Portrait d’un inventeur français : Paul Louis Toussaint Héroult (1863-1914)
Il y a trente ans, de nombreuses manifestations ont eu lieu pour commémorer le centenaire d’un brevet d’invention dont on ne soupçonnait pas à l’origine l’impact considérable.
L’aluminium, léger, brillant, ductile, était auparavant le plus rare des métaux ; or, dans la nature, il est le plus abondant après l’oxygène et le silicium : si ses composés existent aussi sous forme de pierres précieuses, il est très loin d’être le plus précieux aujourd’hui ! Mais ses usages courants, pur ou sous forme d’alliages, sont très nombreux.
Il faut citer son découvreur, Wohler (en1827), et Henri Sainte Claire Deville, le premier à l’avoir isolé (en1854) en quantités permettant l’analyse de ses propriétés ; il était si difficile à obtenir qu’on n’envisageait pas d’en faire autre chose que quelques objets de luxe. En effet, même si le principe de l’élec-trolyse était connu depuis 1850, il manquait toujours une force électrique suffisante pour offrir des rendements acceptables au mode d’extraction préconisé par Sainte Claire Deville.
Sa production industrielle rentable, à partir de 1886, est due à un étudiant de 23 ans, Paul Héroult, dont le caractère et la vie furent des plus originaux, pour son époque. Son imagination était sans cesse sollicitée par de nouvelles découvertes, et étayée par une solide rigueur scientifique. En toute circonstance, il se montrait entreprenant, aucun obstacle ne le décourageait. Par ailleurs il était bon vivant, jovial, débordant d’énergie, et faisait fi des règles mondaines.
Son environnement de jeunesse, familial et social, avait largement influencé son comportement. Il affirmait “chez nous il n’y a que des patrons” et, outre un mépris profond des diktats de la société de son temps, il en tirait la certitude que ses décisions, prises hors de toute contrainte, étaient nécessaires et suffisantes, ce qui, en effet, se révélait le plus souvent exact. Cela ne l’empêchait pas d’admirer et de respecter les grands savants, morts ou vivants. Certains de ses collaborateurs ont souffert de son esprit indépendant, inorganisé et primesautier. Cependant tous reconnaissaient que son inventivité, la vivacité de son esprit, son sens de l’observation, et son habileté technique lui permettaient d’avancer rapidement et de mener à leur terme ses nouvelles
Une enfance féconde
Dès le milieu du XVIIIe siècle, Thury-Harcourt (Calvados), avait vu se développer une importante industrie liée au cuir, attirant de nombreux ouvriers, marchands, entrepreneurs de tannerie. Les ancêtres de Paul Héroult, venus de la région de Bayeux, furent de ceux-là. En 1862, Patrice Héroult épousa la fille aînée du Maître de Poste, Marie Elise Lepetit. Le 10 avril 1863 naquit Paul Louis Toussaint, dans la tannerie Héroult, faubourg Saint-Bénin, au long de l’Orne.
Mais il resta le seul enfant, après le décès d’une sœur. Il fut un enfant adulé, dont l’esprit libre et le comportement turbulent purent s’épanouir. Il montra très tôt une intense curiosité, un goût prononcé pour l’eau et les bateaux, ceci avant la conquête de l’air, qui l’eût passionné. Il aimait rappeler qu’il descendait des Vikings ; il lisait Jules Verne, et ne se contentant pas de rêver, tentait d’engager ses camarades d’école dans d’improbables aventures.
Pour préserver cet enfant pendant la guerre de 1870, on l’envoya passer plusieurs mois à Londres où vivait, dans le quartier des tanneurs, son grand-père Toussaint Héroult, avec sa seconde femme. On imagine quel émerveillement fut pour lui la découverte de cette immense ville, la Tamise grouillante de bateaux venus du monde entier, ses industries et son commerce international en plein essor. La pratique de la langue anglaise lui fut très utile plus tard.
De retour, pensionnaire à Caen, il s’ennuya ; mais dès 1875 son père acheta une tannerie à Gentilly ainsi qu’un commerce de cuir dans le Xe arrondissement de Paris, et c’est là que Paul obtint son baccalauréat en 1880. Il avait lu à 15 ans l’ouvrage de Sainte Claire Deville « De l’aluminium », et, depuis ce moment, il rêvait de réaliser des essais en utilisant les ressources de la tannerie ; il avait hâte de devancer une éventuelle concurrence disposant comme lui des outils nécessaires. Son père cependant s’y opposait ; il l’envoya apprendre la mécanique dans une entreprise anglaise, et lui enjoignit de devenir ingénieur avant toute aventure. L’année préparatoire à l’École des Mines, au collège Sainte Barbe, lui permit d’entrer à l’École, où il eut comme professeur de chimie H. Le Chatelier. Mais son rang
L’aluminium, enfin
Dès lors, libre d’agir et appuyé par sa mère qui ne lui refusait rien, il disposa de la tannerie, dont les cuves et la dynamo Gramme lui permirent de mettre en œuvre son projet longtemps mûri. Il avait eu à l’École des Mines trois amis, avec lesquels il avait fait honneur à la vie estudiantine, passant des heures dans les cafés à jouer au billard, où son don pour le calcul mental et la précision de ses gestes lui permirent vite d’être imbattable. Il en garda l’habitude de griffonner sur les papiers qui couvraient alors les tables de bistro.
Louis Merle, qui resta toujours à ses côtés, était parmi ses compagnons. Henri Merle, père de Louis, avait été le fondateur de l’usine PCAC (Compagnie des produits chimiques d’Alais et de la Camargue) de Salindres, fabriquant depuis 1860 de l’aluminium, selon le procédé de Sainte Claire Deville, et en 1877 Pechiney (Alfred Rangod) lui avait succédé. Au long des essais qu’il fit avec ses amis, l’analyse des échecs survenus et leur correction conduisit enfin Paul jus-qu’à l’obtention du métal convoité. Il prit un brevet d’invention de 15 ans, le 23 avril 1886, intitulé « Procédé électrolytique pour la production de l’aluminium ».
“ En principe le procédé que je désire breveter, pour la préparation de l’aluminium, consiste à décomposer de l’alumine en dissolution dans un bain de cryolithe en fusion, par un courant électrique aboutissant au bain, d’une part, au moyen d’une électrode en contact avec le creuset en charbon aggloméré qui contient la cryolithe et, d’autre part, au moyen d’une autre électrode en charbon aggloméré comme la première, plongeant dans le bain.” |
Ce brevet fut complété l’année suivante par celui de la fabrication des alliages. Mais tout restait à créer, dans cette industrie nouvelle. De nombreux obstacles se présentèrent dans la recherche de capitaux, dus à l’incompétence, voire la malhonnêteté de certains, mais aussi à la défiance : lorsque Louis présenta
Un heureux hasard lui fit rencontrer Jules Dreyfus, qui l’introduisit auprès de la Société Métallurgique Suisse, prête à exploiter son procédé, ce qui aboutit à la première production industrielle, à Neuhausen. À cette époque, il s’agissait essentiellement de bronze d’aluminium ; mais le prix de l’aluminium ayant considérablement diminué, on pouvait enfin envisager des utilisations nombreuses et variées pour ce métal.
Fort de ces succès, Paul épousa en 1888 une amie d’enfance, Berthe Belliot, avec qui il eut quatre enfants, dont seuls survécurent Paul junior et Henriette. Mais en 1895, Berthe mourut, à 24 ans.
Grésivaudan et Maurienne
L’efficacité du procédé était reconnue. Une usine fut créée en 1888 à Froges, en Grésivaudan, par des investisseurs lorrains, pour mettre au point un aluminium pur, au sein de la SEMF, Société Electro Métallurgique Française, dont Paul devint directeur technique et administrateur. La chute d’eau fournissait une quantité d’électricité importante. Une équipe solide de collaborateurs, ingénieurs et ouvriers avait été réunie.
En 1892 une nouvelle usine fut construite à La Praz, en Maurienne. Paul Héroult s’ins-talla à proximité avec sa famille. Un problème de franchissement de l’Arc par une nouvelle chute d’eau l’incita à calculer une conduite en arc autoportante ; sûr de lui, il fit monter dessus, le jour de l’inauguration en 1897, sa mère et ses enfants. Ce fut un succès, et cette méthode est encore aujourd’hui utilisée partout.
La recherche de l’extension du procédé électrolytique le mit sur la voie du four à acier à arc électrique, qui porte son nom, et permet notamment la production d’aciers fins et d’aciers spéciaux. Le brevet fut pris en 1900. Depuis, il a subi de nombreuses modifications, et ses usages ont évolué, mais il s’agit toujours du même principe de base. Il est aujourd’hui universellement utilisé.
Les voyages
Il partit en 1889 avec son ami Merle pour les USA, où il était apparu qu’un
En 1899, Paul épousa en secondes noces Marguerite Chateau, filleule d’un des administrateurs. Trois enfants naquirent, Patrice, Anne-Marie et Elizabeth. Entre temps, les nouveaux mariés avaient fait pendant huit mois un tour du monde en compagnie des époux Merle, ce qui combla Paul amateur d’exotisme et de nouveauté.
Le premier voyage aux USA avait été un échec, mais il fut suivi de nombreux autres, car la réputation de Paul grandissait. Le brevet du four à arc électrique avait été racheté par la US Steel Corporation : des usines furent construites sous son expertise à Shasta (New York State) en 1905, à Sault Sainte Marie (Ontario), à Karlskoga (Suède).
La SEMF étendit son activité à Gardanne qui produisait la bauxite, d’où est extraite l’alumine. Le brevet initial étant tombé dans le domaine public en 1901, de nombreuses usines d’Aluminium furent créées, et Pechiney y prit une place prépondérante. Cette fois, il s’adjoignit la collaboration de Paul Héroult.
Finalement, sans cesser de participer au développement de leur production, il délaissa un peu les métaux, son inventivité étant sollicitée par les nombreuses techniques qui se développaient à cette époque ; en s’en inspirant et en collaborant avec divers scientifiques, il prit des brevets pour plusieurs prototypes qui virent brièvement le jour : un « pha-néroptére », aéronef à ailes apparentes, contrairement au dirigeable qu’il jugeait sans avenir, un « statoréacteur » avec lequel il avait parié de faire franchir les chutes du Niagara à une vache, laquelle dut sa survie au refus de son propriétaire, un bateau qui aurait pu être le précurseur de l’hydroglisseur, expérimenté dans un bassin à La Praz.
La fin en pleine gloire
Il amassa vite une importante fortune grâce à ses participations dans les différentes sociétés, comme administrateur et ingénieur-conseil. La communauté scientifique
Il eut le titre de Docteur honoris causa de l’Université d’Aix-la-Chapelle en 1903, la Médaille d’Or (médaille Lavoisier pour les Arts chimiques) de la Société d’Encouragement pour l’Industrie en 1904, la Croix de Chevalier de la Légion d’Honneur en 1906.
Vers 1910, l’ingénieur Adrien Badin voulut installer ‘’ la plus grande usine d’Aluminium du monde’ en Caroline du Nord ; il dut faire appel à Héroult pour régler des problèmes techniques, et toute la famille s’installa dans ces lieux chauds et humides, infestés de moustiques et de serpents. Rapidement, la santé de Paul se détériora, et son fils aîné fit tout pour le faire revenir en France dès 1912. Frustré, il passa ses derniers mois en Méditerranée sur son yacht baptisé “Samva”, projetant encore un système d’extraction directe de l’iode des algues de la mer des Sargasses ...
Il décéda le 9 mai 1914, à 51 ans, au large d’Antibes ; il est enterré dans son village natal.
Hommages
La Société Péchiney veillait à entretenir la mémoire de celui qui avait fait sa richesse, et dès 1922, on éleva un buste dans son village natal. Jusqu’en 1986, pour le centenaire du brevet initial, qui avait été suivi d’une grande quantité d’autres, il y eut des publications, des commémorations.
Mais aujourd’hui, des écoles, des rues portent son nom, sans qu’on se souvienne de l’homme, de son naturel spontané, passionné, de son grand talent, et qui n’hésita jamais à se lancer dans les plus difficiles réalisations. Pourtant il a ouvert la voie il y a plus de cent ans à une évolution radicale de notre vie quotidienne, en posant les bases de l’électrométallurgie, grâce à ses inventions toujours d’actualité. ■
Sources diverses : textes de famille, discours de commémoration, articles sur la métallurgie (web France et US), IHA (Institut pour l’Histoire de l’Aluminium).
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