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mai 2011

Maintenance conditionnelle des équipements critiques dans les centrales nucléaires - Traduit de l’anglais et adapté par Pierre Mounier, Business Developer, ingénieur CNAM 1993

Directeur de Projet, ingénieur ENSERG 1978


Introduction

Depuis des décennies, EDF exploite des centrales de production d’électricité, avec un objectif important d’augmentation de la disponibilité et de la sûreté des centrales thermiques tradition­nelles comme des centrales nucléaires. Afin de répondre au besoin, différents types de systèmes de surveillance ont été installés sur les circuits primaires et les groupes turbo-alternateurs, dans l’objectif de détecter d’éventuels incidents, et ce en parallèle au fonctionnement du système de conduite.

Plus récemment, une nouvelle exigence liée à l’extension de la durée de fonctionnement des installations nucléaires a dû être prise en compte. Cet impé­ratif a conduit à surveiller plus précisément le comporte­ment des composants critiques, à archiver tous les événe­ments relatifs à ces composants, pour évaluer leur capacité en exploitation et mieux planifier les opérations de mainte­nance ou de remplacement. EDF a ainsi construit une base de connaissance importante, décrivant le comportement des principaux éléments d’une centrale : pompe primaire, tur­bine, alternateur, organe d’admission, structures internes, cuve du réacteur, etc.

Atos WorldGrid travaille pour et avec les équipes d’EDF à la conception et au développement de prototypes de sys­tèmes de surveillance depuis le début des années 90. PSAD, le Poste de Surveillance et d’Aide au Diagnostic, est le résultat de ces travaux et du retour d’expérience d’EDF. Sa finalité est de tenir informés les personnels de maintenance des conditions de fonctionnement des équipements, à tra­vers une analyse poussée de leurs données d’exploitation.

Les objectifs détaillés sont les suivants :

  • Surveiller les équipements critiques d’une centrale et détecter au plus tôt toute condition de fonctionnement atypique.
  • Permettre à l’opérateur d’effectuer une analyse en profon­deur de tout problème détecté et l’aider à élaborer un dia­gnostic précis grâce à l’utilisation d’outils graphiques sophistiqués.
  • Permettre un diagnostic à distance quand cela est néces­saire, en rendant les données et les outils disponibles à des experts absents sur place qui peuvent renforcer les analyses des opérateurs, et étudier des défauts non référencés.

Le PSAD est utilisé en conditions d’exploitation sur dix centrales nucléaires aujourd’hui, et est en déploiement sur la totalité du parc français, y compris les futures installations du réacteur EPR d’Areva. Tout le parc sera ainsi équipé à l’horizon 2016 (59 réacteurs sur 20 sites).

Les enjeux d’un système de maintenance conditionnelle

La maintenance corrective consiste à maintenir et éventuellement réparer les équipements lors de l’apparition d’une panne. Cette stratégie peut avoir pour conséquence l’indisponibilité de la centrale, des dommages importants sur l’équipement lui-même avec des coûts excessifs de maintenance, ainsi que des risques sur l’environnement et la sûreté.

La maintenance préventive et planifiée est une autre straté­gie, qui évite les conséquences précédemment citées, mais qui a également des désavantages. Certains équipements peuvent être remplacés alors qu’ils pourraient rester opéra­tionnels, et des inspections périodiques doivent être programmées, qui elles-mêmes génèrent des coûts de mainte­nance et la perte de disponibilité des équipements.

La maintenance conditionnelle consiste à surveiller le com­portement de l’équipement, à détecter des anomalies ou des conditions favorables à une future panne, de manière à mieux planifier les interventions.

Cette dernière stratégie apporte de nombreux bénéfices, pour la sûreté et au plan économique :

  • Elle réduit le nombre des interventions de maintenance et des inspections.
  • L’exposition aux radiations des personnels d’inspection peut être réduite.
  • Les dysfonctionnements sont détectés en amont d’une panne, et les dommages ultérieurs peuvent être évités.
  • Les opérations de réparation et de maintenance peuvent être optimisées, en fonction de l’approvisionnement en pièces détachées, en gérant un stock de pièces réduit.
  • Il est possible de construire une base de connaissance des conditions d’exploitation des équipements et des compo­sants, et de leur vieillissement.

Enfin, la maintenance conditionnelle



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Figure n°1 : Bruno GAUTHIER


permet une réduction des coûts de maintenance, une augmentation de la durée de fonctionnement des équipements, de leur fiabilité et de leur disponibilité, tout en réduisant les risques de panne et d’accident. Cette solution, ainsi que les outils associés, contri­buent à améliorer la connaissance du comportement des équipements et donc renforce les procédures de maintenance.

Les technologies informatiques d’acquisition rapide et de stockage des données permettent aujourd’hui de mettre en œuvre la surveillance en ligne avec des solutions nécessitant peu de développement et à des coûts raisonnables. Mais la réponse à l’implémentation de cette stratégie n’est pas uniquement technologique. La maintenance conditionnelle requiert également la disponibilité de personnels compé­tents pour :

  • Identifier les causes d’anomalies et la prédiction de leur évolution.
  • Modifier les conditions d’exploitation des équipements ou optimiser la gestion de la maintenance.

Caractéristiques du système

Surveillance d’équipement critique

Le PSAD est utilisé aujourd’hui par EDF pour surveiller en continu les conditions d’exploitation des équipements cri­tiques sur les centrales nucléaires. Pour certains équipe­ments, il est possible d’utiliser des solutions mobiles per­mettant l’acquisition ponctuelle de données, et l’analyse hors-ligne.

Le PSAD permet aujourd’hui de détecter, par exemple, les défauts suivants sur les équipements critiques :

  • Circuit de refroidissement primaire :

- Pompes primaires : balourd, instabilité de palier, défaut d’alignement des paliers, fissure transverse de ligne d’arbre, frottements, défaut de fixation palier.

- Détection de corps errants : détection, localisation, iden­tification d’intensité d’impact.

- Structures internes du réacteur : oscillation de la cuve du réacteur, vibrations des barres du cœur, rupture du sup­port du bouclier thermique.

  • Circuit secondaire :

- Turbine : frottements, balourd, distorsion thermique, défaut d’alignement, fissures.

- Alternateur : ventilation du rotor, vibrations, court-circuit, défaut du système de refroidissement du stator.

- Organes d’admission de vapeur sur la turbine : grippage des vannes, temps d’ouverture et de fermeture.

Acquisition et mesure

La fonction première du PSAD est d’acquérir les données qui caractérisent les conditions opérationnelles et le com­portement de l’équipement. À partir de ces données acquises sont calculées des données plus complexes, qui sont ensuite comparées à des données de référence, et interpré­tées par des experts à l’aide de la base de connaissance.

En fonction des types d’équipement et des types de phéno­mènes à interpréter, le système ouvre l’analyse aux gran­deurs suivantes :

  • Signaux vibratoires : des capteurs de vibration (accéléro­mètres, capteurs de déplacement/vitesse) sont placés sur des machines tournantes telles que les pompes, turbines, alternateurs. Les signaux reconstitués font l’objet d’analyse spectrale, analyse synchrone, et de calculs de valeurs efficaces et crêtes, ce qui permet l’identification d’anomalies telles que fissure, instabilité palier, défaut d’alignement.
  • Signaux acoustiques : des accéléromètres sont installés sur le circuit primaire, notamment sur la cuve du réacteur et les générateurs de vapeur, et permettent de détecter et de localiser les éventuels corps errants. Le principe est d’identifier des signaux de choc et de les isoler des bruits de fond. Une détection de seuil déclenche alors un enregis­trement des signaux (fichiers MP3) qui est envoyé au poste d’analyse pour stockage et analyse par des experts.
  • Flux des neutrons : la variation du flux des neutrons, mesurée à des points spécifiques de la cuve du réacteur permet de détecter des mouvements d’oscillation de la cuve, de vibration des barres ou de vibration des assem­blages de combustible.
  • Données du procédé : température, pression, flux, vitesse de rotation, position, état, retard, etc. Dans ces cas, des signaux statiques ou des mesures simples sont comparés avec des valeurs de référence, et permettent de détecter des défauts de tout type.

Enfin, une «fonction Perturbographie» peut être lancée pour échantillonner des données à une fréquence plus élevée sous certaines conditions prédéfinies (pouvant être la com­binaison



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Figure n°2 : Exemples de vues graphiques


de plusieurs états opérationnels de la machine). Lorsque cette condition apparaît, le poste de surveillance lance l’échantillonnage d’une ou plusieurs mesures, à une fréquence et sur une durée configurables. Les enregistre­ments correspondants sont envoyés à la station de diagnos­tic pour stockage et analyse. Cette fonction est particulière­ment utilisée sur la turbine et l’alternateur, pendant les phases de transition telles que démarrage et accélération. Elle permet d’effectuer une analyse plus fine du phénomène.

Analyse et outil de diagnostic

Pour ce type de systèmes informatiques, les caractéristiques ergonomiques de l’interface utilisateur sont essentielles. Un accent particulier a été mis sur la facilité et l’intuitivité de l’accès à l’information sur le PSAD :

  • Un espace d’alerte est réservé en bas de chaque écran d’une station de diagnostic, de manière à ce que les opérateurs aient une vue globale de l’état de l’installation, et un état concis de chacun des équipements. En cas de défaut, un journal de bord d’alarmes est disponible, indiquant les détails et la chronologie des événements.
  • La partie «espace de travail et définition du contexte» per­met à l’opérateur de recharger et sauvegarder rapidement un travail d’analyse, avec l’ensemble des données, cap­teurs, périodes de temps associés.
  • Chaque donnée déclarée dans le système a une fiche réfé­rençant tous les paramètres et les traitements qui lui sont associés : paramétrage du capteur, configuration de la carte, fonctions de traitement et mécanisme d’alarme, etc. Cette fiche est accessible depuis chaque endroit où la donnée apparaît.

La représentation graphique, en échelles linéaires ou loga­rithmiques, permet à l’opérateur de visualiser des dia­grammes Nyquist, des vues 3-D en perspective, des histo­grammes d’amplitude, de manière à faciliter la prise de décision et la construction du diagnostic.

Le poste de surveillance embarque également des outils spé­cifiques qui facilitent l’analyse des conditions opération­nelles des équipements, telles que :

  • affichage de données de perturbographie,
  • surveillance des manœuvres des vannes,
  • analyse du ralentissement et bilan de comportement des machines tournantes,
  • identification des fréquences propres,
  • écoute de signal audio pour la détection de corps errants.

L’analyse et le diagnostic peuvent donc être menés locale­ment pour une tranche nucléaire, mais également au niveau d’un site ou d’un parc entier, les postes étant reliés entre eux par le réseau informatique d’EDF. L’analyse globale et à dis­tance permet de comparer le comportement d’équipements similaires dans des conditions différentes, mais également de centraliser l’information pour les experts. Ceux-ci peu­vent alors mener des analyses comparatives à grande échelle, collaborer à la mise en place de bonnes pratiques et accroître la connaissance du réseau d’expertise.

Les bénéfices obtenus par la mise en place du PSAD

Le Poste de Surveillance et d’Aide au Diagnostic se révèle être un outil efficace de capitalisation de l’expérience et d’amélioration des processus de maintenance. Il permet une réduction des coûts de maintenance et de gestion du vieillissement des équipements, un accroissement de la durée de leur fonctionnement ainsi que de leur disponibilité. Utilisé sur un parc de plusieurs sites et de nombreux réac­teurs, le PSAD est un outil important dans la gestion du retour d’expérience.

Les constructeurs proposent parfois des outils fonctionnelle­ment équivalents pour la surveillance d’un équipement donné, ce qui entraîne l’utilisation d’outils différents et hétérogènes par les opérateurs de maintenance pour la sur­veillance de l’ensemble des équipements critiques. Ceci a des conséquences importantes sur la gestion de la formation des équipes de maintenance, son coût, et ne permet pas de dégager des règles globales ni la mise en place de bonnes pratiques à un niveau national.

Les technologies informatiques mises en œuvre sur le PSAD sont évolutives et permettent de configurer le système à tra­vers un poste local, puis de l’étendre graduellement avec des serveurs et des stations distantes, jusqu’à des postes d’expertise centralisés. La démarche de mise en place est donc très progressive, et son évolutivité ouvre le champ à des équipements ou à des méthodologies de diagnostic qui apparaîtront sur les installations nouvelles.


Auteur

Bruno GAUTHIER

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