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janvier 2017

L’aluminium dans les structures aéronautiques

Les origines

L’intérêt de l’aluminium et ses alliages est apparu dès les pre­miers pas de la construction aéronautique au début du XXe siècle. Les propriétés de légèreté et de résistance permet­taient tous les espoirs. Les Allemands furent les premiers à utiliser ce matériau dans les éléments de structure des Zeppelins. Le métal utilisé résulta d’un progrès spectaculaire accompli en 1908 par la métallurgie de l’aluminium : Alfred Wilm déposa un brevet pour un alliage aluminium-cuivre-magnésium traité à chaud et durci par vieillissement à tem­pérature ambiante présentant le degré de résistance d’un « acier doux ». Il fut appelé duralumin, alliage encore présent de nos jours sous de multiples variantes, après de nom­breuses améliorations (série 2000, alliage de base AU4G1ou 2024). Ce matériau conserva une place prépondérante jus-qu’à l’apparition de la famille aluminium-zinc-magnésium-cuivre aux caractéristiques encore plus élevées qui devait devenir, après la deuxième guerre mondiale, la deuxième famille de matériau de base de l’aéronautique (série 7000, alliage de base AZ5GU ou 7075). Le demi- produit est livré à l’industrie aéronautique sous les formes de matériau coulé, filé, forgé, laminé, etc., selon naturellement l’évolution des techniques de construction de celle-ci. Dans cet exposé nous nous intéresserons aux seuls demi-produits destinés aux structures et en particulier aux laminés qui devaient prendre une place prépondérante dans la deuxième moitié du XXe siècle.

1939, la deuxième guerre mondiale, création de l’usine d’Issoire en France

Faut-il rappeler le développement prodigieux de l’aéronautique militaire au cours de la seconde guerre mondiale et le développement, tout aussi prodigieux, de l’appareil indus­triel de fabrication de demi-produits forgés, filés et laminés notamment aux États-Unis ? Où en étions-nous en France en 1939 ? Le 1er septembre, la guerre éclata. Nous n’étions pas prêts. Le protocole d’accord de construction de l’usine d’Issoire fut signé le 10 novembre 1939. La suite, nous la connaissons malheureusement...

Le projet fut repris en 1945 et nos anciens eurent là une idée de génie en adoptant des dimensions tout à fait révolution­naires pour l’époque : 112 pouces de largeur de table à chaud et à froid. Dans les années 50 et 60, la production d’Issoire était destinée essentiellement à l’industrie française : avions Marcel Dassault pour le militaire et programmes Caravelle et Mercure. Dès 1960, l’usine prévoyait d’avoir à faire face à un fort accroissement des demandes de tôles épaisses, d’épais-seur supérieure à 1/2 pouce (12,7mm) pour les programmes militaires en cours et le programme Concorde à venir. La deuxième idée de génie fut de créer un atelier séparé pour les tôles épaisses ce qui permit de mettre en place des outils dédiés, notamment un laminoir de 3 200 mm de largeur de table et un banc de traction pour des épaisseurs de 10 pouces (250 mm) ainsi que des fours d’homogénéisation de trempe et de revenu de mêmes capacités dimensionnelles.

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Évolution de la technique de conception des structures aéronautiques

Les avions civils des années 50 et 60 (Boeing 707, Caravelle, etc.) étaient encore en «structures assemblées» dites aussi «en cage d’oiseau», directement dérivées des structures en bois et toile des débuts de l’aéronautique. La peau est une tôle mince d’épaisseur comprise entre 0,5 et 3 mm, le bois est remplacé par des profilés qui permettent de raidir la peau. Déjà, la plupart des programmes militaires, notamment les avions Dassault avaient adopté une autre technique de struc­ture dite « structure intégrale » obtenue par l’usinage dans la masse de la tôle de peau et du profilé raidisseur. Le produit de départ est une tôle dont l’épaisseur de 20 à 150 mm est adaptée à l’encombrement total de la peau et du raidisseur. Certes, cette dernière technique conduit à faire beaucoup de copeaux mais, en revanche, n’a pas les inconvénients de la structure assemblée, corrosion possible et initiation de criques dans les trous de rivets. Cette technique peut faire l’objet d’automatisation poussée (usinage à commande numérique) qui diminue très sensiblement les coûts de fabri­cation. Le développement des structures intégrales n’a été possible que par une amélioration très sensible de la qualité des produits dans le sens de l’épaisseur (qualité fonderie, adaptation des alliages, maîtrise des techniques de fabrica­tion) et aussi par une maîtrise parfaite du détensionnement (à l’usinage et après l’usinage la pièce ne doit pas bouger par libération de contraintes internes). Avec sa fonderie, l’unité de fabrication de demi-produits est parfaitement bien placée pour recycler les copeaux dans les meilleures conditions. La logique industrielle est alors de fabriquer in situ un produit au plus près des cotes finales et même de fabriquer in situ la pièce elle-même. C’est ce qui s’est passé : un atelier d’usina-ge a finalement été créé à Issoire pour livrer des pièces finies.

1970 : Naissance du programme Airbus, apport du Concorde, concurrence européenne

Cet atelier de tôles épaisses d’Issoire des années 60 avait été conçu pour les avions militaires et civils (Falcon) de Dassault et pour le Concorde qui avait finalement adopté la fameuse technique intégrale des avions militaires. L’aventure aurait pu s’arrêter là car le programme Concorde a été réduit à 15 exemplaires, prototypes compris, et les approvisionnements totaux à 21,5 exemplaires. En 1970, survint le démarrage du programme Airbus : profitant de l’existence de cet atelier, il adopta dès le départ la fameuse structure intégrale et les premiers A300 profitèrent même de l’existence du stock de tôles inutilisées du Concorde ! À partir de là, tous les déve­loppements du programme Airbus se calèrent sur les capaci­tés dimensionnelles de l’usine d’Issoire et notamment celles de l’atelier de tôles épaisses (A300, A310, A320, A330, A340 et A380 enfin presque pour ce dernier). Il faut noter que le grand concurrent Boeing n’adopta cette conception de structure intégrale qu’à partir des années 90 sur le B777 et le B730 NG (new generation).

Quelle était en 1970 la situation concurrentielle d’Issoire en Europe ? Avant cette date, chaque État qui avait une ambi­tion aéronautique protégeait sa propre industrie de demi-produit aéronautique (France, UK, RFA). Après 1970, les avan­tages concurrentiels d’Issoire étaient tels que VAW ferma suc­cessivement ses usines de Bonn et de Hanovre et l’industrie aéronautique anglaise nous ouvrit ses portes. Un exemple très significatif fut, dans le domaine militaire, le programme MRCA, appelé encore Tornado, en coopération entre l’Italie, le Royaume-Uni et la RFA. La France étant absente, nous ne devions pas livrer ; en fait nous avons eu une part très signi­ficative en raison de notre aptitude à mettre au point des alliages à base beaucoup plus pure, 2124 et 7475 d’abord puis 7050. Ceci nous permit de maîtriser les techniques de fabrication des matériaux à haute résistance au dommage, demande qui apparut chez Airbus quelques années plus tard.

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Le programme Airbus : évolution des techniques, concentrations industrielles, concurrence des matériaux

En 1970 l’aéronautique occidentale était à plus de 90% amé­ricaine. Comment avons-nous contribué à contribué à l'épo­pée Airbus

A 300 : décision de lancement du programme en 1967

La demande la plus difficile à satisfaire a été celle de Hawker-Siddeley, sous-traitant anglais d’Airbus en charge de la voilure ; l’extrados (top) étant en 7075 et l’intrados (bottom) en 2024, la difficulté venait des très grandes dimensions des plaques à couler. Les tronçons de fuselage étaient dévolus notamment aux partenaires allemands (VFW-Fokker et Messerschmitt), la très grande largeur des tôles minces de revêtement (plus de 2 m) correspondait parfaitement aux très grandes capacités dimensionnelles des laminoirs de l’atelier de tôlerie mince. La réussite de ces deux défis plaçait déjà Cegedur sur le marché aéronautique des demi-produits en position de n°2 mondial et de n°1 européen, et donc le fournisseur de référence des coopérants d’Airbus.

A310 : décision de lance­ment du programme en 1975

Pour améliorer la résistance des matériaux au domma­ge, les partenaires d’Airbus abandonnèrent l’alliage AU2GN et adoptèrent massivement des alliages à base plus pure, 7175, 7010, 7050. Cegedur ayant porté sa capacité de longueur en tôles épaisses de 15 m à 22 m en 1982, le partenaire anglais décida de modifier radicalement sa voilure, ce qui est rarissime pour un programme en cours, et d’utiliser un alliage plus difficile à couler le 7150 dans les plus grosses plaques possibles de 12 tonnes.

A320 (et A318, A319 et A321) : décision de lancement du programme en 1984

A330/A340 : décision de lancement du programme en 1988/1989

À ce stade il convient de mentionner le développement du premier pro­gramme de recherche sur les alliages Aluminium-Lithium (Ali). La profes­sion mit en place dès 1982 cette recherche pour contrer la montée, faible mais régulière, des matériaux composites dans les structures des avions : 5% pour l’A300, 8% pour l’A310, 12% pour l’A320 sans parler des projections dont nous parlait Boeing qui étaient un véritable effon­drement de l’utilisation de l’aluminium à partir du début des années 90. L’utilisation des Ali fut vraiment envisagée en 1988 pour le programme A330/A340. Cette recherche nous évita ainsi, une véritable percée des composites.

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Avant de décrire le lancement de l’A380, revenons sur l’évolution de la concurrence mondiale essentiellement américai­ne. Boeing avait absorbé Mc Donnell Douglas en 1997 et res­tait seul sur le marché civil des gros porteurs face à Airbus qui le talonnait. Sur le marché des demi-produits aéronautiques, Alcoa était devenu leader chez Boeing à plus de 80%. Les producteurs de deuxième rang avaient de grosses difficultés financières : Kaiser, (usine de Trentwood), Century (usine de Ravenswood), Reynolds (usine de Mac Cook). Pechiney Rhenalu (anciennement Cegedur), toujours écarté des livrai­sons directes à Boeing par le couple Alcoa/Boeing, se devait d’attaquer Alcoa sur son propre marché en devenant améri­cain. Après avoir visité à plusieurs reprises les trois usines américaines à vendre, j’ai personnellement orienté le choix sur l’usine de Ravenswood en raison de la présence d’outils permettant d’augmenter notablement les capacités dimen­sionnelles d’Issoire : laminoir de largeur de table 4 200 mm et surtout banc de traction gigantesque de 14 000 t (Issoire : 6 000 t, Alcoa Davenport : 8 000 t), dans la perspective du pro­chain lancement de l’Airbus A380. La négociation du rachat de Ravenswood par Pechiney fut conclue à l’été 1999 et, chef du projet, je prenais la tête de la société Pechiney Rolled Product et de l’usine de Ravenswood. Notre position aux USA fut même complétée en 2002 par l’achat du matériel princi­pal de l’usine de Mac Cook, laminoir et banc de traction et surtout le savoir-faire et les brevets de fabrication des alliages Ali. Après la première période de lancement des Ali dans les années 80, Mac Cook avait continué les recherches et avait livré des matériaux en Ali pour la construction de la navette spatiale américaine. Ainsi en 2000, Pechiney deve­nait un acteur américain majeur et recevait 30% de part de marché des tôles épaisses chez Boeing et atteignait 40% de ce produit au plan mondial (20 à 25% en 1996!)

A380 : décision de lancement en 2000

Je laisse parler Robert Mace, chef métallurgiste à Issoire puis responsable de la R&D aéronautique au Centre de Recherche de Voreppe de Pechiney. « ce formidable défi (avion de 80 mètres d’envergure, de 73 mètres de longueur et pesant près de 600 tonnes au décollage) s’est traduit d’abord pour nous par des contraintes dimensionnelles : en effet la longueur maximale des tôles de revêtement de voilure est passée à 34 mètres (contre 22 mètres pour les avions précédents depuis l’A310) et la section maximale des tôles épaisses pour longerons de voilures nécessi­te une force de traction de 12 000 tonnes... ces tôles ne sont réa­lisables qu’à l’usine de Ravenswood acquise par Pechiney en 1999. Par ailleurs, on note pour l’A380, une nouvelle poussée des matériaux composites qui représentent 20% de la masse de la structure avec comme élé­ment phare le caisson central de voilure à plus de 50% de composites». Boeing, ayant alors avec Airbus un sérieux concurrent, se devait de contre-attaquer et ce fut le lancement du B787. Il était présenté à la presse comme l’avion noir, traduisez entièrement en composites à fibres de carbone ! Les composites semblaient avoir fait le pas décisif.

A350 : décision de lancement du programme 2006/2007

Robert Mace poursuit : « cet avion décidé par Airbus pour contrer le nouveau B787 de Boeing a été, comme son concur­rent, extrêmement novateur en matière de matériaux : la voilu­re est majoritairement en matériaux composites et le fuselage en alliages d’aluminium lithium de nouvelle génération ». Là apparaît pour Pechiney Rhenalu et ses successeurs, la perti­nence des acquisitions aux successeurs de Reynolds en 2002 du matériel, du savoir-faire et des brevets. Une fonderie a été créée à Issoire, elle livre depuis 2011 un matériau appelé Airware, une deuxième tranche en 2015 permet de suivre le développement du programme.

Conclusion

L’industrie aéronautique des gros porteurs civils et celle de ses fournisseurs de demi-produits en aluminium se sont construites sur le très long terme, sachant qu’un programme de gros porteurs a une durée d’au moins 30 ans. J’ai essayé de vous décrire ce qu’a été l’évolution des techniques et la formidable concentration de cette industrie qui en a résulté, au cours d’une période de 50 ans, au point qu’actuellement il reste deux pôles avec chacun son fournisseur de référence. La progression des matériaux composites a été lente au début mais régulière et n’a abouti véritablement qu’au cours de la dernière décennie avec les programmes des B787 et A350. L’aluminium est encore le matériau prépondérant et pour encore longtemps en raison notamment du program­me A380. La réponse de l’aluminium à cette poussée des composites est l’alliage Airware.

Le match n’est pas fini...

 

 

 

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