Préserver la ressource et encourager de nouveaux modèles économiques : la feuille de route économie circulaire du gouvernement français Quels enjeux ? Quelles mesures ? Quel impact ?
L’économie circulaire est au cœur de la transition écologique : le modèle linéaire « extraire, produire, consommer, jeter » se heurte aujourd’hui aux limites que nous fixe la planète, et notamment à l’épuisement des ressources naturelles. La société doit évoluer vers une économie différente, plus sobre, avec des produits dont la durée de vie est supérieure, dans laquelle le gaspillage doit disparaître et les déchets constituer de nouvelles ressources. Ce changement de modèle s’inscrit d’ailleurs dans un mouvement général repris dans certaines cibles des Objectifs du Développement Durable (ODD) de l’agenda 2030 des Nations Unies, en particulier l’ODD 12 « établir des modes de consommation et production durable ».
À l’instar du Parlement Européen qui a validé le paquet Économie Circulaire fin 2017, la France veut marquer son implication sur ces sujets. Elle en a fait un objectif national et un des piliers de son développement durable, en l’inscrivant au cœur de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 18 août 2015.
Afin d’atteindre les objectifs fixés par cette loi, le gouvernement a présenté fin avril 2018 sa feuille de route pour la transition vers l’économie circulaire, à l’issue d’un processus de cinq mois de concertation avec les parties prenantes et de consultation du grand public.
Cette feuille de route vise à décliner de manière opérationnelle la transition à mener pour passer d’un modèle linéaire « extraire, produire, consommer, jeter » à un modèle différent, plus circulaire.
L’enjeu est le suivant : créer au travers d’une série de mesures ad hoc un cadre propice à cette évolution des modèles économiques. Il s’agit notamment de lever les principaux freins qui bloquent cette transition. On y retrouve l’inertie des comportements de consommation, le manque de prise de conscience de certains producteurs, l’absence de filières de recyclage ou réemploi structurées ou matures ; ou encore des problèmes de rentabilité de ces modèles face à la concurrence des matières premières vierges. Enfin les encadrements réglementaire ou fiscal restent parfois peu incitatifs, notamment en matière de déchets. Côté entreprise, cette feuille de route doit être source d’opportunités pour créer de la valeur d’une nouvelle manière, pour repenser leur business model, et viser un impact net positif sur l’environnement et la société.
À l’issue des travaux, « 50 mesures pour une économie 100% circulaire » ont donc finalement été retenues. Elles fixent le cap de la politique du gouvernement en matière de production, de consommation, de gestion des déchets et de mobilisation de l’ensemble des acteurs, dont les entreprises.
Cette feuille de route s’attache sans surprise aux problématiques de collecte et de valorisation des déchets, mais met aussi en avant l’éco-conception des produits, l’allongement de leur durée de vie en développant le réusage et la réparation, la lutte contre le gaspillage, la simplification du geste de tri, le renforcement du tri et de la valorisation des plastiques et des biodéchets.
On retiendra que dans cet exercice la France s’est fixé cinq grands objectifs chiffrés, d’ambitions variables :
- Réduire la consommation de ressources française en limitant de 30% la consommation de ressources par unité de PIB d’ici à 2030 par rapport à 2010.
- Réduire de 50% les quantités de déchets non dangereux mis en décharge en 2025 par rapport à 2010.
- Tendre vers 100% de plastiques recyclés en 2025.
- Réduire les émissions de gaz à effet de serre et économiser l’émission de huit millions de tonnes de CO2 supplémentaires chaque année grâce au recyclage du plastique.
- Créer jusqu’à 300 000 emplois supplémentaires, y compris dans des métiers nouveaux.
Ces « 50 mesures » prendront différentes formes d’ici 2019 à 2021 : des évolutions législatives et réglementaires (transposition en droit français des directives européennes issues du « paquet économie circulaire », intégration dans les prochaines Lois de Finances), des démarches d’engagement volontaire des entreprises, la mise en place de plateformes d’expérimentations, etc. Plus concrètement, cette feuille de route s’articule autour de quatre grandes idées : mieux produire, mieux consommer, mieux gérer nos déchets et mieux mobiliser tous les acteurs.
Mieux produire : ce volet, qui cible essentiellement les entreprises, vise à les inciter à produire mieux et de manière plus durable, grâce à trois types de mesures :
- En concertation avec les acteurs concernés, accroître le nombre de filières à Responsabilité Élargie des Producteurs (REP) à d’autres domaines non encore couverts. Sur le principe du pollueur payeur, ces filières prennent en charge la prévention et la gestion des déchets issus de certains types de produits (emballages ménagers, papiers, équipements électriques et électroniques, etc.). Le suivi et le contrôle des filièresseront renforcés pour assurer l’atteinte des objectifs. Les sanctions en cas de non-atteinte des objectifs le seront également.
- Par des mesures incitatives (bonus/malus) ou sur la base d’actions volontaires, les amener à faire évoluer leur mode de production et à recourir le plus possible à l’éco-conception, aux matériaux recyclés, à favoriser le réemploi et la réparation.
- Porter un focus particulier sur le secteur du BTP et inciter à plus de réemploi et de valorisation dans ce secteur 1er producteur de déchets en France.
Mieux consommer : destinées à l’ensemble des Français, ces mesures doivent leur permettre d’évoluer dans un cadre global de consommation durable. Au cœur de ces questions, une meilleure information des consommateurs et l’allongement de la durée de vie des produits, avec des propositions qui visent :
- Un renforcement de l’étiquetage dans certains domaines : à partir de 2020, pour les équipements électriques, électroniques et électroménagers, l’affichage de leur durée de vie pourrait être rendu obligatoire à travers un indice qui intégrera des critères sur leur réparabilité et leur durabilité. Une autre proposition vise à étendre l’obligation d’affichage de la durée de disponibilité des pièces détachées vis-à-vis des consommateurs et l’obligation d’afficher leur éventuelle non-disponibilité.
- La demande d’augmentation de la durée de garantie légale de conformité pour les appareils électroménagers au niveau européen, et un renforcement des contrôles.
Mieux gérer les déchets : ce volet aborde les problématiques citoyennes comme celles des entreprises et des collectivités. Les principales mesures proposent de :
- Simplifier et d’harmoniser les règles de tri des déchets surtout le territoire. Une modernisation est envisagée d’ici 2022.
- Déployer dans les collectivités volontaires des dispositifs de « consigne solidaire », où chaque bouteille ou canette collectée contribuerait à un fonds dédié à une cause environnementale, de santé ou de solidarité.
- Améliorer le dispositif signalétique « Triman » sur les produits soumis à consigne de tri, et rendre son apposition obligatoire sur certains produits à compter de 2021. Ce pictogramme sera accompagné d’une information sur le bon geste de tri ou sur les apports des différents éléments qui constituent l’emballage et le produit.
- Étudier dès l’année prochaine le déploiement d’un dispositif financier favorisant la reprise des anciens téléphones à des fins de recyclage ou de réemploi.
Mieux mobiliser l’ensemble des acteurs : l’évolution d’un système linéaire vers un modèle plus circulaire n’étant pas forcément « naturelle », cette mobilisation de tous est essentielle : citoyens, collectivités, acteurs publics, entreprises :
- Afin d’encourager les collectivités territoriales à s’engager dans l’économie circulaire, il est proposé de faciliter le déploiement de la tarification incitative de la collecte des déchets, d’adapter la fiscalité pour la valorisation des déchets, d’élaborer avec l’Ademe un référentiel de bonnes pratiques ou d’outils destinés aux autorités décentralisées pour lutter contre les dépôts sauvages de déchets.
- Concernant les entreprises, la feuille de route insiste sur une nécessaire prise de conscience de l’écoconception, l’incorporation de matières recyclées, le réemploi et la réparation dans les pratiques.
- Enfin les acteurs publics doivent être mobilisés via le levier de la commande publique, qui a le pouvoir d’entraîner les innovations en matière d’économie circulaire.
Alors qu’elle est désormais disponible, la question se pose aujourd’hui de savoir si cette feuille de route et les mesures qu’elle propose sont susceptibles d’impulser l’élan souhaité pour accompagner ce changement de modèle et si les objectifs fixés seront atteints.
Et sur ce point, les avis divergent : à sa publication, elle a suscité autant de réactions qu’elle avait engagé de participants au débat, entre satisfaction, interrogations, et déception.
Tous se sont naturellement félicités que la thématique de l’économie circulaire ait été mise sur le devant de la scène et ont reconnu la capacité de la feuille de route à instaurer une nouvelle dynamique sur ces sujets.
Issues des ateliers de discussions ou de la consultation, des pistes ont effectivement été identifiées pour encourager les initiatives dans les secteurs de la prévention, de la réparation et du recyclage, pour solliciter la commande publique et réorienter les flux de déchets et de matières recyclées. Concrètement, une série de mesures incitatives ont été proposées pour accompagner les entreprises à évoluer vers un modèle plus circulaire : appels à projets et soutien de l’Ademe et des pôles de compétitivité, « pass économie circulaire », création d’un guichet unique, mobilisation des outils de la finance verte, etc.
Beaucoup d’acteurs se reconnaissent aussi dans l’approche française, fondée sur une stratégie de ressources de long terme, comme dans la volonté du gouvernement de poursuive son action à l’échelle européenne et internationale, et notamment pour faire évoluer le droit européen sur ces sujets.
Pour autant, il semble que cette feuille de route n’ait pas encore su répondre totalement aux attentes suscitées par les ambitions qu’elle véhiculait.
Quelques mesures mériteraient d’être encore précisées, éclaircies, quantifiées.
Certains acteurs regrettent que, parmi ces 50 propositions, toutes n’affichent pas le même poids ou la même ambition, ou encore que le lien avec l’innovation et la R&D ne soit pas plus affirmé. La feuille de route souffre sans doute aussi de l’absence d’un calendrier et d’une méthodologie de mise en œuvre plus explicites. Enfin, quid de l’articulation de ces mesures avec une vision à plus longue échéance du modèle économique et industriel français…
Pour ces motifs, certains s’interrogent – et peut-être à juste raison – sur sa capacité à assurer à terme le changement de cap attendu. La solution consiste peut être à considérer cette feuille de route comme la première pierre d’un projet à construire à long terme, comme une première étape, à consolider et enrichir dans le temps. Et gageons sur la mobilisation de tous, citoyens, entreprises et acteurs publics, pour que s’opère réellement cette transition, d’un modèle linéaire vers une véritable économie circulaire. ■
Auteur

Spécialiste de ces questions dans un grand groupe industriel de dimension internationale et dans un cabinet de notation,, mes compétences professionnelles sont :
-Maîtrise des référentiels internationaux en matière de Développement Durable, Environnement, Changement climatique , expertise des cadres législatifs et fiscaux et de leurs attendus de conformité, >10 ans de pratique opérationnelle
-Lobby et négociation : représentation et défense des intérêts auprès des Pouvoirs Publics et des syndicats professionnels, subventions/aides publiques
-Stratégie : analyse des enjeux stratégiques, intégration de la transition énergétique/écologique dans la stratégie d’entreprise, stratégie d’innovation/développement produit
- Labellisation, notation extra-financière du transport marchandises
-Projets transversaux : pilotage de programmes et de projets R&D, recherche de financements et partenaires dans des projets d’investissements
-Management d'équipes, en direct et en transversal, et de budgets,
-Accompagnement des sites industriels : conformité et mise en place de nouvelles réglementations, best pratices
-Marketing et Communication : mise en marché/promotion d’offres commerciales, communication et promotion
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