Tesla. Son nouveau pari : une usine géante de fabrication de batteries
Réfléchissant sur l’avenir des voitures tout électrique (V.E), il y a quelques années les grands producteurs, à l’écoute de leurs experts avaient conclu que :
- Il est pratiquement impossible pour une nouvelle compagnie de pénétrer seule dans le marché de l’automobile.
- Pour les véhicules électriques (V.E.) l’autonomie utile doit être limitée à 150-200 km.
- Les V.E. doivent être conçus comme des véhicules urbains.
- Les V.E. seront difficiles à vendre et les clients seront peu enclins à payer une prime.
- Il y aura une perte financière importante, au début, pour créer ce marché.
Comme ce fut souvent le cas ces dernières années, l’esprit d’innovation et d’entreprise de la «Silicon Valley» a bouleversé en quelques années ces croyances bien établies
L’idée Tesla conçue et animée par un ancien ingénieur de Stanford, J.B. Straubal et le tempérament audacieux de Elon Musk, connu pour ses réussites financières récentes, a en quelques années changé la donne. Tesla produit un V.E. haut de gamme (en concurrence avec les berlines Mercedes et BMW) avec une autonomie double des recommandations de l’industrie. La demande présente dépasse l’offre et le tout est réalisé avec une nouvelle société dont la valeur financière connaît le succès auprès de la bourse.
Il semble toutefois que récemment Nissan avec la « leaf », qui répond aux critères de l’industrie, bénéficie de l’effet Tesla et voit enfin ses ventes augmenter. Nissan avait d’ailleurs précédé Tesla en construisant à Smyrna (Tennessee) une nouvelle usine de batteries à côté de son usine de voitures. Carlos Ghosn avait justifié ce choix par l’absence de bonnes batteries sur le marché.
En 2008, le président Obama annonçait un programme de 2,4 G US $ pour développer la production de batteries aux USA.
L’idée était bonne mais l’exécution fut médiocre et on attend encore un résultat.
Actuellement les batteries sont fournies par Panasonic à partir du Japon
L’usine japonaise, fournisseur actuel de Tesla a une capacité de 3 GWh par an.
Elle fabrique des batteries «lithium-Ion».
Le lithium, troisième élément du tableau de Mendeleev, est le plus léger des métaux. Il est connu entre autre des producteurs d’aluminium pour la production d’alliages. Le lithium est très réactif et il brûle dans l’air d’où l’obligation de ne l’utiliser que dans des composés chimiques. Le lithium peut perdre facilement un électron sur les trois de l’atome et créer un Ion. Les piles Li-ion sont actuellement les plus performantes.
La pile Panasonic 18650 (ou 20700)
Le passage d’un concept de laboratoire à un produit industriel est long et difficile surtout pour la fabrication de batteries utilisable pour les V.E. Doit-on utiliser des grands formats ou des petites unités qui peuvent prendre la forme de cylindres, de poches ou de prismes ?
Panasonic a depuis longtemps opté pour la pile cylindrique, modèle 18650. Cette pile de 45 gr produit actuellement une énergie spécifique supérieure de 50% par unité de poids aux autres produits. Son coût, ses performances, sa durée dans le temps et sa sécurité d’emploi sont remarquables.
Ci-dessous, une vue éclatée de la pile 18650 dont la fabrication au Japon est très automatisée et adaptable au progrès dans la fabrication des électrodes et autres séparateurs
La batterie Tesla pèse environ 450Kg dans sa version normale, elle peut emmagasiner de 60 KWh à 85 KWh suivant les versions. Elle peut fournir jusqu’à 215 KW.
La batterie 85 KWH est composée de 7104 piles du modèle 18650. Il y a 16 modules câblés en série. Chaque module est constitué de six groupes de 74 piles 18 650 en parallèle. Les six groupes sont câblés en série. Le paquet est situé sous la planche de la cabine pour abaisser le centre de gravité du véhicule. Une plaque de 6mm en alliage d’aluminium protège la batterie pour éviter un incident provenant de débris de la route ou autre choc.
Le coût de la batterie (85 kWh) pour un modèle S est de l’ordre de 21.250 US $ hors coût du BMS. Les chiffres de 30% qui circulent dans la presse pour un modèle S vendu 70,000 US$ semblent proches de la présente estimation. Tesla propose plusieurs types de batteries, soit actuellement 60 KWh ou 85 KWh, mais les modèles futurs comme le modèle X ou le 3 auront d’autres types de batteries notamment pour le modèle 3 qui sera un plus petit véhicule avec un prix de vente de 30 000 à 40 000 $.
Contrôle des batteries pour un V.E. : Batteries Management System (BMS)
Un système de batteries est dynamique et change avec l’âge, les conditions de charge et décharges, l’environnement (température), etc. Un système sophistiqué de contrôle doit être mis en place pour assurer le bon fonctionnement du véhicule dans le temps.
Pour le conducteur, les garanties de conduite (accélération, vitesse), les informations sur l’état de charge des batteries, doivent être disponibles en temps réel.
La plage de fonctionnement d’une batterie est déterminée par le SOC (State of Charge) définie comme le pourcentage maximum de charge. Une batterie avec une pleine charge a un SOC de 100%. Le DOD (Depth of Discharge) est aussi utilisé et égal à 1-SOC.
La puissance et l’énergie d’une batterie diminuent avec les cycles et le temps. La perte de puissance est due à une augmentation de la résistance interne. La perte de capacité provient d’une dégradation des électrodes et de l’électrolyte. Les performances dépendent aussi de la température mais les batteries li-ion ont une plage de fonctionnement entre -20C et +40C. Le chargement des batteries doit suivre un protocole car le chargeur peut contrôler soit l’intensité soit le voltage. En général une phase à courant constant sera suivie d’une phase à voltage constant.
Le système de contrôle (BMS) doit essentiellement contrôler la charge et la décharge de la batterie qui peuvent être limitées respectivement à 80% et 40% pour augmenter la durée de vie. Lorsque la batterie perd de la capacité avec l’âge, le BMS augmente la charge pour maintenir l’autonomie du véhicule. Le BMS fournit au conducteur les informations sur l’autonomie restante. Le BMS contrôle aussi l’opération de charge du véhicule. Le BMS est un outil indispensable au bon fonctionnement de tout véhicule électrique.
La concurrence japonaise et coréenne des batteries
En 2013, la capacité mondiale de batteries li-ion est voisine de 33 GWH/an. Cette capacité augmente régulièrement mais elle est concentrée en Asie. Samsung et LG Chen en Corée, Panasonic au Japon sont les principaux producteurs. Ces usines ne sont pas entièrement intégrées et il existe une «Supply Chain». Sumitomo Mining est un important sous-traitant. On distingue, par exemple, quatre types de batteries chez Panasonic pour le modèle 18650 suivant le type d’électrodes avec une masse d’énergie allant de 620 Wh/ L à 800 Wh/L (Watt*heure par litre). Plusieurs chaînes de fabrication en parallèles sont utilisées.
Tesla le futur concurrent
L’entrepreneur Musk (Tesla) va-t-il réussir son nouveau pari en investissant 5 G US$ dans une «megafactory» dont la capacité doit pouvoir alimenter en 2020 le marché mondial des batteries (pour le moment dominé par le Japon et la Corée) ?
Une usine de batteries totalement intégrée, qui n’existe pas encore ailleurs, est complexe. Le succès se mesurera sur l’obtention d’un produit fiable, avec une longue durée de vie, une haute énergie par unité de poids et de volume et le tout avec un coût compétitif.
Sa capacité en 2020 sera de 35 GWh, soit dix fois plus que la plus grande des usines existantes en 2014. Aucune innovation technique n’a été annoncée et l’on peut assumer que le principe de fabrication de Panasonic sera adopté en ajoutant la préparation des sous-ensembles.
Le pari est audacieux
Le projet sera financé par les actionnaires, Tesla pour 2.5 G US$ et Panasonic pour 1 G US $. D’autres actionnaires doivent se joindre au projet, fascinés qu’ils sont par les résultats obtenus par Tesla dans la «Silicon Valley» avec Space X et surtout le succès du modèle S.
L’usine couvrira 46 ha et nécessitera 9,8 millions d’heures de travail en cinq phases et fournira plus de 5 000 emplois lorsqu’elle sera en exploitation. Le maître d’œuvre sera la compagnie Yates Construction. Les travaux ont commencé sur le site industriel de Tahoe-Reno avec un soin particulier pour rendre l’usine indépendante énergétiquement et respectant les normes du développement durable (recyclage des batteries notamment).
La réduction de coût en US $ par kWh sera l’une des grandes préoccupations comme le montre le graphique suivant :
Mais les risques ne sont pas absents
La montée en production d’une telle usine va créer certainement des changements dans la « supply chain» qu’il est difficile de prévoir.
Embaucher et former du personnel au Nevada ne va pas être facile mais on peut répondre que l’usine actuelle de Tesla en Californie est aussi partie de zéro. Le problème du contrôle de qualité paraît immense ; comment se mettre à l’abri d’un défaut sur les matières premières ou un mauvais fonctionnement sur l’une des nombreuses lignes de fabrication. Cela sera certainement pensé mais peut-on penser à tout ?
Le futur proche
Les performances de ces piles peuvent être améliorées en augmentant le pourcentage de lithium dans le cristal de l’oxyde métallique et en améliorant la densité de carbone à la cathode. Des progrès sont enregistrés chaque année avec l’augmentation du pourcentage de lithium et les performances s’améliorent de 5% chaque année (une future loi de Moore ?!).
Fabriquer de l’hydrogène Pascal Mauberger (X76), dans la revue Alphea Hydrogène, a évoqué le très bon bilan économique de l’électrolyse pour fabriquer de l’hydrogène (notamment nécessaire pour faire fonctionner la pile à combustible du même nom). Pour le moment, le marché mondial annuel de l’hydrogène est de plus de 60 millions de tonnes par an au niveau mondial. Les trois quarts sont fabriqués sur place par exemple pour raffiner des bruts pétroliers toujours plus lourds et soufrés, ou faire la synthèse de l’ammoniac et du méthanol. 95% de cet hydrogène est extrait des hydrocarbures par voie thermochimique (essentiellement le reformage de gaz naturel). Mais ces procédés génèrent beaucoup trop de gaz carbonique : 10 t de CO2 pour 1 t de H2. En revanche l’électrolyse de l’eau est écologiquement préférable à condition d’avoir à portée de main l’utilisation de l’oxygène produit en même temps. 50 kWh (environ 0,8 €) sont nécessaires pour produire un kg d’hydrogène qui se vend 10 €. Le bilan est d’autant plus intéressant que les rendements d’environ 70% ne peuvent qu’augmenter. Si on utilise pour l’électrolyse du courant de toute façon perdu (éoliennes tournant à plein la nuit par exemple), le bilan économique est encore meilleur car l’électrolyse participe au stockage de l’énergie. Philippe Thaure (N57)
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Conclusion
L’avenir de la voiture tout électrique semble maintenant assuré.
Il sera d’autant plus grand que les recherches progresseront sur les piles électriques, leur principe et leurs composants. Restera toutefois l’inconnu des stations de recharge qui peut ralentir la croissance ou l’accélérer.
À l’horizon 2016, les experts prévoient que le marché sera dominé par Tesla (80 000 unités par an) et Nissan avec une production équivalente. Les autres producteurs seront individuellement limités à des ventes inférieures à 30 000 unités. L’impact de la nouvelle usine de Tesla ne se fera sentir qu’après 2020 lorsque le prix de l’essence sera certainement revenu à un niveau normal. ■
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