Monaco, exemple remarquable d’urbanisme souterrain Interview de Patrice Cellario réalisée par Pierre Duffaut (E45)
Directeur de la Prospective, de l'Urbanisme et de la Mobilité de la Principauté de Monaco.
Après un doctorat en Énergétique à Grenoble, il a conduit, comme Directeur des Travaux Publics à Monaco, les opérations de mise en souterrain de la voie ferrée et de la gare, l'urbanisation du quartier de Fontvieille, la construction du Grimaldi Forum et a initié l'opération de protection et d'extension du port de la Condamine.
Cette interview est également parue dans le numéro 2O8 de la revue TUNNELS ET OUVRAGES SOUTERRAINS (juillet-aout 2008) qui sera distribuée au congrès international de l'AFTES (du 6 au 8 octobre à Monaco)
Pourquoi la Principauté de Monaco est-elle devenue un exemple d’urbanisme souterrain ?
La Principauté est un très petit territoire : 160 hectares au milieu du XIXème siècle, 202 aujourd’hui, enclavé dans le territoire français, coincé entre mer et montagne. S’il compte 32 000 habitants la nuit, il y en a deux fois plus le jour, grâce aux emplois offerts aux communes voisines du département des Alpes-Maritimes. Cette activité suscite une forte demande d’espace, pour construire, circuler, transporter, et assurer tous les services urbains. Le relief y est une contrainte forte : le Rocher abrupt porte le palais princier et la vieille ville à l’altitude 60 m, alors que la ville nouvelle s’étage de 0 à 160 m, au flanc du Mont Agel. Le réseau routier présente de nombreux lacets, tandis que le chemin de fer, qui passe à 25 m d’altitude environ, a longtemps coupé la ville en deux ; ses deux gares occupaient beaucoup d’espace, celle de Monte-Carlo, juste en-dessous du Casino, et la principale au pied du Rocher.
Quelles ont été les solutions ?
Il n’y avait que deux façons de gagner de l’espace : sur la mer - on a commencé dès le XIXème siècle pour arriver aujourd’hui à près de 45 hectares - et sous la terre. La première réflexion a porté sur la mise en souterrain de la voie ferrée, qui a été réalisée en deux phases : autour de 1960, un tunnel de près de trois km a supprimé la partie orientale de la voie et la gare de Monte Carlo. La voie a été remplacée par une avenue nouvelle, et les déblais du tunnel ont permis de restructurer en bord de mer le nouveau quartier du Larvotto,
Quelles sont les principales problématiques auxquelles le sous-sol a pu répondre ?
Après le gain d’espace à bâtir, en lieu et place de la voie ferrée et sur la mer, la deuxième problématique à laquelle répond l’espace souterrain est celle des déplacements, dans l’optique d’améliorer le cadre de vie des quartiers. Dans un premier temps, l’exigence de desserte du quartier de Fontvieille a nécessité la réalisation de deux tunnels passant sous le Rocher. Actuellement, un nouveau schéma de circulation est en cours de mise en œuvre. Il vise à réduire ou supprimer la circulation de transit dans les quartiers, grâce à une dorsale à 80 % souterraine, placée sous l’emprise de l’ancienne voie ferrée (la réalisation en cours doit se poursuivre jusqu’en 2010), dont la surface a été rendue aux piétons et à l’urbanisation.

Figure n°2 : La nouvelle gare souterraine, au coeur de la Principauté + Intérieur de la gare souterraine
Par ailleurs, une politique très importante de parkings publics a été engagée pour éviter le stationnement en surface et libérer l’espace public : plus de 15 000 places sont réparties sur le territoire, en sus des parkings privés imposés pour les logements et les zones d’activités. La plupart sont en sous-sol, par exemple celui des Boulingrins devant le Casino. Certains acceptent les autocars de tourisme, notamment au pied du Rocher. L’espace ainsi libéré est restitué aux piétons et à l’agrément : ainsi, Monaco compte plus de 34 hectares d’espaces verts ouverts au public, soit plus de 15% de son territoire.
Enfin et toujours dans le domaine des déplacements, une vigoureuse politique de liaisons piétonnes mécanisées, ascenseurs ou escaliers mécaniques, est mise en œuvre pour effacer les contraintes des fortes dénivelées et encourager ainsi la marche à pied, premier mode de déplacement à Monaco.
Où sont les acteurs de l’Espace souterrain ?
En 1932, l’architecte urbaniste Édouard Utudjian a défini le concept d’urbanisme souterrain, et fondé le Groupe

Figure n°3 : Un des premiers tunnels routiers de la Principauté, reliant le quartier de Fontvieille à celui du Port, en passant sous le Rocher
Devant le problème devenu urgent du développement des transports urbains, l’OCDE a recommandé en 1970 que des associations nationales mettent en commun leurs expériences pour faire progresser les moyens et méthodes des travaux souterrains. L’Association française des travaux en souterrain (AFTES), fondée en France en 1972, n’a pas su reprendre et poursuivre l’héritage du GECUS. Malgré les réalisations en cours (les Halles et la Défense) et la participation à un groupe de travail de l’association internationale AITES, le thème de l’urbanisme souterrain est resté en France au second plan alors que les associations des pays scandinaves, du Japon et des États-Unis étaient très actives dans ce domaine.
En 1988 un petit groupe s’est rassemblé autour du préfet Maurice Doublet sous l’appellation “Espace souterrain”, qui rejoindra en 2005 l’AFTES, où les lettres TES se lisent maintenant Tunnels et Espace Souterrain. Au plan international, l’AITES avait mis dès l’origine l’utilisation du sous-sol dans ses objectifs, ce qui n’a pas découragé la naissance à Montréal et le développement récent appuyé sur l’Extrême-Orient d’une association plus strictement urbanistique et universitaire, l’ACUUS, qui fédère des centres d’études sur l’espace souterrain urbain. Après l’AFTES, l’AITES ouvre aussi un Committee Underground Space.
www.aftes.asso.fr ; - www.espace-souterrain.org , - www.aites-ita.org ; - www.acuus.qc.ca
Quels autres services publics sont mis en souterrain ?
Les besoins logistiques sont très importants : au premier rang, la gestion des eaux pluviales et usées car un bassin versant très important et habité domine la Principauté. Deux usines souterraines traitent ces eaux, l’une en caverne sous le Rocher pour le prétraitement physicochimique, l’autre en sous-sol d’un immeuble industriel du quartier de Fontvieille, par moins douze mètres sous le niveau de la mer, qui assure l’épuration finale. Cette usine souterraine est entièrement en dépression et son air est traité avant rejet à l’extérieur. Cette station par rapport à l’usine d’incinération des ordures ménagères et des résidus industriels, permet une injection directe des boues produites par le process d’épuration dans les fours de l’usine ce qui évite le transport des boues à travers la ville. L’incinération participe au chauffage urbain.
En effet, ce quartier de Fontvieille, entièrement gagné sur la mer, comporte des immeubles d’habitations et d’autres dédiés à des activités industrielles, dont les sous-sols étaient faciles à construire puisqu’il suffisait d’en réserver le volume au sein du remblai. Ils entourent le stade Louis II. Le quartier est desservi par un réseau de galeries techniques regroupant les conduites et câbles de tous les concessionnaires, ainsi qu’un réseau de collecte pneumatique des ordures ménagères, directement amenées dans la fosse de l’usine d’incinération à partir de bouches d’aspiration en pied d’immeuble. Ces galeries constituent un usage intéressant du sous-sol, puisqu’elles permettent la maintenance et l’évolution des réseaux sans perturber les usagers de la surface ; elles ont été généralisées à l’ensemble du territoire, à l’occasion de travaux d’envergure.

Figure n°5 : Le Grimaldi Forum : à gauche la fouille protégée de la mer par un extraordinaire barrage à contreforts, à droite la superstructure du bâtiment, discrète partie émergée de cet iceberg
Le transport des marchandises pénalise beaucoup le fonctionnement des villes. Dès la fin des années 1980, nous avons mis en place au sous-sol d’un immeuble du quartier Fontvieille un “Centre de distribution urbaine” qui reçoit les gros porteurs, alors que les livraisons en ville sont assurées par de petits camions, en optimisant les transferts, tant entre l’extérieur et la Principauté qu’à l’intérieur de la Principauté. Ce Centre a été doublé depuis par un centre logistique situé à Nice, au voisinage immédiat de l’échangeur autoroutier de Saint-Isidore. Ce service, fonctionnant évidemment dans les deux sens, est gratuit car pris en charge par le gouvernement. Le garage atelier de la Compagnie des Autobus de Monaco, est aussi en sous-sol, à la place de l’ancien stade ; le même bâtiment renferme également un poste de transformation haute tension et un central téléphonique, alors que la toiture a été traitée en espaces verts et d’agrément.
Quelles sont les dernières réalisations prestigieuses ?
Parmi les besoins importants de la ville, il y avait celui de salles de spectacles, de congrès et d’expositions : le Grimaldi Forum est un bon exemple de cet urbanisme souterrain où on est allé chercher en infrastructure ce qu’on ne pouvait pas avoir en superstructure. La partie qui émerge de 14 m est peu de chose par rapport à l’ensemble. Une fouille de 17 000 m2 dont le radier est situé 18 m sous le niveau de la mer est séparée de la Méditerranée par un véritable barrage. Elle permet de loger un véritable opéra de 1 900 places, des salles de réunions pour congrès, assemblées générales et commissions, le tout en-dessous du niveau de la mer, surmonté par des espaces de réunions et d’expositions. Le traitement architectural permet l’amenée de la lumière du jour dans les sous-sols

Figure n°6 : Vue aérienne de la Principauté, bornée par la ligne rouge, alors que le bleuté marque les extensions du territoire sur la mer + Vue aérienne de la Principauté, du Sporting Club en bas, au Port et au Rocher en haut (il cache le quartier de Fontvieille) ; l
L’autre exemple est la nouvelle digue flottante pour protéger le port Hercule de la houle du large. Sa conception novatrice dégage un volume intérieur très important (25 000 m3), destiné au stationnement, au stockage de bateaux et à divers besoins logistiques. Est-ce un espace souterrain ? Certainement, au même titre que les sous-sols du quartier Fontvieille.
Et dans un avenir proche ?
Les terrains libérés par la mise en souterrain de la gare de chemin de fer à l’arrière du quartier de Fontvieille dégagent un très grand volume de sous-sol utilisable entre les cotes 0 et 22 NGM. On prévoit d’y agrandir le centre de distribution urbaine de quelques 10 000 m2 supplémentaires, d’y transférer le centre de tri postal et d’y loger un centre de tri et gestion des déchets avant leur élimination définitive, sans compter les infrastructures classiques de stationnement. On étudie aussi la création d’un véritable parc d’entrée de ville, intégrant le Jardin exotique et le parc Princesse Antoinette, au sein duquel une architecture de type troglodyte pourrait se développer. Les plans d’urbanisme de la Principauté donnent désormais toute leur place aux ouvrages souterrains. ■
Merci, Patrice Cellario de nous avoir présenté ces réalisations et ces projets de manière aussi brillante. Né sous des contraintes fortes, ce condensé de savoir-faire est un exemple remarquable, riche d’applications à venir dans le reste du monde.
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