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septembre 2008

Passé et futur des tunnels routiers et ferroviaires en Europe

Setec TPI

Au cours d'une longue carrière de Directeur à SETEC TPI, branche Infrastucture de la Société d'Etudes Techniques et Economiques, il a notamment dirigé, en tant que Maître d'Œuvre, les travaux de creusement de la partie française du tunnel routier du Fréjus et de celle du tunnel sous la Manche. Il participe depuis aux études du tunnel ferroviaire Lyon-Turin.


L’art de creuser des galeries est un art ancestral qui s’est beaucoup développé à la grande époque des mines. Mais, avec les fermetures de nombreuses mines, on se rend compte que les projets de tunnels ayant d’autres destinations ont pris le relais, notamment en Europe, dans les domaines routiers et ferroviaires.

Les tunnels ferroviaires du XIXème siècle

À partir du milieu du XIXème siècle, le développement des chemins de fer a conduit à la réalisation de nom­breux tunnels ; en effet, la voie sur rail n’autorisant pas des pentes dépassant sensiblement 3%, les lignes pas­sent en tunnel dès qu’elles rencontrent un relief acci­denté. Malgré des techniques peu évoluées de creuse­ment et de soutènement, nos anciens n’ont pas hésité à entreprendre des projets considérables pour traverser les grandes barrières constituées par les Alpes, les Pyrénées, etc. Le tunnel du Mont Cenis (près de 14 km - 1872) pour relier la Savoie au Piémont, les tunnels du Simplon (19,8 km - 1906), du St Gothard (15 km - 1881), en direction de l’Italie, et bien d’autres, ont été réalisés avec succès pour permettre de relier le Nord de l’Europe au Sud, ou l’Ouest à l’Est.

Les métros

À la même époque les grandes métropoles comme Londres puis Paris ont entrepris de réaliser des réseaux de transport métropolitains sur rail. Les souterrains étaient souvent des tranchées couvertes réalisées à ciel ouvert sous les grandes voies de circulation mais un certain nombre d’entre eux (notamment les passages sous la Tamise ou sous la Seine) devaient être réalisés en tunnel foré dans des conditions difficiles dûes à leur situation sous la nappe et à des terrains variés. Là encore, lorsqu’on voit le temps très court dans lequel on a construit le métro parisien et qu’on le compare au temps qu’il a fallu, presque un siècle plus tard pour réa­liser le remarquable RER parisien, avec des moyens techniques beaucoup plus développés, on est saisi d’admiration pour les techniciens de l’époque et pour les décideurs qui ont réussi à mobiliser les ressources techniques et financières nécessaires pour entreprendre et mener à bonne fin un projet de cette ampleur en un temps aussi court (10 lignes entre 1898 et 1913).

Les tunnels routiers et autoroutiers

Après la seconde guerre mondiale, on a assisté à un développement rapide des réseaux routiers et autorou­tiers des divers pays européens. Le coût du transport routier s’est abaissé de plus en plus ; il est vrai que le transport routier est indispensable pour desservir les usagers



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Figure n°1 : Michel LEVY (X58-PC63)


même en cas de transport ferroviaire car il faut apporter les marchandises à la gare de départ et les dis­tribuer à partir de la gare d’arrivée. Il est donc devenu tentant d’utiliser le transport routier pour accomplir la totalité de la distance, en évitant les transferts de charge. Les progrès accomplis dans les techniques de creuse­ment et de ventilation des tunnels ont permis, en cette seconde moitié du XXème siècle, de réaliser des tunnels routiers de grande longueur dont les plus importants, en Europe, ont été le tunnel du Mont Blanc (11,6 km) ouvert en 1965, celui du St Gothard (17km) ouvert en 1980, celui du Fréjus (12,9 km) ouvert en 1980 et celui de l’Arlberg (un tube de 11 km contigu à un tube de 3 km) ouvert à la même époque en 1978.

Progrès techniques

Au cours de ce dernier demi-siècle, les progrès techniques ont accompagné les projets et ont permis de forer dans des terrains de plus en plus variés, avec plus de vitesse et de sécurité.

Citons notamment :

  • pour le creusement à l’explosif, les marteaux perforateurs équi­pant des jumbos (plateformes roulantes à plusieurs bras portant des glissières équipées de marteaux perforateurs) devenus robofores (jumbos dont les bras sont guidés de façon automatique en fonction d’un plan de tir introduit dans l’ordinateur de bord).
  • pour le soutènement, la banalisation des boulons radiaux, des boulons de front ou des voûtes parapluies de grande longueur et la généralisation du béton projeté, mis en place par des robots à bras mécanisés,
  • enfin et surtout, les tunneliers qui forent à grande vitesse et peu­vent poser le revêtement grâce à un érecteur de voussoirs ; les trois familles de tunneliers, ouvert, à pression de boue bentonitique ou à pression de terre permettent d’atteindre des vitesses de plus de 500 m par mois, voire de dépasser un km par mois.

Renouveau des tunnels ferroviaires de grande longueur

L’augmentation de longueur des tunnels routiers entrepris après la seconde guerre mondiale était cependant, limitée par les nécessités de la ventilation ; la pollution émise par les moteurs de véhicules routiers (CO, CO2, NO, NO2, poussière, etc.) était importante et malgré la réalisation de puits intermédiaires de ventilation (verti­caux réalisés par méthode minière, ou inclinés, réalisés au tunne­lier), on n’imaginait guère de dépasser 20 km de longueur pour des tunnels routiers. Les tunnels les plus longs n’ont été réalisés à cette époque, que pour une circulation ferroviaire à traction électrique :

  • l’ancêtre des


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Figure n°2 : Le premier “jumbo” de l’entrepreneur Favre au tunnel de St Gothard


longs tunnels, le tunnel de Seikan (54 km) reliant l’île de Honshu à l’île d’Hokkaïdo, au Nord du Japon, a été déci­dé après une tempête qui a causé le naufrage de cinq ferries et la mort de 1400 personnes en 1954. Réalisé avec des moyens “classiques” c’est-à-dire sans recourir aux tunneliers, sa construction a duré 20 ans jusqu’à son ouverture en 1988,
  • les tunnels suivants ont été réalisés en faisant un large appel aux tunneliers qui permettaient, dans des terrains pas trop hétéro­gènes, des avancements plus rapides :
  • - le tunnel sous la Manche (trois tubes parallèles de 50 km) concédé en début 1986 a été mis en service en 1994. Il ouvre la génération des tunnels ferroviaires conçus pour faire passer un haut débit de trains de voyageurs ou de marchandises, mais aussi des navettes transportant des voitures ou des poids lourds.

    Certes le tunnel sous la Manche a été victime d’un montage financier irréaliste (Margaret Thatcher, après avoir déclaré, à propos de l’Europe “I want my money back”, avait décidé, à propos du tunnel sous la Manche “not a penny from the government” et l’avait fait acter dans le traité franco-britan­nique de Canterbury). Mais, sur le plan technique, il a été considéré comme un succès et, depuis 1994 (14 ans déjà !) sa fréquentation ne se dément pas.

    Le développement considérable du trafic PL (poids lourds) sur les grandes voies de communication a commencé, vers la fin du XXème siècle a susciter de fortes réticences, de la part des riverains qui se plaignaient de la pollution, du bruit et des risques d’accident. Ces plaintes étaient particulièrement fortes dans les zones de montagne où la pollution des poids lourds s’accroît dans les montées et où les touristes et ceux qui les accueillent recherchent le calme et l’air pur. C’était le cas notamment en Suisse, en Autriche et en France (vallée de Chamonix) qui sont parcourues par les trafics de transit euro­péens Nord-Sud et Est-Ouest.

    Dans la foulée de la réussite, constatée, du tunnel sous la Manche, un grand nombre de projets de tunnels ferroviaires d’une cinquantaine de kilomètres de longueur ont alors été envi­sagés, dans le but d’éviter aux poids lourds de monter à une alti­tude supérieure à 1000 m, en les chargeant sur des navettes fer­roviaires qui leur font traverser les massifs montagneux.

    On a même envisagé de faire traverser toute une région avec des projets appelés autoroutes ferroviaires comportant un tun­nel de base d’une cinquantaine de kilomètres et plusieurs tun­nels de moindre longueur pour atteindre plusieurs centaines de kilomètres entre la gare de chargement



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    Figure n°3 :


    et la gare de décharge­ment.

    C’est ainsi que la Suisse a lancé le projet du Lötschberg (tunnel de base de 34,6 km) dont la première phase a été mise en ser­vice en juin 2007, ainsi que le projet du Gothard (tunnel de base de 57 km) dont les travaux sont très avancés.

    L’Autriche et l’Italie préparent le projet du Brenner (tunnel de base de 55 km).

    La France et l’Italie préparent le projet LTF (Lyon-Turin ferroviai­re) dont le tunnel de base du Mont d’Ambin a une longueur de 53 km et dont la longueur cumulée des divers tunnels de l’iti-néraire atteindra 120 km.

    Les incendies de tunnels

    Cependant, en cette fin de vingtième siècle, un phénomène inquiétant, de nature à freiner l’enthousiasme pour les projets de tunnels, a commencé à se développer dans les tunnels existants, surtout dans les tunnels routiers ; c’est celui des incendies condui­sant à un nombre plus ou moins important de victimes et mena­çant l’intégrité de la structure des tunnels. Même si, statistique­ment, le nombre global de victimes est beaucoup plus limité en tunnel, qu’à l’air libre, le nombre de victimes provoqué par un seul incident impressionne.

    Certes, il y a toujours eu des incendies dans les tunnels mais les dégâts étaient en général limités et les victimes peu nombreuses.

    Ainsi, par exemple, le tunnel routier du Fréjus ouvert en juillet 1980 a connu en 1983 l’incendie d’un poids lourd transportant des sacs poubelles en plastic, qui a pris feu sans cause extérieure (fuite d’huile de la boîte de vitesse tombant sur le tuyau d’échappement). Cet incendie a pu être éteint en 1h30, il n’y a pas eu de victimes et la dalle du plafond de ventilation a été légèrement endommagée ; après un renfort provisoire de cette dalle par étais verticaux latéraux, le trafic à repris, moins de 24 heures après le début de l’incendie, à l’alternat, dans la zone endommagée d’une centaine de mètres. Les travaux de confortement définitif de la dalle et de réparation des équipements endommagés, se sont réa­lisés, au cours des mois suivants sans interrompre le trafic main­tenu à l’alternat dans cette zone.

    Les exploitants de tunnels avaient tendance à ne pas faire de publicité sur ces incendies, pour ne pas effrayer les “clients”, dès l’instant que le trafic pouvait être maintenu dans des conditions de sécurité convenables ; mais il y a sûrement eu de nombreux incidents de ce type dont on a peu entendu parler, car les incen­dies ont été éteints rapidement, sans faire de victimes et ont per­turbé l’exploitation pendant peu de temps.

    Paradoxalement,



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    Figure n°4 : Travaux dans le tunnel du Mont-Blanc après un début d’incendie


    le premier incendie important de tunnel a eu lieu au tunnel sous la Manche en novembre 1996 (deux ans et demi après la mise en service) avec un poids lourd transporté sur une navette ferroviaire (incendie volontaire ou négligence, on ne l’a jamais su, mais il est rare qu’un poids lourd prenne feu, sans cause extérieure, lorsqu’il est à l’arrêt, chargé sur son wagon), la navette ayant dû s’arrêter en plein tunnel, en raison d’une fausse alarme vraisemblablement provoquée par l’incendie, le feu s’est propagé aux neuf poids lourds des wagons adjacents ; il n’a pas pu être éteint, a duré 15 heures et a provoqué des dégâts importants aux équipements, sur 3 km de longueur, et, au génie civil (mais sans effondrement), sur 0,5 km. Heureusement, le personnel et les chauffeurs de poids lourd ont pu être évacués sains et saufs vers le tunnel de service, malgré quelques cafouillages dans l’utilisation des innombrables organes de sécurité par un personnel encore peu expérimenté. Le trafic a repris, après quelques jours, dans l’autre tube ferroviaire mis à l’alternat sur le tiers central de sa lon­gueur.

    Les réparations ont permis de remettre le tunnel en service, sans restriction, six mois après l’incendie.

    C’est le 24 mars 1999 qu’est survenu l’incendie du tunnel du Mont Blanc qui a duré 53 heures, impliqué 14 poids lourds et fait 39 morts, la plupart intoxiqués par les fumées riches en CO pro­duites par le feu en milieu confiné.

    Peu de temps après, le tunnel de Tauern, en Autriche (28 mai 1999 - 12 morts) et celui du Gothard en Suisse (24 octobre 2001 - 11 morts) subissaient des incendies avec plus de 10 victimes à chaque fois. Enfin, le 11 novembre 2000, un train funiculaire pour skieurs prenait feu, dans le tunnel de Kaprun (Autriche), provo­quant la mort de 155 personnes.

    Nouveaux règlements de sécurité des tunnels en cas d’incendie

    Tous ces événements ont conduit à une accélération des réflexions pour accroître la sécurité des tunnels en cas d’incendie.

    Tunnels routiers

    La circulaire du 25 août 2000, puis la circulaire de 2006 en France, la directive européenne 2004-54, etc., ont défini des conditions à respecter dans les tunnels routiers. Elles conduisent à prévoir, pour chaque tunnel, soit deux tubes à sens unique permettant d’évacuer les personnes présentes dans un tube en feu, vers l’autre tube, par des galeries de communication régulièrement réparties, soit un tunnel à double sens avec des abris pressurisés régulière­ment répartis le long du tunnel où les usagers peuvent se réfugier en cas d’incendie et où on peut venir les chercher pour les évacuer par une galerie indépendante



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    Figure n°5 :


    du tunnel (qui est une galerie de sécurité parallèle au tunnel ou un conduit de ventilation d’air frais protégé contre le feu pendant une durée suffisante).

    Tunnels ferroviaires

    Pour les tunnels ferroviaires, l’instruction ITI 98-300 en France et le projet de STI européenne (Spécification Technique d’Interopérabilité) du 05/07/2007 relative à la sécurité dans les tunnels ferroviaires ont également précisé et développé les condi­tions à respecter par les tunnels ferroviaires, en fonction de leur longueur et de leur utilisation (trains de voyageurs, ou trains de marchandises avec ou sans matières dangereuses, ou trafic mixtes).

    Dans les projets actuels, cela se traduit par la nécessité de prévoir, selon la longueur :

    • des galeries ou puits d’évacuation pour les passagers (avec ou sans abri où ils peuvent attendre les secours), pour des tunnels de longueur moyenne,
    • des tunnels à deux tubes à sens unique avec possibilité d’évacuer les passagers d’un tube dans l’autre, pour des tunnels plus longs,
    • des tunnels à deux tubes plus des stations d’intervention ou d’évacuation pour les tunnels très longs.

    Un avantage des règles des tunnels ferroviaires, par rapport aux règles des tunnels routiers, est que les premières imposent des conditions à respecter par la conception et les matériaux constitu­tifs des trains pour que leur capacité calorifique soit réduite au minimum ; cela n’est pas le cas pour les règlements des tunnels routiers qui ne traitent pas des véhicules traversant les tunnels (pas même la contenance des réservoirs de gazole des PL).

    Les deux types de règles ne peuvent cependant pas limiter la capa­cité calorifique des bagages transportés par les passagers ou les marchandises transportées par les poids lourds ou les trains de frêt (sauf dans le cas des matières dangereuses qui sont réglemen­tées). Dans l’incendie de 1996 du tunnel sous la Manche, le camion qui a produit le plus de calories, en brûlant, est un camion chargé de bacon destiné au fameux “bacon and eggs” qui est à la base de la réputation des breakfasts britanniques. Le bacon n’avait jamais été classé “matière dangereuse”.

    Conclusion

    Malgré les coûts supplémentaires que vont générer ces nouvelles règles, on peut penser que l’élévation continue du coût du pétro­le et la limitation des émissions de CO2 vont conduire à un déve­loppement du transport ferroviaire et, par conséquent au dévelop­pement des tunnels qui seront de plus en plus nombreux et de plus en plus sûrs. ■

    Auteur

    Michel LEVY (X58-PC63)

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