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janvier 2017

Portrait d’un inventeur français : Paul Louis Toussaint Héroult (1863-1914)

Publié par Claire GIRARDEAU-MONTAUT Maître de Conférences en Sciences à l’Université, retraitée Arrière-petite fille de Paul Héroult | N° 489 - CONSTRUCTION NAVALE ET CROISIÈRES / L’ALUMINIUM, HIER ET DEMAIN


Il y a trente ans, de nombreuses manifestations ont eu lieu pour commémorer le centenaire d’un brevet d’invention dont on ne soupçonnait pas à l’origine l’impact considérable.

L’aluminium, léger, brillant, ductile, était auparavant le plus rare des métaux ; or, dans la nature, il est le plus abondant après l’oxygène et le silicium : si ses composés existent aussi sous forme de pierres précieuses, il est très loin d’être le plus précieux aujourd’hui ! Mais ses usages courants, pur ou sous forme d’alliages, sont très nombreux.

Il faut citer son découvreur, Wohler (en1827), et Henri Sainte Claire Deville, le premier à l’avoir isolé (en1854) en quantités permettant l’analyse de ses propriétés ; il était si difficile à obtenir qu’on n’envisageait pas d’en faire autre chose que quelques objets de luxe. En effet, même si le principe de l’élec-trolyse était connu depuis 1850, il manquait toujours une force électrique suffisante pour offrir des rendements acceptables au mode d’extraction préconisé par Sainte Claire Deville.

Sa production industrielle rentable, à partir de 1886, est due à un étudiant de 23 ans, Paul Héroult, dont le caractère et la vie furent des plus originaux, pour son époque. Son imagina­tion était sans cesse sollicitée par de nouvelles découvertes, et étayée par une solide rigueur scientifique. En toute cir­constance, il se montrait entreprenant, aucun obstacle ne le décourageait. Par ailleurs il était bon vivant, jovial, débordant d’énergie, et faisait fi des règles mondaines.

Son environnement de jeunesse, familial et social, avait lar­gement influencé son comportement. Il affirmait “chez nous il n’y a que des patrons” et, outre un mépris profond des dik­tats de la société de son temps, il en tirait la certitude que ses décisions, prises hors de toute contrainte, étaient nécessaires et suffisantes, ce qui, en effet, se révélait le plus souvent exact. Cela ne l’empêchait pas d’admirer et de respecter les grands savants, morts ou vivants. Certains de ses collabora­teurs ont souffert de son esprit indépendant, inorganisé et primesautier. Cependant tous reconnaissaient que son inventivité, la vivacité de son esprit, son sens de l’observation, et son habileté technique lui permettaient d’avancer rapidement et de mener à leur terme ses nouvelles



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Figure n°1 : Paul Héroult et sa mère en 1870


idées.

Une enfance féconde

Dès le milieu du XVIIIe siècle, Thury-Harcourt (Calvados), avait vu se développer une importante industrie liée au cuir, atti­rant de nombreux ouvriers, marchands, entrepreneurs de tannerie. Les ancêtres de Paul Héroult, venus de la région de Bayeux, furent de ceux-là. En 1862, Patrice Héroult épousa la fille aînée du Maître de Poste, Marie Elise Lepetit. Le 10 avril 1863 naquit Paul Louis Toussaint, dans la tannerie Héroult, faubourg Saint-Bénin, au long de l’Orne.

Mais il resta le seul enfant, après le décès d’une sœur. Il fut un enfant adulé, dont l’esprit libre et le comportement turbulent purent s’épanouir. Il montra très tôt une intense curiosité, un goût prononcé pour l’eau et les bateaux, ceci avant la conquête de l’air, qui l’eût passionné. Il aimait rappeler qu’il descendait des Vikings ; il lisait Jules Verne, et ne se conten­tant pas de rêver, tentait d’engager ses camarades d’école dans d’improbables aventures.

Pour préserver cet enfant pendant la guerre de 1870, on l’envoya passer plusieurs mois à Londres où vivait, dans le quartier des tan­neurs, son grand-père Toussaint Héroult, avec sa seconde femme. On imagi­ne quel émerveillement fut pour lui la découverte de cette immense ville, la Tamise grouillante de bateaux venus du monde entier, ses industries et son commerce international en plein essor. La pratique de la langue anglaise lui fut très utile plus tard.

De retour, pensionnaire à Caen, il s’ennuya ; mais dès 1875 son père acheta une tannerie à Gentilly ainsi qu’un commer­ce de cuir dans le Xe arrondissement de Paris, et c’est là que Paul obtint son baccalauréat en 1880. Il avait lu à 15 ans l’ouvrage de Sainte Claire Deville « De l’aluminium », et, depuis ce moment, il rêvait de réaliser des essais en utilisant les res­sources de la tannerie ; il avait hâte de devancer une éven­tuelle concurrence disposant comme lui des outils néces­saires. Son père cependant s’y opposait ; il l’envoya apprendre la mécanique dans une entreprise anglaise, et lui enjoignit de devenir ingénieur avant toute aventure. L’année préparatoire à l’École des Mines, au collège Sainte Barbe, lui permit d’entrer à l’École, où il eut comme professeur de chimie H. Le Chatelier. Mais son rang



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Figure n°2 : Essais à Froges en 1890


à la fin de l’année 1883 fut insuffisant pour y rester. Dépité, il s’engagea pour un an dans l’artillerie. Quelques semaines après son retour, son père mourait, à 51 ans.

L’aluminium, enfin

Dès lors, libre d’agir et appuyé par sa mère qui ne lui refusait rien, il disposa de la tannerie, dont les cuves et la dynamo Gramme lui permirent de mettre en œuvre son projet long­temps mûri. Il avait eu à l’École des Mines trois amis, avec les­quels il avait fait honneur à la vie estudiantine, passant des heures dans les cafés à jouer au billard, où son don pour le calcul mental et la précision de ses gestes lui permirent vite d’être imbattable. Il en garda l’habitude de griffonner sur les papiers qui couvraient alors les tables de bistro.

Louis Merle, qui resta toujours à ses côtés, était parmi ses compagnons. Henri Merle, père de Louis, avait été le fonda­teur de l’usine PCAC (Compagnie des produits chimiques d’Alais et de la Camargue) de Salindres, fabriquant depuis 1860 de l’aluminium, selon le procédé de Sainte Claire Deville, et en 1877 Pechiney (Alfred Rangod) lui avait succé­dé. Au long des essais qu’il fit avec ses amis, l’analyse des échecs survenus et leur correction conduisit enfin Paul jus-qu’à l’obtention du métal convoité. Il prit un brevet d’invention de 15 ans, le 23 avril 1886, intitulé « Procédé électroly­tique pour la production de l’aluminium ».

“ En principe le procédé que je désire breveter, pour la préparation de l’aluminium, consiste à décomposer de l’alumine en dissolution dans un bain de cryolithe en fusion, par un courant électrique aboutissant au bain, d’une part, au moyen d’une électrode en contact avec le creuset en charbon aggloméré qui contient la cryolithe et, d’autre part, au moyen d’une autre électrode en charbon aggloméré comme la première, plongeant dans le bain.”

Ce brevet fut complété l’année suivante par celui de la fabrication des alliages. Mais tout restait à créer, dans cette industrie nouvelle. De nombreux obstacles se présentèrent dans la recherche de capi­taux, dus à l’incompétence, voire la malhonnêteté de certains, mais aussi à la défiance : lorsque Louis présenta



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Figure n°3 : Conduite forcée sur l’Arc


Paul à Pechiney, celui-ci, vexé d’avoir été battu au billard, dit-on, éconduisit le jeune pré­somptueux.

Un heureux hasard lui fit rencontrer Jules Dreyfus, qui l’introduisit auprès de la Société Métallurgique Suisse, prête à exploiter son procé­dé, ce qui aboutit à la première production industrielle, à Neuhausen. À cette époque, il s’agissait essentiellement de bronze d’aluminium ; mais le prix de l’aluminium ayant consi­dérablement diminué, on pouvait enfin envisager des utilisa­tions nombreuses et variées pour ce métal.

Fort de ces succès, Paul épousa en 1888 une amie d’enfance, Berthe Belliot, avec qui il eut quatre enfants, dont seuls sur­vécurent Paul junior et Henriette. Mais en 1895, Berthe mou­rut, à 24 ans.

Grésivaudan et Maurienne

L’efficacité du procédé était reconnue. Une usine fut créée en 1888 à Froges, en Grésivaudan, par des investisseurs lorrains, pour mettre au point un aluminium pur, au sein de la SEMF, Société Electro Métallurgique Française, dont Paul devint directeur technique et administrateur. La chute d’eau four­nissait une quantité d’électricité importante. Une équipe soli­de de collaborateurs, ingénieurs et ouvriers avait été réunie.

En 1892 une nou­velle usine fut construite à La Praz, en Maurienne. Paul Héroult s’ins-talla à proximité avec sa famille. Un problème de fran­chissement de l’Arc par une nouvelle chute d’eau l’incita à calculer une conduite en arc autoportante ; sûr de lui, il fit monter dessus, le jour de l’inauguration en 1897, sa mère et ses enfants. Ce fut un succès, et cette méthode est enco­re aujourd’hui utilisée partout.

La recherche de l’extension du procédé électrolytique le mit sur la voie du four à acier à arc électrique, qui porte son nom, et permet notamment la production d’aciers fins et d’aciers spéciaux. Le brevet fut pris en 1900. Depuis, il a subi de nom­breuses modifications, et ses usages ont évolué, mais il s’agit toujours du même principe de base. Il est aujourd’hui uni­versellement utilisé.

Les voyages

Il partit en 1889 avec son ami Merle pour les USA, où il était apparu qu’un



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Figure n°4 : Premier four électrique à la Praz en 1903


jeune inventeur, Charles Martin Hall, venait de breveter un procédé presque identique au sien, en juillet 1886, mais que son pays reconnaissait en priorité. Après un procès perdu, des accords intervenus, Charles et Paul, bien que très différents dans leur vie personnelle, devinrent de bons amis. Ils étaient nés la même année, et moururent la même année.

En 1899, Paul épousa en secondes noces Marguerite Chateau, filleule d’un des administrateurs. Trois enfants naquirent, Patrice, Anne-Marie et Elizabeth. Entre temps, les nouveaux mariés avaient fait pendant huit mois un tour du monde en compagnie des époux Merle, ce qui combla Paul amateur d’exotisme et de nouveauté.

Le premier voyage aux USA avait été un échec, mais il fut suivi de nombreux autres, car la réputation de Paul grandis­sait. Le brevet du four à arc électrique avait été racheté par la US Steel Corporation : des usines furent construites sous son expertise à Shasta (New York State) en 1905, à Sault Sainte Marie (Ontario), à Karlskoga (Suède).

La SEMF étendit son activité à Gardanne qui produi­sait la bauxite, d’où est extraite l’alumine. Le brevet initial étant tombé dans le domaine public en 1901, de nombreuses usines d’Aluminium furent créées, et Pechiney y prit une place prépondérante. Cette fois, il s’adjoignit la collaboration de Paul Héroult.

Finalement, sans cesser de participer au développe­ment de leur production, il délaissa un peu les métaux, son inventivité étant sollicitée par les nom­breuses techniques qui se développaient à cette époque ; en s’en inspirant et en collaborant avec divers scientifiques, il prit des brevets pour plusieurs prototypes qui virent brièvement le jour : un « pha-néroptére », aéronef à ailes apparentes, contraire­ment au dirigeable qu’il jugeait sans avenir, un « sta­toréacteur » avec lequel il avait parié de faire fran­chir les chutes du Niagara à une vache, laquelle dut sa survie au refus de son propriétaire, un bateau qui aurait pu être le précurseur de l’hydroglisseur, expé­rimenté dans un bassin à La Praz.

La fin en pleine gloire

Il amassa vite une importante fortune grâce à ses participa­tions dans les différentes sociétés, comme administrateur et ingénieur-conseil. La communauté scientifique



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Figure n°5 : Page du brevet de l’ hydroglisseur


cherchait à le connaître, et il reçut avec plaisir et profit à La Praz un grand nombre de visiteurs, ingénieurs ou savants.

Il eut le titre de Docteur honoris causa de l’Université d’Aix-la-Chapelle en 1903, la Médaille d’Or (médaille Lavoisier pour les Arts chimiques) de la Société d’Encouragement pour l’Industrie en 1904, la Croix de Chevalier de la Légion d’Honneur en 1906.

Vers 1910, l’ingénieur Adrien Badin voulut installer ‘’ la plus grande usine d’Aluminium du mondeen Caroline du Nord ; il dut faire appel à Héroult pour régler des problèmes tech­niques, et toute la famille s’installa dans ces lieux chauds et humides, infestés de moustiques et de serpents. Rapidement, la santé de Paul se détériora, et son fils aîné fit tout pour le faire revenir en France dès 1912. Frustré, il passa ses derniers mois en Méditerranée sur son yacht baptisé “Samva”, projetant encore un système d’extraction directe de l’iode des algues de la mer des Sargasses ...

Il décéda le 9 mai 1914, à 51 ans, au large d’Antibes ; il est enterré dans son village natal.

Hommages

La Société Péchiney veillait à entretenir la mémoire de celui qui avait fait sa richesse, et dès 1922, on éleva un buste dans son village natal. Jusqu’en 1986, pour le centenaire du brevet initial, qui avait été suivi d’une grande quantité d’autres, il y eut des publications, des commémorations.

Mais aujourd’hui, des écoles, des rues portent son nom, sans qu’on se souvienne de l’homme, de son naturel spontané, passionné, de son grand talent, et qui n’hésita jamais à se lancer dans les plus difficiles réalisations. Pourtant il a ouvert la voie il y a plus de cent ans à une évo­lution radicale de notre vie quotidienne, en posant les bases de l’électrométallurgie, grâce à ses inventions tou­jours d’actualité. ■

 

Sources diverses : textes de famille, discours de commémoration, articles sur la métallurgie (web France et US), IHA (Institut pour l’Histoire de l’Aluminium).

 

 

 

 

Auteur

Claire GIRARDEAU-MONTAUT Maître de Conférences en Sciences à l’Université, retraitée Arrière-petite fille de Paul Héroult

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