Le développement de la Tech et de l’investissement privé au Moyen-Orient
Careem, Dubizzle, Fetchr, Maktoob, Noon, Souq.com, Talabat, vous connaissez ? Probablement non… Ce sont pourtant des startups Moyen-Orientales à succès («licornes» pour certaines) et qui font beaucoup parler dans la région. Elles ont été montées par des entrepreneurs locaux ou étrangers, dont des Français. Ces entreprises-phares, comme de nombreuses autres startups locales, sont soutenues par un écosystème entrepreneurial et financier, qui gagne rapidement en maturité avec les belles perspectives de développement économique de la région.
Revenons sur quelques aspects clés de cette dynamique.
Les véhicules d’investissement
Il y a une dizaine d’années, capital-investissement ou capital risque ne signifiaient rien dans la région. Phénomène relativement récent, les pétrodollars et les importantes réserves financières du Golfe sont désormais réinvestis, via des fonds publics ou privés, dans la finance et l’économie, nationale ou internationale. L’objectif est double : faire fructifier cette rente, et développer des activités non-dépendantes des hydrocarbures pour préparer l’après-pétrole.
On dénombre dans la région plus de la moitié des principaux fonds souverains au monde et quelque 3 000 milliards de dollars d’actifs sous gestion : Abu Dhabi Investment Authority (ADIA) en est probablement le plus gros, puis Kuwait Investment Authority (KIA), SAMA Foreign Holdings (Arabie Saoudite), Qatar Investment Authority (QIA), Investment Corporation of Dubai (ICD), Public Investment Fund (Arabie Saoudite), Mubadala Investment Company (Émirats Arabes Unis), etc. Même si ce n’est pas leur cœur de métier, ceux-ci investissent parfois directement dans des startups de la nouvelle économie. Les conglomérats privés des grandes familles commerçantes locales («family-offices») investissent aussi de plus en plus souvent dans des entreprises innovantes et startups technologiques régionales.
Les fonds d’investissement privés locaux sont encore jeunes, et toujours en plein essor. Ils ont majoritairement évolué du capital-investissement* et des rachats majoritaires populaires des années 2000, au capital-risque* dans les années 2010. Si la plupart des fonds ici sont aujourd’hui tournés vers l’amorçage, quitte à délaisser le capital-croissance*, il est à noter l’éclosion récente de quelques gros fonds régionaux, de plus de 100 millions de dollars chacun : Saudi Technology Ventures (STV, liée à l’entreprise nationale saoudienne des Télécoms), MEVP ou Crescent Enterprises aux Émirats, Al Waha à Bahreïn, etc. On trouve ces fonds d’investissement principalement à Dubaï (le Dubai International Financial Center − DIFC − est maintenant un quartier / hub de notoriété mondiale), Abu Dhabi, Riyad, Beyrouth, Koweït City, Manama, etc.
Et seulement depuis quelques années, la région attire plusieurs fonds d’investissement internationaux, tant pour ses réserves financières disponibles que pour ses startups prometteuses.
Enfin, témoin du dynamisme économique de la région et signe de l’amorçage de la chaîne entrepreneuriale, on trouve dorénavant, dans chacun des pays de la région, plusieurs espaces de co-working, incubateurs, accélérateurs et groupes de Business Angels.
Les principales startups régionales
Rétablissons de suite quelques ordres de grandeur, tant le potentiel ici est à venir. Encore aujourd’hui, tous les pays de a région présentent des ratios investissements en capitalrisque sur leur PIB minimes, en comparaison des standards occidentaux. Les Émirats Arabes Unis, premier pays de la région, ne rassemble à l’échelle mondiale que 0,2% des financements en capital-risque (à titre de comparaison, ce sont 58% pour les États-Unis et, très loin derrière avec une part de 6%, le Royaume-Uni, numéro 2 mondial).
La majorité des investissements privés dans la région vont aux Émirats Arabis Unis et en Arabie Saoudite, reflétant la taille de leurs marchés locaux, leur stabilité et le nombre croissant de startups cibles d’investissement. Le Liban et l’Égypte connaissent de fortes croissances de leurs investissements en capital-risque, signe également de leur potentiel. Au total en 2017, près de 500 millions de dollars ont été investis dans 130 transactions de capital-risque dans la région.
Parmi les secteurs privilégiés d’investissement, on note :
- les technologies de l’information (Maktoob) et l’e-commerce (business-to-consumer bien sûr avec Cobone, Fawry, Mumzworld, Noon, OnCost, Souq ; consumer-to-consumer avec Bayut, Dubizzle, PropertyFinder ; et progressivement aussi des plateformes web business-to-business, comme Floranow, OfficeRock, WaystoCap)
- les médias (Ghaliah, Loolia, Starz Play)
- les services, notamment de transport ou financiers (Careem, Carriage, Talabat, Zawya ; et plus récemment Darpedia, FilKhedma, Justmop, Matic, PayTabs, Souqalmal, YallaCompare)
- la logistique (Baqqal, Bosta, Fetchr, One Click, TruKKer, VOO) • et aussi, d’autres secteurs tirés par la croissance démographique (éducation, alimentation, etc) et les industries en contact direct avec le consommateur (distribution de détail, santé, etc).
La liquidité des fonds investis au Moyen-Orient apparaît parfois limitée. Cela nous semble plutôt être un défaut de communication de ces sorties, qui s’accélèrent, et dont certaines furent très belles : Maktoob fut racheté par Yahoo en 2010 (et ce fut sûrement un événement marquant dans la nouvelle dynamique entrepreneuriale régionale), Souq.com par Amazon en 2017, citons également les rachats de Talabat ou Dubizzle, etc.
Quid de la French Tech localement
Emblème déclaré de notre écosystème de startups, la French Tech a su faire parler d’elle, en France et aux alentours, depuis quelques années, et refaire une partie de son retard sur l’écosystème anglais. Bien sûr, il y a eu les succès, sans être exhaustifs, de Vente Privée, d’OVH, de Criteo, de DBV Technologies, de BlaBlaCar, de Sigfox, de Zenly, ou l’ouverture de Station F, le plus grand campus de startups au monde, au cœur de Paris. Depuis cinq ans, nous notons de manière plus globale un bond spectaculaire du capital-risque en France (que l’on considère les montants levés par les investisseurs français, comme par nos jeunes pousses innovantes), une sur-performance économique tout du moins en France, un porte feuille fourni et prometteur de startups en phase d’amorçage ; mais des startups encore doucement présentes et performantes hors de France, et de probables sur-valorisations rapportées aux sorties possibles.
L’environnement de soutien aux entrepreneurs français à l’étranger se développe : BPI France, les Ambassades et Services Économiques, Business France, les Chambres de Commerce françaises à l’étranger, etc.
Dubaï est devenu fin 2016 l’un des hubs internationaux de la French Tech. Israël l’était auparavant, mais ne peut être une base-arrière de développement pour le Moyen-Orient. À Dubaï par exemple, nous constatons encore aujourd’hui une certaine décorrélation entre les pépites créées en France mais pas forcément arrivées au Moyen-Orient, et la population de startups «French Tech Dubaï» plutôt montées par des entrepreneurs français ici et à vocation régionale.
Malgré ces initiatives, l’enjeu de la possible crise de croissance de la French Tech réside bien dans sa capacité à s’internationaliser, en créant régulièrement des leaders européens voire mondiaux capables de modifier en profondeur leur écosystème, à même de s’exporter, et attirant des investisseurs étrangers en France. La part du budget «French Tech» consacrée à l’international a peut-être été trop faible dans ces années de lancement.
En particulier, les startups françaises nous semblent en retard dans la région, loin du potentiel régional du numéro deux européen (derrière le Royaume-Uni, et qui a pour le moment mieux réussi à pénétrer les marchés moyen-orientaux). Plus globalement, la pénétration de nos entreprises, petites ou grandes, reste faible : selon le FMI, moins de 1% dans les importations du Koweït, à peine 3,5% de parts de marché en Arabie Saoudite. Elles nous semblent y avoir néanmoins de belles perspectives de développement.
Le Liban pourrait être une base complémentaire pour le développement de l’écosystème français dans la région, plus proche de nous, géographiquement au bord de la Méditerranée, culturellement en partie francophone (trilingue même) et très éduqué notamment en sciences et en mathématiques. Son écosystème entrepreneurial est mature et dynamique : quelques dizaines d’incubateurs et de fonds de capital-risque soutenus aussi par des fonds publics, de nombreux entrepreneurs au pays même ou à l’étranger, un quartier de Beyrouth dédié aux startups du numérique et à l’innovation, etc. Le Liban est naturellement ouvert sur la région : la diaspora libanaise est localement bien implantée, 1400 milliards de dollars de PIB sont à moins de 3 heures d’avion de Beyrouth, etc. Les coûts locaux sont également moindres que dans les autres grandes capitales de la région.
Créer des passerelles françaises dans la région
Nous œuvrons au croisement des écosystèmes français d’un côté, et libanais / koweïtien / moyen-orientaux de l’autre, et à leur dynamisme commun. Nous nous rendons compte sur place que le marché moyen-oriental est souvent mal compris par les entreprises occidentales : si ses perspectives de développement, ses grandes annonces ou ses moyens font parfois saliver nos entreprises, les codes locaux pour développer une affaire sont nombreux et parfois peu lisibles. Mais il y a beaucoup de synergies possibles entre les deux régions, et l’investissement moyen-oriental en France pourrait aussi être développé.
Reprenons les maîtres-mots de la French Tech : fédérer, accélérer, rayonner. Nous permettons aux sociétés technologiques européennes et françaises, ayant acquis un savoirfaire et un positionnement de marché clé sur leur territoire domestique, de se développer au Moyen-Orient.
Nous leur apportons des capitaux propres, notre connaissance des marchés régionaux et de ses réseaux d’affaires / d’influence, nous les accompagnons dans leur gestion régionale, pour une croissance accélérée et sécurisée au Moyen-Orient.
Alors… Ahlan wa Sahlan ! (Bienvenue !) ■
* Le métier du capital-investissement consiste à prendre des participations majoritaires ou minoritaires (sur ses capitaux propres ou sous gestion) dans le capital de petites et moyennes entreprises, généralement non cotées, et à les accompagner dans leur gestion et leur développement. Cette prise de participation permet de financer leur démarrage (capitalrisque), leur croissance (capital-développement), leur cession (capital- La France, encore loin de son potentiel transmission), ou leur redressement et leur survie (capital-retournement).
Auteurs

Chairman and Managing Partner Cedar Mundi Ventures SAL
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