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mai 2011

La carrière commence dès l’École

Le mot camarade a certes quelques défauts.

Un peu vieillot, une connotation encore partisane peut-être, mais il jouit en tout cas d’un avantage énorme, celui de s’écrire au masculin comme au féminin.

Permettez-moi donc d’en faire un usage que je vous promets raisonnable tout au long de mon propos.

Et d’abord qui es-tu, camarade ?

Une lectrice peut-être, un jeune cadre débutant, un senior confirmé, un retraité hyperactif ?

Tu feuillettes distraitement la revue dont tu as tout de suite reconnu la couverture familière dans le courrier du jour. Tu en tournes les pages, accro­ché ici ou là par un titre ou une photo (Ah ! je le connais celui-ci ! Il n’a pas changé, ou alors la photo est ancienne...)

Tu te demandes déjà si tu vas mettre la revue dans le tas de gauche (à lire dès que j’aurai le temps) ou dans celui de droi­te (à garder car le thème est intéressant).

Non, ne t’en vas pas, reste encore un moment avec moi. Que dis-tu ? Tu es sorti(e) de l’école il y a déjà quelques années et tu ne te sens pas vraiment concerné(e) par le sujet ? Attends, je vais t’expliquer, ça ne sera pas très long.

Il y a de cela près de 15 ans, l’Association des Anciens de Saint-Étienne a pris le parti de s’installer dans les locaux de l’École des Mines et d’y mener une action de proximité au service des élèves. Ceux-ci trouvent là une réponse à leurs besoins extra ou péri-scolaires, qu’il s’agisse de prêt, d’aide financière pour un projet ou de questions touchant à la mai­son des élèves.

Ils s’y sentent chez eux car ils sont bien accueillis et ils s’y sentent compris car on y résout leurs problèmes. Il faut louer à cet égard l’efficacité de Clément Doaré et de Christiane Durand.

C’est dans le même esprit que l’association propose à tous ceux qui le souhaitent des conseils en matière de rédaction de CV, de lettre de motivation, de préparation d’entretien de recrutement et plus généralement offre l’opportunité aux élèves de parler très librement de leur projet de carrière ou plus souvent de leur projet... de projet de carrière.

C’est ainsi que depuis maintenant près de quatre ans j’ai le plaisir d’aller périodiquement partager un moment avec de jeunes futurs diplômés de notre école, expérience que je renouvelle avec la même satisfaction partagée, quoique dans un autre cadre, auprès des écoles grenobloises du groupe INP.

J’ai le privilège d‘avoir ainsi pu rencontrer plu­sieurs centaines de jeunes élèves ingénieurs et c’est de cette expérience dont je voudrais te par­ler, cher(e) camarade si tu restes encore un moment avec moi.

D’où viennent-ils, qui sont-ils, que veulent-ils ?

J’aurais pu tirer de ces nombreux échanges une manière de statistique avec moyenne et écart-type pour faire sérieux. J’aurais pu chercher des corrélations savantes entre l’âge, le sexe, l’origine, l’option. Peut-être aurais-je même pu trouver l’âge du capitaine. Je ne l’ai pas fait tant il me semble évident que la matière dont je veux parler ici n’est pas de celle qui se met en équation.

Qu’importe d’ailleurs qu’ils viennent d’une province fran­çaise, d’Amérique du Sud ou de Chine.

Qu’importe ce qu’ils sont aujourd’hui car ils seront déjà dif­férents demain !

Mais il me semble avoir saisi ce qu’ils viennent chercher lorsqu’ils poussent la porte du petit bureau où je les accueille, le dénominateur commun à leurs attentes qu’ils soient garçons, filles, européens ou asiatiques, le besoin d’un peu d’aide, le désir d’une confrontation et une curiosité à satisfaire.

Un peu d’aide

C’est en quelque sorte une entrée en matière, quelque chose comme un prétexte qui permet aux deux interlocuteurs de nouer le contact et qui répond aussi à des interrogations concrètes sur la mise en forme et le contenu d’un CV, exer­cice difficile lorsque l’on a peu ou pas d’expérience et que l’on a le sentiment de n’avoir rien à dire.

C’est l’occasion de saisir le bout de la ficelle pour commen­cer à dérouler la pelote, et de s’interroger sur ses acquis, qu’ils viennent du cursus scolaire ou des expériences per­sonnelles parfois fort éloignées, du moins en apparence, des exigences professionnelles. Car les parcours professionnels commencent bien souvent avant et en dehors de l’École, tant il est vrai que les attentes des recruteurs s’expriment non seulement en termes de savoir-faire mais aussi de savoir être. Et si le capital compétence commence à se constituer à l’école, le capital personnel pré­existe et demande à être découvert.

Une confrontation

Ils sont ensuite à la recherche d’une confrontation. Que leur projet soit construit ou en devenir, ils ont besoin d’en par­ler, de l’afficher, de le défendre, parfois avec virulence pour se convaincre qu’ils ont fait le bon choix ou qu’ils sont dans la bonne direction.

Ils ont besoin d’une écoute différente de celle que leur offre leur entourage (parents, professeurs, camarades) d’une écou­te à la fois compréhensive et désintéressée, je veux dire par-là bienveillante mais sans concession.

Je crois que les anciens élèves sont bien profilés pour ce rôle-là.

Que dis-tu camarade ? Écouter c’est bien mais encore faut-il pouvoir répondre. Et avec quelle légitimité ?

Tu as raison mais ce que l’on peut apporter n’est pas un avis péremptoire sur le projet de l’élève car une telle validation supposerait effectivement un travail au fond et dans la durée sur l’ensemble de la problématique bilan personnel - bilan de compétence - analyse du marché de l’emploi. Non, ce que l’on peut apporter tient davantage du questionnement : quelle motivation ? Sur quoi repose-telle ? a-t-elle été vali­dée ? et dans l’exploration des zones encore un peu confuses du projet telles que l’adéquation de la personnalité avec le métier ou le choix de vie qu’il sous-tend.

C’est dans cette discussion que l’élève lui-même éclaire son choix, le confirme ou y découvre parfois de nouvelles incer­titudes.

L’avocat du diable est tout aussi nécessaire que le défenseur de la cause et si certains repartent avec de nouvelles ques­tions, ils n’ont pas pour autant le sentiment d’être venus pour rien.

Une curiosité

Tous ceux que je reçois ont dans le regard la curiosité inquiète de celui ou celle qui s’apprête à entrer dans un monde, sinon étranger, du moins inconnu : celui de l’entreprise. Certes, ils ont une connaissance scolaire ou culturelle plus ou moins approfondie de ce qui caractérise une activi­té économique. Ils ont déjà eu un premier aperçu à l’occasion d’un stage, ils ont assisté à quelques «amphi-retape» mais tout ceci reste du domaine de la vision extérieure et il leur reste une interrogation fondamentale. Que devient-on une fois franchie la porte de l’école, que reste-t-il de l’élève ingénieur, à quoi ressemble celui qui y consacre ou y a consacré une part importante de sa vie ? Est-il satisfait ? Et si c’était à refaire ?

Les questions sont parfois directes, parfois cachées mais tou­jours présentes à un moment ou à un autre de l’entretien. S’ils sont en général confiants dans leur formation, la soli­dité de leur diplôme et dans leur avenir, toutes et tous ont le sentiment qu’une page se tourne et que l’inconnu les attend. De là, ce besoin d’un témoignage sur l’expérience de ceux qui ont franchi le pas, témoignage que chacun de nous peut apporter.

Et si d’aventure, un jeune camarade sonne à ta porte ou sur ton téléphone portable, je ne doute pas un instant, cher camarade que tu sauras toi aussi l’écouter et lui répondre.

Allez ! Je te laisse.

 

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