Repenser les villes Un défi incontournable pour la planète, des opportunités pour l’ingénierie française
Alain BENTEJAC
Co-président du groupe d’ingénierie ARTELIA et administrateur de FIDIC, fédération internationale de l’ingénierie
Une approche holistique conditionne le développement de villes compétitives, économes en ressources, résilientes, consensuelles, en d’autres mots de villes au développement soutenable. Les ingénieristes, autrefois enfermés dans le manichéisme de l’équation coûts – délais - qualités, en sortent de plus en plus aussi bien en France que sur le marché international. Ils ont accumulé des expériences pour une approche intégrée des différentes fonctions d’une ville qu’ils entendent bien exploiter sur le marché international où les besoins sont en croissance constante dans ce domaine, et pour longtemps.
Ils ont également développé des outils spécifiques comme par exemple le CBDD®, Carnet de bord développement durable. Mis au point à l’initiative de Syntec-Ingénierie, la fédération française de l’ingénierie, il a pris une dimension internationale avec le support de FIDIC, qui a lancé, le 18 septembre 2013 à Barcelone, le PSL «Project Sustainability Logbook», la version internationale du CBDD®, support au travail collaboratif entre toutes les parties prenantes de constructions, aménagements ou équipements pendant toute la durée de la vie de leurs composants.
Face aux réalités : les frontières critiques et l’empreinte écologique
Des exemples alarmants montrent un monde désorienté dans lequel les émissions globales de CO2 augmentent rapidement alors que la communauté internationale échoue à mettre en œuvre un plan efficace pour réduire de façon significative les émissions.
Les villes ont un impact majeur sur le climat, l’environnement global et les territoires dans lesquels elles sont implantées, elles sont de ce fait des facteurs clés de notre développement futur. La population urbaine dans le monde augmente de l’équivalent d’une ville de 1,3 million d’habitants chaque semaine !
Les villes émettent 80% de tout le dioxyde de carbone. L’approvisionnement du monde en énergie repose encore à plus de 80% sur les énergies fossiles ; la consommation énergétique augmente globalement et plus de 95% de l’énergie utilisée pour les transports provient de véhicules mus par des énergies fossiles. La société doit «Repenser les villes » pour en faire des systèmes sobres en ressources, à l’organisation spatiale optimisée, attractifs au plan social et économique, et énergétiquement performants.
Les étroites relations entre Risques climatiques - Infrastructures et Villes - Développement économique
Le livre blanc «Repenser les villes» publié le 18 septembre 2013 par EFCA, la fédération européenne de l’ingénierie, et FIDIC, la fédération internationale, souligne les points critiques suivants :
- Les risques climatiques : l’amplitude et le champ des enjeux auxquels le monde est confronté sont bien plus sérieux et globaux que ceux pris en compte par les politiques et / ou programmes d’actions habituels.
- La pauvreté : elle est source de déséquilibres graves, incompatibles avec un développement soutenable.
- Les ressources limitées et la dépendance aux énergies fossiles : elles nécessitent d’urgence des solutions nouvelles.
- La dimension internationale du développement durable : elle est incontournable et impose une meilleure éducation et une coopération élargie entre pays développés, économies émergentes et territoires moins développés.
Ce livre blanc témoigne de l’impact majeur des villes sur un développement devenu insoutenable, auquel il faut impérativement remédier par la mise en œuvre, avec notamment le concours d’ingénieristes, des solutions qui existent et qu’il est urgent de généraliser pour :
- mettre fin au sous-investissement systématique d’infrastructures : elles doivent être repensées pour être porteuses d’économies en ressources, et respectueuses de l’environnement;
- des villes économes en ressources grâce à la transformation des défis urbains en opportunités, optimisant et intégrant des systèmes de production, distribution et utilisation d’énergie, respectueuses de l’environnement, résilientes face aux aléas climatiques, avec des bâtiments et structures urbaines permettant une plus grande mobilité et une meilleure accessibilité, sobres, efficaces en recyclage des eaux usées, des déchets, etc.,
- une approche holistique améliorée intégrant le développement durable dont les enjeux globaux nécessitent le partage des responsabilités.
Repenser les principales fonctions urbaines
L’aménagent urbain autrement
Concevoir la ville dans sa globalité (et non comme un assemblage de constructions) peut être source de plus-values,jusqu’à présent peu exploitées, au regard de la valeur esthétique de sa structure, de son utilisation des sols, de son environnement social et économique, de sa performance énergétique, de sa densité et de ses variations, de son adaptation au contexte local, etc. Les ingénieristes participent à de nombreuses recherches et à des réalisations orientées dans ce sens, comme par exemple :
Le projet SYRACUSE: il explore les associations possibles entre les technologies et la gestion des services urbains sur trois flux : eaux, déchets, énergie ainsi que leurs synergies. Traditionnellement pensés à l’échelle de la ville par le biais de réseaux centralisés, ces flux sont considérés, grâce à ce projet, à une échelle décentralisée : bâtiment, quartier ou ville. Soutenu par l’ANR, ce projet, auquel contribuent notamment les ingénieristes Safege et Explicit, devrait déboucher, à l’issue de quatre années de recherche (2012-2015), entre autre sur un outil permettant la simulation de la mise en œuvre de technologies alternatives sur des territoires donnés pour en visualiser les impacts environnementaux, économiques et en partie sociaux.
L’éco quartier de l’UNION, à cheval sur les villes de Roubaix, Tourcoing et Waterloo : la transversalité des approches.
Il se singularise par la mise au point d’un référentiel dynamique développement durable (R3D) par les élus, les services des villes, les associations et les sociétés d’ingénierie, notamment Partenaires Développement (mandataire) et Praxice (Setec bâtiment), parties prenantes de ce projet. Il répertorie les ambitions visées, notamment en termes d’intégration de la nature et de la biodiversité en ville, de mobilité raisonnée et de gestion énergétique.
Le projet de ville aéroportuaire de Hongqiao, dans l’agglomération de Shangai, en Chine : mutualiser les besoins.
Cette ville rassemble centres commerciaux, bureaux, hôtels, centres de congrès, cinémas, services, etc. À l’occasion du concours pour ce projet, les équipes de l’ingénieriste ADPI ont mené une réflexion poussée pour organiser ce tissu urbain complexe. Trois enjeux ont été pris en compte par l’ingénieriste : générer une nouvelle activité économique, s’insérer entre le terminal et le tissu urbain déjà existant, optimiser la gestion des ressources pour préserver l’environnement. La proposition d’ADPI propose de mutualiser les besoins de l’aé-roport et ceux de la ville aéroportuaire.

La ville dans sa globalité. Exemple de planification intégrée, extrait de «RETHINK CITIES», livre blanc 2013 d’EFCA/FIDIC
«Half Moon Bay City», futur complexe touristique en Arabie Saoudite : une conception très intégrée.
Le master plan de cette future ville balnéaire conçu notamment par l’ingénieriste AREP en collaboration avec différentes sociétés du groupe Artelia (350 000 habitants, 100 000 emplois et 50 000 touristes) repose sur trois piliers : la création d’un paysage végétal hospitalier, une mixité programmatique permettant à cette ville de fonctionner de manière aussi équilibrée et autonome que possible, malgré sa spécialisation touristique, une conception très intégrée des réseaux de transport en commun, et de la trame urbaine.
Partager et optimiser la mobilité dans l’espace métropolitain
La mobilité des biens et des personnes est désormais pensée sur des modes attractifs, respectueux de l’environnent et économes en ressources énergétiques, dans un environnement sûr pour les piétons, les cyclistes, assurant l’accessibilité pour tous. Les synergies exploitées à tout moment, en tous endroits et entre tous modes, sont au cœur des recherches et projets d’ingénieristes comme par exemple :
La gestion dynamique des voies : cela se fait déjà à Barcelone ou dans certaines villes des États-Unis, en réservant une voie à différents usages en fonction de l’heure de la journée : stationnement, puis livraison, puis covoiturage, puis vélo ... Egis expérimente aujourd’hui ce type de système sur des voieries routières et autoroutières, le pont de Saint-Nazaire ou à Grenoble.
Des infrastructures plurifonctionnelles : souvent très mono-fonctionnelles, les infrastructures pourraient devenir plus plurifonctionnelles. Pour le tramway, cela se fait déjà dans plusieurs villes d’Allemagne ; il y a eu une expérimentation de tram-fret à Amsterdam ; une expérimentation de ce type est en cours à Paris.

La ville économe en ressources. Extrait de «RETHINK CITIES», livre blanc 2013 d’EFCA/FIDIC : le programme GI-REC, Global Initiative for Ressource Efficient Cities, du PNUE
Paysages, espaces publics et biodiversité
Des zones attractives pour la vie publique, des aires de jeux, des espaces verts et des parcs ; diversité biologique, protection des habitats et des espèces vulnérables, plantations, arbres et environnement aquatique dans l’espace public. Des jardins protégés, des zones ombragées, des lieux publics de rencontres et d’évènements.
Pour Adeline HAZAN, maire de Reims, «La redécouverte des espaces verts existants, le verdissement général de la ville auxquels invite le projet de trame verte, l’embellissement des places sont porteurs d’agrément, de lien social, d’apaisement, voire d’évasion, autant de paramètres qui font référence à la notion de calme1». Le projet «Reims 2020, le choix des proximités» auquel participent des ingénieristes en est l’expression.
Conception et construction de bâtiments
Des bâtiments neufs et anciens, économes en énergie, quasiment passifs, qui visent une performance excellente en termes de Qualité Environnementale du Bâti, afin d’allier ambiance sonore, consommation minimale de matériaux, et recyclage, des chantiers respectueux de l’environnement, des constructions optimisées par rapport aux conditions locales, etc ...
Les exemples de bâtiments particulièrement performants voire «passifs», auxquels les ingénieristes apportent leur savoir-faire se développent. Mais le challenge va bien au-delà, il porte plutôt sur la conception intégrée dès l’amont de bâtiments porteurs et vecteurs de toutes les dimensions du développement durable en coordination avec leur environnement, comme par exemple pour l’exploitation du sous-sol au plan énergétique en utilisant les ouvrages de fondation tels que les pieux et les parois des fondations comme échangeurs thermiques. On peut aussi, par ailleurs, utiliser le sous-sol pour y loger des volumes importants peu acceptables en surface et améliorer ainsi la qualité visuelle du paysage métropolitain.
Production, distribution et utilisation de l’énergie

Un challenge pour la ville. Polyville, projet d’étudiants UTC Compiègne, lauréats du concours Syntec-Ingénierie 2012 : la métropole du futur
Consommation performante d’énergie finale, production d’énergies renouvelables, distribution optimisée, stockage et consommation, réseaux locaux de chaleur et de froid, cogénération, systèmes à énergie positive.
Le projet de cluster scientifique Skolkovo Innovation Center, à Moscou : une vision intégrée mobilité, eaux, déchets, réseaux électriques et télécommunications pour une stratégie énergétique optimisée. Cette ville est destinée à accueillir plus de 5 000 étudiants, 20 000 habitants et 30 000 emplois. Les ingénieristes AREP et Setec, lauréats du concours de l’été 2010, ont entre autre proposé d’organiser la ville de façon à favoriser la mixité des usages et permettre ainsi une récupération énergétique inter-programme, avec la mise en place de réseaux urbains de chaleur et de froid.
Le projet du Grand Moscou : les différents services urbains appréhendés dans une réflexion systémique, qui combine l’ensemble des réseaux en un seul «méta-réseau» permettant la transformation, l’échange et le recyclage des différents flux. Cette proposition a été élaborée avec le concours d’EGIS, dans la cadre d’une mission sur le projet Grand Moscou qui prévoit une extension urbaine de160 000 hectares.
Les eaux dans tous leurs états
Protection des ressources en eau, minimiser les consommations d’eaux potables, réutilisation des eaux grises, utilisation de l’énergie des eaux usées pour produire de la chaleur, biogaz et traitement local des pluies d’orage.
Hô-chi-Minh ville : un projet de construction de station d’épuration qui décloisonne les approches sectorielles usuelles.
L’ingénieriste SCE choisi par la ville pour l’accompagner dans la préparation de ce projet financé par la Banque mondiale, a conduit vers un changement de paradigme concernant les boues, hier vues comme des déchets à enfouir, aujourd’hui comme des produits à valoriser, par digestion puis cogénération d’électricité, ce qui permettra de rendre la station à 25% autonome en énergie. Des financements carbone seront aussi obtenus pour les tonnes de méthane ainsi évitées.
Collecte, traitement, gestion des déchets
Des infrastructures pour le recyclage et la production d’énergie ; réduction, remplacement, récupération, compostage, production de biogaz, incinération pour production d’éner-gie et en dernier ressort enfouissement.
Des enjeux globaux qui nécessitent le partage des responsabilités entre toutes les parties prenantes et les parties intéressées.
Le cadre institutionnel et réglementaire (lois, réglementations et normes) doit être revisité pour encourager les partages au niveau des villes, et une approche nouvelle des marchés publics, du travail collaboratif, de la certification ... à commencer par le périmètre des villes et leurs compétences, comme le rappelle Jean Paul Huchon, président de la Région Île-de-France dans une interview2 : « Notre responsabilité est de réussir la transition énergétique : développer les transports collectifs, améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments et produire des énergies renouvelables. Ces trois défis appellent un travail partenarial, une mutualisation de nouveaux outils d’ac-tion publique qui dépassent les frontières des collectivités territoriales et les divisions de compétence».
Aujourd’hui, les villes sont la juxtaposition de systèmes et réseaux qui ne communiquent pas. Les partages, sur la durée, conditionnent le succès d’une politique ville durable. Ils devraient porter notamment sur :
- Le partage des visions, par exemple de l’intelligence de réseaux, mais aussi le partage des connaissances et informations pour pouvoir agir au mieux. Les solutions techniques facilitent les changements de comportement lorsque les individus prennent des responsabilités et apportent une contribution à leur mise en œuvre. Pour qu’ils y aient intérêt, il faut que les individus puissent les interpréter et recevoir un retour sur la création de valeur liée à leurs comportements.
- Le partage des méthodologies de programmation intégrée incluant des ouvrages infrastructures et équipements, mais aussi des partenariats repensés entre entités publiques et privées, ainsi que le dialogue avec usagers, acheteurs.
- Le partage des outils, en particulier les technologies de l’information et de la communication. Elles permettent de rendre l’utilisation d’énergie plus efficace et englobent tous les systèmes de communication, y compris les réseaux intelligents, radio, télévision, téléphonie mobile, infrastructures des réseaux numériques et logiciels, etc.
La démarche Carnet de bord développement durable proposée par les ingénieristes
Le CBDD®, Carnet de Bord Développement Durable, proposé par les ingénieristes, s’inscrit dans cette perspective de partage des responsabilités dans la durée. Pour un projet ou programme urbain spécifique, il permet un travail collaboratif entre toutes les parties prenantes et intéressées sur la base du même langage : les quatre piliers du développement durable explicités en 63 objectifs ou enjeux susceptibles d’être retenus pour ce projet/programme.
Utilisé pendant toute la durée de vie des composants du projet ou programme urbain, il favorise le travail collaboratif à tous niveaux, à tout moment entre toutes disciplines et tous acteurs, indispensable pour mettre en œuvre des solutions intégrant toutes les dimensions de la ville repensée.
Développé par les ingénieristes français (Syntec-Ingénierie) avec leurs partenaires architectes (SAP UNSFA75) et ingénieurs des collectivités territoriales (AITF), il se présente sous forme de tableaux commentés à remplir pour le suivi des projets ou programmes.
PSL®2013, la version internationale du CBDD®2013, a été développée avec le concours de la FMCI (Fédération Marocaine du Conseil et de l’Ingénierie), d’EFCA (fédération européenne), et de FIDIC (fédération internationale). Des outils complémentaires3, et notamment un répertoire des principales dispositions des accords, lois, normes et référentiels au niveau international, européen et français, relatifs aux 63 thèmes du CBDD®/PSL sont proposés en français et en anglais sur le site qui leur est dédié www.ppsl.org
Transformer les défis urbains en opportunités pour tous, avec le concours des ingénieristes français sur le marché international
Beaucoup de solutions existent, climatiques et énergétiques par exemple. Il convient de mettre en œuvre les synergies qui permettent d’exploiter au mieux leurs potentialités en termes d’efficacité et de productivité, économiser les ressources naturelles et réduire les coûts d’entretien.

Le CBDDTM est diffué en langue anglaise par FIDIC, la fédération internationale de l’ingénierie, sous le nom de PSLTM
Coopérations et synergies demandent toujours plus de solutions coordonnées. Les mettre en œuvre est un challenge pour les villes et les ingénieristes, mais aussi une opportunité majeure de développement sur le marché international pour ces derniers.
Comme le rappelait Nicole BRICQ, ministre du Commerce extérieur, dans «Les Cahiers de l’Ingénierie, mars 2013», «Il convient de mieux structurer notre offre pour conquérir davantage de parts de marché à l’international, et il est aussi important que nous montrions notre savoir-faire, comme l’ont fait les Suédois (Symbiocity), les Allemands (vitrine de Fribourg) ou les Japonais (une dizaine de vitrines financées à l’étranger dont une, à venir, à Lyon). L’ingénierie dispose d’atouts, l’ingénierie a vocation à être le fer de lance de l’offre française à l’international».
Au sein du COSEI, le Groupe d’Action International Transversal (GAIT), piloté avec le concours d’ingénieristes représentés par Syntec-Ingénierie, travaille à animer et coordonner l’action des éco-acteurs français à l’international. Pour Nicole Bricq, qui a lancé le 26 septembre 2013 la marque VIVAPOLIS4, «l’offre française va gagner en visibilité et en lisibilité».
Tous les exemples précités sont extraits des «Cahiers de l’ingénierie sur l’éco métropole productive, mars 20135» avec l’aimable autorisation de Syntec-Ingénierie. Cet article est également inspiré du livre blanc 2013 «Rethink Cities» d’EFCA/FIDIC auquel les auteurs ont contribué. ■
1 Interview dans «Les Cahiers de l’ingénierie», mars 2013.
2 Cahiers de l’ingénierie N° mars 2013 édité par Syntec-Ingénierie
3 ????
4 http://www.commerce-exterieur.gouv.fr/vivapolis-marque-france-ville-durable-a-linternational
5 http://www.syntec-ingenierie.fr/media/uploads/cahiers/cahier_87_eco_metropole.pdf
Aucun commentaire
Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.