Le Grand Louvre Exemple de contribution du sous-sol à la préservation du patrimoine
École supérieure de gestion et médiation des arts, du groupe EAC, Economie, Arts et Communication
Forteresse défensive puis résidence royale, le palais du Louvre a été progressivement conquis par l’art pour devenir, en 1793, le premier musée ouvert en France. Cette fonction nouvelle, peu compatible avec l’origine du bâtiment, posait problème notamment en termes de circulation des visiteurs et de stockage des collections. La réponse apportée par le recours à l’espace souterrain lors de la création du Grand Louvre a contribué à faire du Louvre le musée le plus visité au monde.
Le contexte de la création du Louvre
La naissance du Louvre
En 1190, le roi Philippe Auguste fait ériger une enceinte autour de Paris pour protéger la ville pendant son absence aux croisades. Pour renforcer ce rempart, il décide la construction d’une grande forteresse entourée de fossés et au centre de laquelle se dresse un donjon imposant. “Cette citadelle dont on voit aujourd’hui sous la cour Carrée les impressionnants vestiges, prend le nom de Louvre, le lieu-dit où elle est installée. Louvre comme lupara, en latin, lieu hanté par les loups, ou comme lower, forteresse en saxon1”. Le Louvre devient immédiatement le symbole du pouvoir royal et jusqu’à la Révolution, le roi signe encore “ le roi en sa grosse tour du Louvre “, malgré que le donjon soit détruit depuis plus de 450 ans et que le château ne soit plus une forteresse.
Du palais au musée
En 1528, le roi François Ier décide de regagner Paris et la cour s’installe avec lui au Louvre. Il fait raser le donjon et reconstruire entièrement l’édifice en substituant au Louvre ancien un corps d’hôtel confortable ; l’architecte Pierre Lescot est chargé des travaux. En grand amateur d’art, le roi collectionne les œuvres de maîtres tels que Léonard de Vinci, Le Titien, Bartolomeo, etc. et en décore les murs de son palais. Le Louvre demeure la résidence des rois de France jusqu’au règne de Louis XIV qui lui préfère Versailles. Pourtant, Louis XIV poursuit l’aménagement du Louvre et y fait installer d’autres chefs-d’œuvre : il réunit près de 1 500 peintures de Rubens, Rembrandt, Poussin, Véronèse, etc. Ce trésor forme aujourd’hui
L’inauguration a lieu le 18 novembre 1793 et 540 œuvres sont exposées dans la Grande Galerie.
La conquête de l’art
Au cours des deux siècles suivants, le Louvre est l’objet de la conquête de l’art. “Lentement, patiemment, l’art sous toutes ses formes grignote salle par salle l’ancien palais des rois de France pour l’occuper totalement le 18 novembre 1993”. Napoléon, devenu empereur, est soucieux de poursuivre l’aménagement du musée du Louvre. Il charge Denon, un des savants qui l’a accompagné en Egypte, de recommencer des travaux avec l’aide des architectes Percier et Fontaine, et notamment la construction de l’aile Nord symétriquement à l’aile Sud. En 1810, les travaux sont achevés et le musée s’enrichit de toutes les peintures rapportées des conquêtes napoléoniennes. Les révolutions de 1830 et 1848 épargnent le Louvre devenu le palais des arts et la IIème République décrète son achèvement : “Il importe de concentrer dans un seul et vaste palais tous les produits de la pensée qui sont comme les splendeurs d’un grand peuple”.
Vers le Louvre moderne
Néanmoins, c’est l’empereur Napoléon III qui donne au Louvre son apparence actuelle. Pendant cinq ans, le chantier mobilise plus de 3 000 ouvriers et le nouveau musée est inauguré le 14 août 1857. Pendant les travaux, plusieurs centaines d’œuvres d’art ont été achetées par l’État ou offertes par des collectionneurs et le musée possède une collection sans précédent. En 1871, la Commune de Paris embrase le palais des Tuileries et les ruines calcinées sont rasées en 1882. Pendant les deux guerres mondiales, une grande partie des œuvres sont envoyées en province pour être protégées et le musée est partiellement fermé au public. Après 1945, le Louvre devient le plus grand musée de France et présente une vision d’ensemble de l’art occidental des civilisations antiques au milieu du XIXème siècle. Pour autant, le musée doit faire face à une nouvelle problématique : l’accueil
La contribution du sous-sol au Grand Louvre
La création du Grand Louvre
En 1983, François Mitterrand, alors Président de la République, décide la création du Grand Louvre. Ce projet ambitieux consiste à rendre au musée la totalité des bâtiments du palais, y compris l’aile Richelieu dans laquelle s’était installé le ministère des Finances en 1871. Il décide également d’en confier la réalisation à Leoh Ming Pei, architecte sino-américain connu notamment pour avoir ajouté une aile à la National Gallery de Washington, et qui a obtenu le prix Pritzker en 1983. Lorsqu’il commence son travail, Pei identifie rapidement le problème du Louvre : “Il est simple à résumer : en tant que musée, le Louvre ne fonctionnait pas. Ce bâtiment avait été conçu comme un palais, et on avait obligé son architecture à le transformer en musée. Les deux usages se contredisent en tout point”. Le musée se présente alors sous la forme d’un grand L, une linéarité très difficile à visiter.
L’urbanisme souterrain dans le monde (Amérique du Nord, Scandinavie, Extrême Orient)
Laissant ici de côté les égouts et les métros, il faut mentionner les 64 km de galeries de Chicago, creusées à 12 m sous les rues un peu avant 1900 pour l’acheminement du charbon aux chaufferies des gratte-ciel ; la concurrence des camions n’y a laissé que des câbles. Citons ensuite, dès 1950, les entrepôts réfrigérés d’Oslo, suivis en Norvège et Finlande par maintes piscines et salles de sports, en attendant la patinoire des Jeux d’hiver de 1994 à Gjøvik, et en Suède par l’extension souterraine de la Bibliothèque nationale à Stockholm.
Aux États-Unis la ville de Kansas City développe à partir de 1960 un véritable étage souterrain d’entrepôts dans les carrières de calcaire sous les nouveaux quartiers de la ville. À Montréal, c’est Ieoh Ming Pei qui remplit vers 1965 une tranchée de chemin de fer par les sous-sols de l’immeuble Ville Marie, puis de l’hôtel Reine Elizabeth au-dessus
Au Japon des complexes commerciaux souterrains sur deux à trois étages complètent les nœuds majeurs des réseaux de métro, notamment à Tokyo-Shinjuku. Dans les années 90, les majors japonais de la construction rivalisent de projets futuristes combinant les cratères, couverts ou non, les puits profonds et les volumes sphériques ou ovoïdes reliés par des tubes routiers et ferroviaires, certains de ces projets placés sous l’invocation d’“Alice au pays des merveilles”.
Abandonné à Chicago, le transport souterrain de fret a repris à Londres en 1927 pour relier les principaux bureaux de poste. Sous une forme nouvelle, le concept vient de trouver une application au transport entre l’aéroport de Schiphol et le marché aux fleurs d’Amsterdam. Entre temps beaucoup de grandes villes ont eu recours au sous-sol pour augmenter le nombre de voies ferrées dans les gares : New York (de longue date), Paris, Tokyo, et plus récemment Zurich et Stuttgart. En dépit du refus par la ville de Paris du projet d’autoroutes LASER en 1989, les tronçons souterrains se multiplient à Singapour, Sydney, Hong Kong et Melbourne (en Europe à Madrid) ; le cas des villes entre montagne et nappe d’eau justifie des tunnels routiers de contournement (après Nice, Locarno en Suisse et Bregenz en Autriche). Aux États-Unis, l’extension souterraine de plusieurs campus universitaires dans des sites classés, comme celle de la Smithsonian Institution à Washington, DC attestent le rôle d’espaces proches et disponibles dans le respect de l’environnement. Kuala Lumpur a donné un exemple novateur de tunnel à deux étages et double usage (multipurpose) : en cas de crue on fait passer de l’eau à la place des voitures à l’étage inférieur, et au besoin dans les deux.
En matière de surfaces commerciales, beaucoup d’exemples se bornent à un seul étage (à Beijing comme à Shanghai et Séoul) ; au contraire les parcs de stationnement des automobiles multiplient les étages jusqu’à 10 ou 12, par exemple à côté de la gare (souterraine) de Monaco.
Pour en revenir aux métros, force est de constater qu’ils ont gagné des centaines d’agglomérations dans toutes les parties
Pierre Duffaut (E45)
Des fonctions incompatibles avec les espaces
Dans un palais, la principale fonction est la représentation : rien n’a lieu d’être caché. Dans un musée, en revanche, la partie exposée n’est qu’une portion infime de ce qui s’y trouve. On compte en général que pour un mètre carré destiné à la présentation des œuvres, il faut au moins le double en infrastructure invisible. Un musée a besoin de réserves, de laboratoires, de bureaux, d’ateliers, sans oublier les salles de conférences, restaurants et toilettes pour le public. Or rien de tout cela n’existe au Louvre et il n’est alors pas vraiment fonctionnel. Le musée a un second problème : celui de la circulation. Le Louvre est construit comme une succession de longs couloirs étroits et le public doit dès lors franchir des centaines de mètres pour les parcourir en totalité. Certaines parties des collections ne sont jamais visitées car elles sont installées au bout d’interminables galeries. “Ainsi, au niveau des passages voûtés qui permettent la circulation automobile, le trajet de plain-pied s’interrompait ; on tombait sur une volée d’escaliers ; la plupart des visiteurs pensaient que cela marquait la fin de la visite et rebroussaient chemin...”.
Le recours au sous-sol
La solution imaginée par Pei à ces problèmes est simple : utiliser le sous-sol de la vaste cour centrale, la cour Napoléon, alors couverte par deux squares et un parking. “La question devenait donc : qu’y a-t-il sous la cour Napoléon ? Puis-je y creuser suffisamment profond pour installer la partie immergée de mon iceberg

Figure n°5 : Mur conservé de l’enceinte de Paris sous Charles V + Accès du parking aux boutiques du Carrousel
Les atouts du souterrain
Ensuite, le sous-sol accueille aussi toutes les infrastructures nécessaires au musée : les réserves, les locaux techniques et les locaux pour le personnel du musée, les laboratoires et ateliers, de même qu’une route souterraine qui dessert tout le palais et permet de transporter les œuvres les plus lourdes. Le Carrousel du Louvre est formé par une longue galerie qui conduit aux parkings souterrains (dont un de 80 places réservées aux cars de tourisme). Cette galerie est bordée d’une cinquantaine de boutiques, dont l’implantation a permis le financement des parkings, et constitue le deuxième centre commercial parisien après le Forum des Halles. “Pour la première fois, un espace strictement commercial est donc lié à un musée2”. Une placette ponctue la galerie en son milieu ; elle est éclairée naturellement
Un modèle de préservation du patrimoine
La réalisation des travaux a été précédée d’importantes fouilles archéologiques qui ont mis à jour des restes architecturaux considérables et ont entraîné la modification des aménagements. Ainsi, sous la cour Carrée, les bases des murs du château et du donjon de Philippe Auguste ont été dégagées et mises en valeur. De même, sous le jardin du Carrousel, les restes de l’enceinte de Paris construite sous Charles V (XIVème siècle) ont été mis à jour sur près de 150 mètres. Le projet d’aménagement a été adapté afin de préserver la majeure partie des murs dégagés qui bordent le hall d’accès aux parkings souterrains. L’aménagement des volumes sous les cours et les jardins du Louvre a permis, tout en respectant le monument, de répondre aux besoins de modernisation et de développement du musée en le rendant plus accessible, plus adapté à sa fonction. Au-delà de l’aspect fonctionnel, les ouvrages de Pei sont devenus eux-mêmes un centre d’intérêt de par leur qualité architecturale et par la mise en valeur des découvertes archéologiques que leur réalisation a entraînée. On peut dire aujourd’hui que le bilan de cette réalisation est positif : le Louvre a réussi à devenir pleinement un musée et sa fréquentation, en constante augmentation, a dépassé les 8,3 millions de visiteurs en 2007. ■
1 Les citations sont en italique. Sans mention contraire, elles proviennent de l’article “ Grand Louvre “, in Télérama Hors série, novembre 1993.
2 “Le Carrousel des inquiétudes”, in Le Monde, vendredi 19 novembre 1993, p.7.
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