Sécurité et sûreté de la maritimisation de l’énergie
Chargé de recherche, MINES ParisTech, CRC (Centre de Recherche sur les Risques et les Crises)
La notion de maritimisation a été définie en 1979 par André Vigarié, professeur à l’Université de Nantes (Vigarié, 1979). Le Professeur Vigarié évoque alors «la maritimisation de l’économie contemporaine» qui décrit les phases d’évolution socio-économique d’une société tournée vers la mer. Nous définissons donc le concept de «maritimisation de l’énergie» par l’évolution de l’ensemble des modes d’exploration, d’extraction, de production et de transport d’énergies en milieu maritime.
L’océan : un enjeu pour nos sociétés
«Quiconque est maître de la mer a un grand pouvoir sur la terre». Cette citation du Chevalier de Razilly (dans Deschamps, 1887), conseiller du Cardinal de Richelieu pour les affaires maritimes, annonçait déjà au XVIIe siècle l’importance de cet espace vis-à-vis de l’économie des pays.
Présente dans tous les océans du globe et forte de ses 11 millions de km2, la France se classe au deuxième rang des espaces maritimes mondiaux. Par ailleurs, la quasi-totalité du pétrole et du gaz naturel qu’elle importe est transportée par la mer. Elle se doit donc de jouer un rôle important dans la surveillance et le contrôle de l’espace maritime mondial. En 2014, la maîtrise de l’espace maritime pour réduire «les risques sur mer» décrite par Razilly fait toujours référence au contrôle en majorité militaire de ces étendues (70% de la surveillance est assurée par les marines militaires).
Aldo NAPOLI Après une expérience dans le secteur de l’assurance où il a participé à la conception d’un observatoire cartographique des risques en France pour la Mission Risques Naturels de la FFSA et du GEMA, il dirige aujourd’hui des recherches en modélisation des risques et ingénierie de systèmes de surveillance appliquées au domaine maritime.
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L’océan : un espace économique à forts enjeux pour le secteur de l’énergie
La part des approvisionnements en énergie prend de l’ampleur chaque année. Par exemple, la part de gaz naturel transportée par mer est passée de 6% des échanges en 1970, à 15% en 1980, et à 25% aujourd’hui. Ce profil d’approvisionnement suit pratiquement la croissance de la production de gaz naturel dans le monde. À l’avenir, l’augmentation des échanges devrait profiter encore plus aux transports maritimes, dont la part dans les échanges devrait atteindre 38% dans les années 2020 (source Institut Supérieur d’Économie Maritime).
L’océan recèle les richesses énergétiques du siècle à venir (Coutansais, 2012). Aujourd’hui la production de pétrole en mer représente un tiers de la production mondiale. Les progrès des études sismiques des fonds marins et des techniques de production permettront d’exploiter les 70 M de km2 de bassins sédimentaires susceptibles de renfermer les hydrocarbures convoités dont près de la moitié se situe à plus de 500 m de fond.
L’océan est également transformé en producteur d’énergie (Coutansais, 2012). L’envolée du prix des hydrocarbures et la lutte contre le réchauffement climatique dû en partie à une grande consommation d’énergies fossiles, ont favorisé la conversion en électricité de la puissance des vents et courants marins, des marées, de la houle, de la thermicité de la mer. Enfin, cette production d’hydrocarbures et d’électricité est acheminée vers nos sociétés par différents moyens de transports, via les océans et les mers : pétroliers (40% du transport de pétrole)
L’océan : un territoire aux risques multiples
La production et le transport d’hydrocarbures sont soumis au risque de collision avec des objets flottants (navires, conteneurs tombés à l’eau, etc.), aux catastrophes naturelles (séisme, cyclone, etc.) et aux aléas météorologiques (tempête, vague scélérate, etc.), représentant de réels dangers au quotidien (pertes humaines et de marchandises, arrêt de la production). Les pollutions dues à l’extraction ou au transport des hydrocarbures sont encore présentes dans nos mémoires. Citons pour exemples l’accident sur la plateforme pétrolière Deepwater Horizon dans le Golfe du Mexique et le naufrage en Europe de l’Erika. À ces accidents s’ajoute le risque de piraterie, toujours présent dans les espaces stratégiques comme le Golfe d’Aden, passage obligé pour emprunter le canal de Suez, ou encore le Golfe de Guinée, haut lieu de la production de pétrole offshore dans le monde. Le coût de la piraterie dans le monde est estimé à près de 10 Mds € par an. La rançon réclamée pour libérer un navire pétrolier s’élève à 5 M €. Ces zones sont également soumises à l’instabilité politique des états riverains constituant également un risque pour la production et le transport d’énergie.
L’océan : un territoire à sécuriser
La surveillance et la protection de nos installations maritimes ont recours à des moyens humains, juridiques et technologiques. Parmi eux citons les systèmes de surveillance maritime qui intègrent des capacités de détection et d’identification de navires, comme Spationav (français) ou SafeSeaNet (Européen).
Cependant, leurs fonctionnalités sont limitées à la visualisation d’une tenue de situation simple du trafic maritime dans les eaux territoriales (12 à 20 milles) et à la consultation de bases de données en ligne sur les navires.
Afin d’améliorer
Sécurité et sûreté : un enjeu de recherche
Depuis 2006, le CRC de MINES ParisTech s’est engagé au côté de partenaires académiques et industriels dans des projets de R&D financés par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) et l’Union Européenne, et des thèses de doctorat ayant pour objet l’analyse des risques maritimes et la conception et le développement des systèmes de surveillance de nouvelle génération. Quelques exemples de nos recherches sont présentés ci-après.
- Modéliser les comportements anormaux de navires nécessite au préalable de formaliser la connaissance du domaine. Pour cela, l’approche adoptée a été d’utiliser les qualités des ontologies. Celles-ci offrent les éléments nécessaires à la description des notions mais aussi des liens qui les unissent tout en permettant d’effectuer des raisonnements. Cette connaissance formalisée, il est alors possible de l’exploiter au sein d’un système d’analyse de comportements anormaux de navires (Vandecasteele, 2012).
- Un environnement d’analyse et de découverte de comportements de navires à risques a été développé.
Les résultats de nos recherches sont intégrés dans notre prototype de système de surveillance maritime nommé FishEye (cf. fig. 1).
Conclusion
À l’échelle nationale, un récent rapport du Sénat (Sénat, 2012) préconise de «réfléchir à des modalités de financement innovantes de contribution des activités pétrolières, minières, et énergétiques en mer au budget d’équipement de la Marine». Ce nouvel investissement pourrait alors être utilisé pour concevoir et développer les nouveaux systèmes de surveillance maritime. Ces études ont déjà été initiées par des financements publics et privés. Cependant, bon nombre d’entre elles sont encore à l’état de prototypes, et de nouvelles recherches sont à envisager, en particulier dans l’usage de la cartographie comme support
Bibliographie
- Bouejla A., Guarnieri F., Napoli A., 2014 : Apport des réseaux bayésiens dynamiques à la lutte contre la piraterie maritime, dans Actes du 19ème Congrès de Maîtrise des Risques et Sûreté de fonctionnement, octobre 2014 ; article soumis.
- Coutansais, C.P., 2012 : Géopolitique des océans, éditions Ellipses
- Deschamps L., 1887 : Un Colonisateur au temps de Richelieu : Isaac de Razilly ; Biographie de l’Institut Géographique de Paris, reproduit en partie de la Revue de Géographie (1877) ; Document en ligne ; 35 p.
- Idiri B., 2013 : Méthodologie d’extraction de connaissances spatio-temporelles par fouille de données pour l’analyse de comportements à risques – application à la surveillance maritime, thèse de doctorat de MINES ParisTech.
- Sénat, 2012 : Rapport d’information n° 674 du Sénat, au nom du groupe de travail sur la maritimisation.
- Vandestasteele A., 2012 : Modélisation ontologique des connaissances expertes pour l’analyse de comportements à risques – application à la surveillance maritime, thèse de doctorat de MINES ParisTech.
- Vatin G. Napoli A., 2013a : High-Level Taxonomy of Geovisual Analytics Tasks for Maritime Surveillance, dans Actes de ICC 2013 - 26th International Cartographic Conference, Dresde : Allemagne.
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