurs limitants sont à prévoir, comme les coûts énergétiques et économiques qui augmentent proportionnellement à la complexité des gisements, ou encore les réserves en eau douce qui s’amenuisent. Au Chili par exemple, l’exploitation du cuivre a nécessité l’installation de centrales de désalinisation pour assurer l’approvisionnement des mines1 . Une sobriété dans l’usage de ces ressources est donc essentielle. Des efforts en ce sens sont déjà réalisés, par exemple le fabricant Japonais TDK a réduit de 50 à 20% l’usage de dysprosium dans ses aimants permanents4 . D’autre pistes sont étudiées, comme celle du 100% biodégradable. La recherche de matériaux substitutifs organiques constituerait un premier pas, mais à l’exception de quelques exemples tels que les films photovoltaïques ARMOR, c’est encore un domaine balbutiant.

Fabrication : un manque d’éco-conception et de résilience de l’industrie

Quatre tours du monde sont nécessaires pour fabriquer un smartphone aujourd’hui : des vibreurs fabriqués en Chine, jusqu’aux plastiques en Arabie Saoudite5 . La production mondialisée des produits électroniques est de ce fait très peu résiliente, en effet des ruptures d’approvisionnement peuvent survenir à la moindre crise. Ce fut notamment le cas début 2012 suite aux inondations en Thaïlande, second pays producteur de disques durs à l’époque6 .

Le coût énergétique de la production des smartphones depuis 2007 s’élève à 968 TWh ce qui représente environ la consommation énergétique de l’Inde en 20147 . Cependant certains pionniers font des efforts à ce niveau : Apple garantit (depuis avril 2018) une alimentation 100% renouvelable pour l’ensemble de sa chaîne de production8 .

Pour une circularité du secteur, il faudrait, à l’image de la démarche de l’entreprise Fairphone, maximiser l’éco-conception des produits pour minimiser leur impact sur l’ensemble de leur cycle de vie.

Idéalement, une standardisation des modules composant les produits électroniques pourrait permettre leur interopérabilité entre différentes marques.

Enfin, idéalement, il serait intéressant de relocaliser les savoir-faire et les emplois en Europe pour maintenir une filière indépendante de l’Asie et rendre le marché plus résilient. Il faudra pour cela trouver un modèle économique pouvant assumer le prix de la main d’œuvre.

Le marketing, ce grand absent des analyses en cycle de vie

En 2017, 1,46 milliard de smartphones ont été livrés dans le monde9 . Un tel volume de vente s’accompagne de campagnes de marketing poussant à renouveler son smartphone, indépendamment de son bon fonctionnement. Le modèle économique basé sur la vente induit naturellement cet effort de marketing et le rythme de renouvellement des smartphones qui en découle (2 ans et 2 mois en 201710 ).

L’impact indirect du marketing (utilisation de supports publicitaires digitaux, ou impact de la sur-consommation induite) n’est jamais pris en considération dans les ACV. Il serait très intéressant de développer des indicateurs pour en mesurer l’impact.

Impact de l’usage, la course au “toujours plus”

La moyenne exposée ci-dessus correspond à une estimation de la part des dépenses énergétiques liée à l’usage dans le cycle de vie d’un smartphone à 17%11 . Ceci n’étant pas négligeable, des efforts peuvent être réalisés pour réduire cet impact. L’éco-conception logicielle sur ce point est essentielle, tout comme une évolution des usages pour éviter les “obésiciels” sur les smartphones. Sur ce point, la sensibilisation des utilisateurs reste primordiale pour avancer vers une forme de sobriété. Enfin, cela met en évidence l’importance d’un passage systématique à des fournisseurs d’énergie renouvelable comme Enercoop12.

Avant de penser au recyclage, maximisons le réemploi et la réparation

L’usage générant une minorité des externalités négatives, la première solution pour limiter celles-ci consiste à allonger la durée d’usage par appareil. Cela passe par une maximisation du réemploi, et une minimisation des coûts de réparation. En ce qui concerne le réemploi, ces dernières années ont vu une explosion du marché des mobiles reconditionnés, qui représente près d’un milliard d’euros13 . Cependant le taux de réemploi pourrait encore fortement s’améliorer : une étude commandée par Recommerce montre qu’en janvier 2018 moins de 30% des personnes interrogées ont déjà acheté un mobile d’occasion ou reconditionné14 . Au-delà des lacunes de réparabilité, les principaux freins au réemploi sont la difficulté de la collecte, et l’aspect psychologique qui pousse les usagers vers le neuf. Le frein psychologique peut se lever progressivement par des efforts de marketing, alors que la collecte chez les particuliers reste un défi majeur. Un rapport sénatorial de 2016 estime que 100 millions de smartphones sont stockés par les particuliers en France15 .

Pour allonger la durée de vie des appareils il est nécessaire de pouvoir effectuer des réparations à bas coût, or plusieurs verrous compliquent cette stratégie. En premier lieu, le manque d’éco-conception demeure bloquant :sauf rares exceptions, les appareils ne sont pas conçus pour être réparés facilement par les utilisateurs. Par exemple, le remplacement de la batterie d’un iPhone X prend entre 1h et 2h en 43 étapes selon iFixit 16 . Ensuite, la constitution de stocks de pièces détachées et le maintien de ces stocks sur le long terme ne sont pas évidents et dépendent fortement du type d’appareil et de l’existence de standards internationaux pour ces pièces. Enfin, la garantie minimum légale de deux ans est trop courte pour pousser les fabricants à maintenir une logistique de réparation. Actuellement la plupart préfèrent proposer un produit neuf de remplacement.

L’illusion du 100% recyclé

Le recyclage constitue le pilier de l’économie circulaire puisque c’est l’étape qui doit “clore la boucle”. Selon un rapport de l’ONU, en 2016 seuls 20% des déchets d’équipements électriques et électroniques (D3E) générés dans le monde ont été correctement recyclés17 . Comme pour le réemploi, la collecte est le premier défi du recyclage. Une large part des D3E sortent des filières agréées et finissent dans des décharges polluantes en Afrique et en Asie18.

L’amélioration du taux de recyclage constitue le deuxième défi et dépend fortement des matériaux considérés. Pour le cuivre, le taux de recyclage était estimé à 52% en 2015 par le BRGM19 . À l’inverse, l’indium, notamment utilisé dans les écrans tactiles, était recyclé à moins de 1% en 2017.

D’un point de vue technique, le recyclage de l’électronique se décompose en plusieurs méthodes complémentaires. Les plus courantes sont le tri, le broyage, le raffinage chimique et la fonte. Une unité de recyclage va utiliser différentes combinaisons20 . Cependant, les combinaisons utilisées industriellement ne permettent pas un recyclage de tous les éléments chimiques présents dans un smartphone. L’entreprise Fairphone a mené une étude détaillée comparant une méthode A, basée sur le tri des modules puis fonte, à une méthode B, de broyage, tri physico-optique, puis fonte. Il en ressort que chaque technique perd une partie des métaux21 . Par exemple le palladium est récupéré à plus de 80% en A et à moins de 10% en B alors que le fer est à plus de 70% en B mais moins de 10% en A. Par ailleurs, certains métaux comme le tantale ne sont récupérés par aucune des deux approches. Cela illustre la difficulté fondamentale de séparation des matières premières à coût raisonnable.

Le nombre de publications présentant de nouvelles méthodes de recyclage ne cesse de croître. Des liquides ioniques jusqu’aux fluides supercritiques (CO2 ou eau) en passant par la mécanochimie, ou encore la biolixiviation, beaucoup de ces techniques restent pour l’instant cantonnées à l’échelle du laboratoire22 .

Le coût des unités de recyclage spécialisées doit pouvoir être amorti sur le long terme. Malheureusement, les technologies mises sur le marché évoluent très vite ce qui met en danger de tellesinitiatives. Par exemple, avec l’arrivée des LEDssur le marché, le projet Coléop’terre de Rhodia a dû mettre un terme à son activité de recyclage des terres rares contenues dans les ampoules basse consommation en 201623 .

Enfin, il faut garder à l’esprit que le “tout recyclable” est une illusion. D’abord parce que chaque cycle induit des pertes en qualité et quantité, mais également à cause de l’évolution de la demande. Un rapport de l’ADEME de 2017 montre que dans le cadre d’une croissance annuelle de la demande entre 2 et 3%, le recyclage fournirait moins de 20% de cette demande, et ce en supposant des taux de recyclages importants. De plus, certains usages dispersifs hors de l’électronique rendent impossible toute forme de recyclage des métaux critiques. Par exemple le cobalt sous forme de carboxylates est utilisé comme promoteur d’adhésion caoutchouc-acier dans les pneumatiques. Le cobalt se retrouve ainsi dispersé le long des routes avec l’usure des pneus24 .

L’ensemble de ces limitations signifie qu’une électronique circulaire nécessite une baisse importante de la demande ou un changement fondamental de technologie.

Que faire maintenant ?

De l’éco-conception à l’amélioration de la traçabilité des composants en passant par une acculturation des producteurs et des utilisateurs, il reste beaucoup à faire pour atteindre une circularité digne de ce nom. En attendant de futurs sauts technologiques, il est primordial de changer de modèle économique pour sortir du modèle de vente linéaire.

C’est en partant de ce constat que nous avons lancé la coopérative Commown : l’allongement de la durée de vie est au cœur de notre activité. Nous cherchons à maximiser la circularité en associant la réparabilité de produits écoconçus tels que le Fairphone aux avantages de l’économie de l’usage. Nous achetons des appareils à nos producteurs que nous proposons ensuite en location longue durée sans option d’achat à nos usagers. Nous serons ainsi responsables du suivi des produits en fin de vie, ce qui limitera la rétention chez les particuliers et la dispersion dans les filières illégales. Enfin l’économie de la fonctionnalité garantit un confort d’usage à nos clients et une vision économique pérenne aux producteurs. Ces derniers pourront ainsi se focaliser sur l’écoconception des produits. ■

 

 

Auteurs

Adrien MONTAGUT-ROMANS
Elie ASSÉMAT

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