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novembre 2016

Le consultant prend parfois l’initiative d’intervenir hors du périmètre de son contrat de prestation

Le contrat de prestation définit les engagements et notamment les livrables du consultant vis-à-vis de son client. Indispensable garde-fou, il ne peut pour autant servir de base exclusive à la construction d’une relation de confiance durable. Le conseil nécessite en effet une certaine souplesse pour faire face aux aléas des missions, de plus en plus marquées par l’urgence, les impératifs de « time-to-market », et pour des clients demandant la prise en charge de bout en bout de leurs problématiques. Un projet vécu il y a quelques années m’a permis d’en faire l’expérience.


En rentrant de trois semaines de vacances, je retrou­vai un projet en forte effervescence. La date de lancement de l’activité e-commerce de mon client, une entreprise d’habillement, approchait, et malgré tous les plans d’action censés sécuriser l’avancement, la plu­part des chantiers étaient en retard.

Légalisme ou légitimisme

Ma première priorité fut de rectifier le tir sur les sujets dont j’avais la charge : mise en œuvre du site marchand, de l’ap-plication mobile, du dispositif de service client, de la forma­tion de l’équipe commerciale et du plan marketing de lance­ment.

Cependant, le risque majeur concernait la constitution du catalogue de produits : aucun des contrats avec les princi­paux fournisseurs n’avait été signé. La ressource interne mobilisée sur le sujet, manquant d’expérience, avait sous-estimé l’investissement nécessaire au profit d’autres activités. Autant il était acceptable de démarrer sans que toutes les fonctionnalités soient prêtes (gestion des promotions com­plexes, personnalisation automatique du site selon le profil client, présence sur l’ensemble des terminaux mobiles, etc.), autant l’achalandage était primordial car il constituait un axe majeur de différenciation. En tenant compte du délai de commande et d’approvisionnement incompressible, il deve­nait quasiment impossible d’ouvrir le jour prévu...

Or le projet jouissait d’une forte visibilité interne et suscitait une attente énorme au sein de l’entreprise cliente, acteur his­torique et reconnu sur son marché de niche, mais dont les positions étaient remises en question par de nouveaux venus. Il devait lui permettre de prendre pied dans le digital, domaine où elle était en retard sur ses concurrents. Tout report serait extrêmement mal perçu. En effet :

  • la campagne publicitaire était déjà planifiée,
  • le mobilier et les éléments d’ILV1 à destination de dizaines de magasins étaient en cours de fabrication,
  • l’ouverture du site devait coïncider avec le calendrier de communication institutionnelle.

Face à cette situation, deux options s’offraient à moi. Soit, de façon très légaliste, n’étant pas officiellement missionné sur ce sujet de contractualisation, je me contentais de relayer les alertes lors des comités de pilotage tout en essayant de trou­ver le meilleur compromis entre délais et complétude du catalogue produits. Soit, ayant été le moteur principal du projet depuis son cadrage et son lancement, j’optais pour une approche plus légitimiste en m’emparant du sujet dans une optique d’obligation de résultat.

Vu de mon côté, il s’agissait d’une mission étendard devant permettre, en cas de succès, de bénéficier d’une référence enviable. Nous avions travaillé dur avec mon équipe pour remporter l’appel d’offres et, depuis plusieurs mois, nous n’avions pas ménagé nos efforts, bien au-delà des standards de consultant, pour maintenir le projet sur les rails. La solu­tion légitimiste était ainsi la seule réellement envisageable en dépit des risques induits.

Un seul objectif : la réussite du projet

Ainsi, alors même que les chantiers dont j’étais responsable entraient en phase critique, je décidai d’assumer la réalisa­tion de cette contractualisation. Mes consultants étant déjà bien occupés et la montée à bord d’une nouvelle ressource exclue pour des raisons budgétaires (celles-ci ayant déjà entraîné d’âpres négociations lors de la phase d’appel d’offres), je ne pouvais compter que sur moi-même.

Cela se fit de façon naturelle, sans heurts au sein même du dispositif projet qui était constitué à parts égales de consultants et d’employés de l’entreprise cliente, travaillant de façon très intégrée. Nous avions adopté dès le départ un fonctionnement très « intrapreneurial », laissant la part belle à l’initiative et à l’agilité. Le supérieur hiérarchique de mon donneur d’ordre nous accordait une grande latitude dans les orientations choisies et la façon de gérer les travaux, pourvu que la date de lancement soit respectée et que le site soit financièrement performant. Les comités de pilotage régu­liers reflétaient cette situation, en se focalisant principale­ment sur les résultats et finalement assez peu sur les moyens mobilisés pour les atteindre. Dans tous les cas, c’était à l’équi-pe de s’adapter pour éliminer tout obstacle surgissant sur le chemin.

Malgré tout, mon initiative causa quelques tensions ailleurs dans l’organisation, principalement en raison de mon intru­sion dans un périmètre de responsabilité réservé. En effet, les négociations avec les fournisseurs étaient, assez logique­ment, le pré carré des acheteurs de l’entreprise. Il n’était pas naturel qu’un consultant externe porte ce sujet opérationnel, qui ne relevait pas de sa mission de transformation de l’orga-nisation, des processus ou des systèmes. Il fallut apaiser les tensions naissantes en faisant jouer à mon client le rôle d’in-terface et de pilote « officiel » du chantier. Ce qui évidem­ment se faisait au détriment de la fluidité des échanges.

Par ailleurs, la charge de travail induite était conséquente. Il fallait gérer en parallèle une dizaine de contractualisations, en procédant par des itérations courtes de quelques jours :

  • lecture de la version du contrat transmise par chaque four­nisseur,
  • définition des points acceptables ou à faire arbitrer,
  • recueil et arbitrages des retours des autres parties pre­nantes chez le client (juridique, finance, informatique, etc.),
  • amendement de la proposition de contrat avec la direction juridique et son avocat,
  • réunion de négociation avec chaque fournisseur pour tran­cher le plus grand nombre possible de désaccords.

Même si j’arrivais à mener de front toutes les tâches de ma mission, mon initiative impactait négativement ma disponi­bilité pour traiter les autres activités qui m’incombaient vis-à-vis de mon employeur. En tant que consultant expérimenté, je devais concilier le temps passé sur la mission au service d’un client et celui consacré au développement commercial du cabinet et à son développement plus global : formation des consultants, capitalisation de connaissances, recrute­ment, etc. Ce qui était impossible dans cette période. Il me faudrait compenser ultérieurement le retard que je prenais sur mes objectifs annuels.

Malgré tout, les avantages de la situation étaient indé­niables : au-delà de l’intérêt du processus de négociation, nouveau pour moi, la prise en charge de ce chantier me per­mettait d’avoir en main la plupart des leviers de pilotage du projet, et ainsi d’assurer une meilleure synchronisation du planning. Sur un plan plus personnel, cela m’offrait une réel­le expérience « hands-on », loin de la posture classique du consultant en management qui souvent se retranche derriè­re ses présentations PowerPoint ou ses modèles Excel.

Ce fut une période brève de travail intense, assez difficile, aux limites de mon périmètre de compétence, mais qui permit de constituer une offre produits suffisamment riche pour le lan­cement du site. Il va sans dire qu’à ce moment le contrat de prestation, et notamment la liste de livrables prévus initiale­ment, était loin des préoccupations de tout le monde. Tout juste avions-nous validé, mon client et moi, par échange d’e-mails informels, les thèmes sur lesquels je devais me concen­trer en priorité pendant ces quelques semaines.

in fine, cette prévalence du légitimisme sur le légalisme fut donc bénéfique. Ma capacité d’engagement avait été démontrée – le client m’avoua que c’était la première fois qu’un consultant l’aidait « réellement » à résoudre un problè­me – et notre relation s’installa dans la durée par le biais d’autres missions.

En guise de conclusion : un équilibre à trouver

Bien évidemment, la réalisation par un consultant de travaux complémentaires sans contrepartie ne peut pas être la règle, pour des raisons financières mais également de charge de travail et d’équilibre personnel. D’autant qu’il peut arriver qu’un client estime naturel, sur une prestation au forfait, que le consultant soit là pour résoudre tous les problèmes qui surviennent, y compris du fait de tiers ou d’autres aléas. Il est donc important de fixer au démarrage des limites, notam­ment sur ce qui peut ou doit déclencher un avenant. Et si le projet se passe moins bien que prévu, il faut éviter d’être pris en défaut sur ses livrables contractuels, notamment vis-à-vis d’une direction des achats.

Cependant, un projet digital ambitieux, contraint par une date de mise en service impérative et un cahier des charges évoluant en continu, s’articule par nécessité autour d’une équipe réduite, composée de profils polyvalents, multitâches et focalisés uniquement sur la réussite finale. Tant et si bien que la délimitation précise des rôles et responsabilités de chacun n’est pas possible, à moins de gaspiller un temps pré­cieux à arbitrer constamment les décisions de gouvernance en se référant au contrat. Il incombe donc au consultant, en bonne intelligence avec son client, de faire preuve de discer­nement dans la manière dont il prend l’initiative d’intervenir hors du périmètre de son contrat de prestation. ■

 

  1. information sur le lieu de vente : signalétique digitale ou matérielle en magasin, permettant d’informer le client sur un univers produits ou, dans le cas présent, sur le lancement du site e-commerce venant compléter l’offre disponible dans le réseau de distribution physique.

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