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septembre 2008

Monaco, exemple remarquable d’urbanisme souterrain Interview de Patrice Cellario réalisée par Pierre Duffaut (E45)

Directeur de la Prospective, de l'Urbanisme et de la Mobilité de la Principauté de Monaco.

Après un doctorat en Énergétique à Grenoble, il a conduit, comme Directeur des Travaux Publics à Monaco, les opérations de mise en souterrain de la voie ferrée et de la gare, l'urbanisation du quartier de Fontvieille, la construction du Grimaldi Forum et a initié l'opération de protection et d'extension du port de la Condamine.


Cette interview est également parue dans le numéro 2O8 de la revue TUNNELS ET OUVRAGES SOUTERRAINS (juillet-aout 2008) qui sera distribuée au congrès international de l'AFTES (du 6 au 8 octobre à Monaco)

Pourquoi la Principauté de Monaco est-elle devenue un exemple d’urbanisme souterrain ?

La Principauté est un très petit territoire : 160 hectares au milieu du XIXème siècle, 202 aujourd’hui, enclavé dans le territoire français, coincé entre mer et mon­tagne. S’il compte 32 000 habitants la nuit, il y en a deux fois plus le jour, grâce aux emplois offerts aux communes voisines du département des Alpes-Maritimes. Cette activité suscite une forte demande d’espace, pour construire, circuler, transporter, et assu­rer tous les services urbains. Le relief y est une contrain­te forte : le Rocher abrupt porte le palais princier et la vieille ville à l’altitude 60 m, alors que la ville nouvelle s’étage de 0 à 160 m, au flanc du Mont Agel. Le réseau routier présente de nombreux lacets, tandis que le che­min de fer, qui passe à 25 m d’altitude environ, a long­temps coupé la ville en deux ; ses deux gares occu­paient beaucoup d’espace, celle de Monte-Carlo, juste en-dessous du Casino, et la principale au pied du Rocher.

Quelles ont été les solutions ?

Il n’y avait que deux façons de gagner de l’espace : sur la mer - on a commencé dès le XIXème siècle pour arriver aujourd’hui à près de 45 hectares - et sous la terre. La première réflexion a porté sur la mise en souterrain de la voie ferrée, qui a été réa­lisée en deux phases : autour de 1960, un tunnel de près de trois km a sup­primé la partie orientale de la voie et la gare de Monte Carlo. La voie a été remplacée par une avenue nouvelle, et les déblais du tunnel ont permis de restructurer en bord de mer le nouveau quartier du Larvotto,



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Figure n°1 : Patrice CELLARIO


avec des complexes balnéaires et des immeubles de loge­ments. À la fin de la décennie 1990, la deuxiè­me phase a été beaucoup plus ambitieuse, puisqu’elle a éliminé la partie occidentale par un tunnel de trois km et a créé une gare souterraine. La gare a été transférée dans une caverne disposant de deux quais et trois voies. Elle assure le trafic local et international des voyageurs et des marchandises. Le bâtiment de la gare prend jour dans le profond vallon de Sainte-Dévote ; il est associé à un parking de 750 places sur 13 étages, dont l’accès supérieur dessert aussi la commune mitoyenne de Beausoleil ; deux galeries le relient aux quartiers de Fontvieille et du port. Comme le débit de la crue bi-centennale dans ce vallon peut atteindre 45 mètres cubes par seconde, le contournement du par­king et de la gare est assuré par un puits de chute et une galerie sous l’ensemble bâti, complétés par une chambre d’expansion munie d’une grille de trop plein horizontale qui permet à l’excès d’eau de s’échapper vers le port. Les terrains de l’ancienne gare sont main­tenant en cours d’urbanisation.

Quelles sont les principales problématiques auxquelles le sous-sol a pu répondre ?

Après le gain d’espace à bâtir, en lieu et place de la voie ferrée et sur la mer, la deuxième problématique à laquel­le répond l’espace souterrain est celle des déplace­ments, dans l’optique d’améliorer le cadre de vie des quartiers. Dans un premier temps, l’exigence de desser­te du quartier de Fontvieille a nécessité la réalisation de deux tunnels passant sous le Rocher. Actuellement, un nouveau schéma de circulation est en cours de mise en œuvre. Il vise à réduire ou supprimer la circulation de transit dans les quartiers, grâce à une dorsale à 80 % souterraine, placée sous l’emprise de l’ancienne voie ferrée (la réalisation en cours doit se poursuivre jusqu’en 2010), dont la surface a été rendue aux piétons et à l’urbanisation.



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Figure n°2 : La nouvelle gare souterraine, au coeur de la Principauté + Intérieur de la gare souterraine


Quant à l’accès à la Principauté à partir des liaisons routières de France et d’Italie, il a été amélioré par le tunnel Rainier III, tunnel unidirectionnel montant, qui relie directement le cœur de la Principauté à la route nationale 7 (ce tunnel est contemporain du chantier de la gare, et lui a servi d’accès pour les tra­vaux) ; lorsqu’il sera doublé par un tunnel descendant, la Principauté sera parfaitement désenclavée. En outre, pour limiter les voitures des “actifs pendulaires”, un projet de parking implanté à proximité de l’échangeur autoroutier de la Turbie qui domine la Principauté et relié à cette dernière par une liaison expresse est égale­ment à l’étude.

Par ailleurs, une politique très importante de parkings publics a été engagée pour éviter le stationnement en surface et libérer l’espace public : plus de 15 000 places sont réparties sur le territoi­re, en sus des parkings privés imposés pour les logements et les zones d’activités. La plupart sont en sous-sol, par exemple celui des Boulingrins devant le Casino. Certains acceptent les autocars de tourisme, notamment au pied du Rocher. L’espace ainsi libéré est restitué aux piétons et à l’agrément : ainsi, Monaco compte plus de 34 hectares d’espaces verts ouverts au public, soit plus de 15% de son territoire.

Enfin et toujours dans le domaine des déplacements, une vigoureuse politique de liaisons piétonnes mécanisées, ascen­seurs ou escaliers mécaniques, est mise en œuvre pour effacer les contraintes des fortes dénivelées et encourager ainsi la marche à pied, premier mode de déplace­ment à Monaco.


 

Où sont les acteurs de l’Espace souterrain ?

En 1932, l’architecte urbaniste Édouard Utudjian a défini le concept d’urbanisme souter­rain, et fondé le Groupe



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Figure n°3 : Un des premiers tunnels routiers de la Principauté, reliant le quartier de Fontvieille à celui du Port, en passant sous le Rocher


d’études et de coordi­nation de l’Urbanisme souterrain, GECUS, asso­ciation très multidisciplinaire et très liée à la ville de Paris, qu’il a animée jusqu’à sa mort, entre une revue nommée “Le Monde souterrain”, et un comité international qui a organisé maints congrès (à Paris, New York, etc., dont le dernier à Varsovie en 1970).

Devant le problème devenu urgent du dévelop­pement des transports urbains, l’OCDE a recom­mandé en 1970 que des associations nationales mettent en commun leurs expériences pour faire progresser les moyens et méthodes des travaux souterrains. L’Association française des travaux en souterrain (AFTES), fondée en France en 1972, n’a pas su reprendre et poursuivre l’héritage du GECUS. Malgré les réalisations en cours (les Halles et la Défense) et la participation à un groupe de travail de l’association internationale AITES, le thème de l’urbanisme souter­rain est resté en France au second plan alors que les associations des pays scandinaves, du Japon et des États-Unis étaient très actives dans ce domaine.

En 1988 un petit groupe s’est rassemblé autour du préfet Maurice Doublet sous l’appellation “Espace souterrain”, qui rejoindra en 2005 l’AFTES, où les lettres TES se lisent maintenant Tunnels et Espace Souterrain. Au plan international, l’AITES avait mis dès l’origine l’utilisation du sous-sol dans ses objectifs, ce qui n’a pas découragé la naissance à Montréal et le déve­loppement récent appuyé sur l’Extrême-Orient d’une association plus strictement urbanistique et universitaire, l’ACUUS, qui fédère des centres d’études sur l’espace souterrain urbain. Après l’AFTES, l’AITES ouvre aussi un Committee Underground Space.

www.aftes.asso.fr ; - www.espace-souterrain.org , - www.aites-ita.org ; - www.acuus.qc.ca




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Figure n°4 :


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Quels autres services publics sont mis en souterrain ?

Les besoins logistiques sont très impor­tants : au premier rang, la gestion des eaux pluviales et usées car un bassin ver­sant très important et habité domine la Principauté. Deux usines souterraines trai­tent ces eaux, l’une en caverne sous le Rocher pour le prétraitement physicochimique, l’autre en sous-sol d’un immeuble industriel du quartier de Fontvieille, par moins douze mètres sous le niveau de la mer, qui assure l’épuration finale. Cette usine souterraine est entièrement en dépression et son air est traité avant rejet à l’extérieur. Cette station par rapport à l’usine d’incinération des ordures ménagères et des résidus industriels, permet une injec­tion directe des boues produites par le process d’épuration dans les fours de l’usine ce qui évite le transport des boues à travers la ville. L’incinération participe au chauffage urbain.

En effet, ce quartier de Fontvieille, entière­ment gagné sur la mer, comporte des immeubles d’habitations et d’autres dédiés à des activités industrielles, dont les sous-sols étaient faciles à construire puisqu’il suffisait d’en réserver le volume au sein du remblai. Ils entourent le stade Louis II. Le quartier est desservi par un réseau de gale­ries techniques regroupant les conduites et câbles de tous les concessionnaires, ainsi qu’un réseau de collecte pneumatique des ordures ménagères, directement amenées dans la fosse de l’usine d’incinération à partir de bouches d’aspiration en pied d’immeuble. Ces galeries constituent un usage intéressant du sous-sol, puisqu’elles permettent la maintenance et l’évolution des réseaux sans perturber les usagers de la surface ; elles ont été généralisées à l’ensemble du territoire, à l’occasion de travaux d’envergure.



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Figure n°5 : Le Grimaldi Forum : à gauche la fouille protégée de la mer par un extraordinaire barrage à contreforts, à droite la superstructure du bâtiment, discrète partie émergée de cet iceberg


style="text-align: justify;">Qu’en est-il du transport des marchandises ?

Le transport des marchandises pénalise beaucoup le fonctionnement des villes. Dès la fin des années 1980, nous avons mis en place au sous-sol d’un immeuble du quartier Fontvieille un “Centre de distri­bution urbaine” qui reçoit les gros por­teurs, alors que les livraisons en ville sont assurées par de petits camions, en optimi­sant les transferts, tant entre l’extérieur et la Principauté qu’à l’intérieur de la Principauté. Ce Centre a été doublé depuis par un centre logistique situé à Nice, au voisinage immédiat de l’échangeur auto­routier de Saint-Isidore. Ce service, fonc­tionnant évidemment dans les deux sens, est gratuit car pris en charge par le gouver­nement. Le garage atelier de la Compagnie des Autobus de Monaco, est aussi en sous-sol, à la place de l’ancien stade ; le même bâtiment renferme également un poste de transformation haute tension et un central téléphonique, alors que la toiture a été trai­tée en espaces verts et d’agrément.

Quelles sont les dernières réalisations prestigieuses ?

Parmi les besoins importants de la ville, il y avait celui de salles de spectacles, de congrès et d’expositions : le Grimaldi Forum est un bon exemple de cet urbanis­me souterrain où on est allé chercher en infrastructure ce qu’on ne pouvait pas avoir en superstructure. La partie qui émer­ge de 14 m est peu de chose par rapport à l’ensemble. Une fouille de 17 000 m2 dont le radier est situé 18 m sous le niveau de la mer est séparée de la Méditerranée par un véritable barrage. Elle permet de loger un véritable opéra de 1 900 places, des salles de réunions pour congrès, assemblées générales et commissions, le tout en-des­sous du niveau de la mer, surmonté par des espaces de réunions et d’expositions. Le traitement architectural permet l’amenée de la lumière du jour dans les sous-sols



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Figure n°6 : Vue aérienne de la Principauté, bornée par la ligne rouge, alors que le bleuté marque les extensions du territoire sur la mer + Vue aérienne de la Principauté, du Sporting Club en bas, au Port et au Rocher en haut (il cache le quartier de Fontvieille) ; l


pour éviter le sentiment d’être totale­ment enterré. Le dernier niveau accessible au public étant à 10 m sous le niveau de la mer et à environ 15 m sous le niveau de l’accès en surface, des analyses de risque ont été menées pour assurer la sécurité des personnes, qu’il n’était pas question de négliger.

L’autre exemple est la nouvelle digue flot­tante pour protéger le port Hercule de la houle du large. Sa conception novatrice dégage un volume intérieur très important (25 000 m3), destiné au stationnement, au stockage de bateaux et à divers besoins logistiques. Est-ce un espace souterrain ? Certainement, au même titre que les sous-sols du quartier Fontvieille.

Et dans un avenir proche ?

Les terrains libérés par la mise en souter­rain de la gare de chemin de fer à l’arrière du quartier de Fontvieille dégagent un très grand volume de sous-sol utilisable entre les cotes 0 et 22 NGM. On prévoit d’y agrandir le centre de distribution urbaine de quelques 10 000 m2 supplémentaires, d’y transférer le centre de tri postal et d’y loger un centre de tri et gestion des déchets avant leur élimination définitive, sans compter les infrastructures classiques de stationnement. On étudie aussi la créa­tion d’un véritable parc d’entrée de ville, intégrant le Jardin exotique et le parc Princesse Antoinette, au sein duquel une architecture de type troglodyte pourrait se développer. Les plans d’urbanisme de la Principauté donnent désormais toute leur place aux ouvrages souterrains. ■

Merci, Patrice Cellario de nous avoir présenté ces réalisations et ces projets de manière aussi brillante. Né sous des contraintes fortes, ce condensé de savoir-faire est un exemple remarquable, riche d’applications à venir dans le reste du monde.

 

 

 


Auteur

Patrice CELLARIO

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