
JE SUIS PASSIONNÉ PAR LA STRATÉGIE
HUMANISTE DE L’ÉCOLE
Jacques Fayolle est directeur de Mines Saint-Étienne depuis le 1er mai 2022 pour un mandat de 5 ans. Après son doctorat en informatique à l’Université Jean Monnet, où il entame sa carrière, il est élu à la direction de Télécom Saint-Étienne en 2012, puis réélu en 2017. Il participe dès 2011 aux instances de la CDEFI (Conférence des Directeurs des Écoles françaises d’Ingénieurs), et en élu président en 2019 puis 2021.
De 2014 à 2019, il a été membre du Comité d’orientation stratégique et du Comité exécutif de l’Institut Carnot Télécom & Société Numérique porté par l’Institut Mines-Télécom. Il a
également dirigé l’incubateur de startups USEIN et a occupé différentes fonctions au sein de Digital League, le cluster des entreprises de l’industrie du numérique en Auvergne-Rhône-
Alpes. Il préside la Fondation Learning Lab Network depuis 2019.
Directeur de l’école des Mines de Saint-Étienne depuis 2022, quel est aujourd’hui votre rapport d’étonnement ? Pourriez-vous brosser un portrait des points forts et faibles de notre chère école ?
En tant que président de la Conférence des Directeurs des Écoles françaises d’Ingénieurs (CDEFI) et après avoir passé 10 ans à la tête de Telecom Saint-Étienne, je dispose d’une certaine connaissance des écoles d’ingénieurs. Je peux vous assurer que je ne suis absolument pas surpris de constater que Mines Saint-Étienne est en effet une très belle institution, qui fonctionne bien à tous les niveaux. Concernant les points forts, je pense à deux choses : D’abord, notre proximité avec les entreprises, marquée par notre ministère
de tutelle (ministère de l’Économie, des Finances de la Souveraineté industrielle et numérique). Cette relation permet d’asseoir un socle solide autour du développement économique et de l’innovation, qui se caractérise concrètement
autour du trépied suivant :
• La Formation des acteurs et cadres de l’industrie du futur, capables de répondre aux njeux d’aujourd’hui et de demain.
• La Recherche pour réfléchir et créer l’innovation dont le monde industriel a besoin.
Récemment, et de plus en plus, les partenariats entre nos 5 centres de recherche se développent. On pourra ainsi citer la coopération croissante du CIS (Centre Ingénierie Santé) avec l’Institut Henri Fayol (Performance des Processus et des Organisations) sur les thématiques de l’IA appliquée au biomédical.
• L’Accompagnement, de l’innovation ou de différents projets, qui se décline sous de nombreuses formes comme celle de l’entrepreneuriat. Ensuite, la compétence sur la transition écologique : l’établissement et ses partenaires se développent depuis de nombreuses années autour de sujets comme les nouveaux matériaux, l’économie circulaire, la trans modularité, etc.
L’école a d’ailleurs été classée premier établissement français en matière de lutte contre le réchauffement climatique par le Time Higher Education en 2022. D’une manière plus générale, Mines Saint-Étienne dispose de beaux projets, de nombreuses forces en interne et pour reprendre mon constat liminaire, je peux réaffirmer que c’est une “très belle machine”.
Cela dit, l’ensemble de ces aspects reste peu visible de l’extérieur, ce qui constitue en soi une faiblesse. La communication est donc bien un axe d’amélioration pour nous. Par ailleurs, je constate une certaine structuration hiérarchique dans l’organisation. Je souhaite rendre le fonctionnement plus agile, en privilégiant les processus courts, en facilitant
la prise d’initiative, en favorisant l’interdisciplinarité entre les centres.
Ma vision du poste de directeur n’est pas de diriger depuis ma tour d’ivoire, mais de me déplacer dans les centres, de rencontrer nos enseignants-chercheurs. À mon sens le résultat importe plus que la forme : le tutoiement est de rigueur, chaque salarié sait qu’il peut avoir accès à moi si besoin. Faisons un peu de prospective.
Décrivez-nous votre vision stratégique de l’école en 2030.
D’ici 2030, il y a de très grands enjeux et je souhaite d’abord rappeler l’humilité avec laquelle nous devons aborder cette période : qui aurait pu prédire fin 2019 la crise sanitaire ou le retour de la guerre en Europe ? Cela rejoint mon propos sur l’agilité que je viens d’évoquer.
Plus que de l’agilité, il faudra développer une certaine résilience : une capacité accrue d’adaptation à notre environnement. Je n’ai aucun doute sur les capacités de la structure à relever ce premier défi, comme cela a pu être le cas lors du COVID.
Par ailleurs, j’ai une croyance dans le progrès ! Les technologies en sont des leviers incontournables et les ingénieurs
sont à l’initiative de cela. Dans le cadre du plan de relance de l’industrie française, il faudra former plus d’ingénieurs
de manière significative. Si nous avons déjà réussi à augmenter ce nombre de 30 % sans dotations supérieures
de l’Etat, il faudra néanmoins continuer ce travail pour former 15 % d’ingénieurs supplémentaires d’ici 2027.
L’axe santé de notre formation est un point d’attractivité très fort. Bon nombre de lycéens hésitent entre des études de santé et d’ingénierie au moment de leur orientation postbac. De même, on constate une demande croissante d’ingénieurs avec une compréhension fine des spécificités du milieu médical. De ce fait, je suis convaincu que la création d’une “voie du milieu” qui
formerait des ingénieurs particulièrement adaptés à évoluer dans ce milieu prend tout son sens et existera à l’horizon
2030.
La volonté de contribuer à la souveraineté numérique de l’Europe sera également parmi les enjeux prioritaires de l’école. De ce côté, le campus Provence de Mines Saint-Étienne est déjà très fort concernant la production des composants
du futur, il faudra entretenir et renforcer cette position.
Quels sont les principaux obstacles que vous identifiez ?
Les obstacles que j’identifie a priori peuvent très bien se transformer en levier. Jusqu’alors, l’État a doté l’école de fonds importants qui ont permis son développement. Il est probable que les budgets alloués n’augmenteront pas considérablement dans le futur. Il faut donc être capable de produire des modèles économiques nouveaux : de nouvelles formations, mais plus généralement des appels à projets ou des appels à recherche. Cela passe également par la création de chaires industrielles ou le développement de l’apprentissage. D’autre part, la question des viviers de recrutement se pose inévitablement. Après s’être inversée l’année dernière, la courbe démographique laisse présager qu’il y aura de moins en moins de Français qui arriveront en étude supérieure à l’horizon 2030-2040. De même, la réforme du lycée entreprise récemment ne favorise pas l’appétence des
futures générations vers les sciences, le modèle des Classes Préparatoires aux Grandes Écoles est de plus en plus
questionné… Pour reprendre une terminologie propre à l’entreprise : il faut éviter “l’accident industriel” et anticiper ces changements structurels en diversifiant notamment nos canaux de recrutements. L’attractivité à l’international
avec plus de mobilités entrantes longues fait déjà partie de ce processus et a vocation à se développer encore davantage.
Sur quelle logique l’école construit-elle ses réseaux ? Avec quels objectifs ? Quelle place pour le triptyque historique Paris –Saint-Étienne – Nancy ?
L’école a des partenariats à différentes échelles. Il ne faut pas y voir des surcouches administratives stériles mais bien une organisation adaptée à chaque situation, avec pour objectif final de répondre à la question : “Comment est-on efficace dans le pilotage de l’innovation ?”. Tout d’abord, nous sommes une école membre de l’IMT, et à ce titre nous bénéficions de tout l’écosystème national de ses membres. L’idée étant de mutualiser ce qui peut l’être afin de booster la recherche, la formation… Je crois profondément dans la “subsidiarité ascendante” : chaque école doit être autonome dans sa prise de décision. L’initiative personnelle de notre école est un moteur à l’avancée collective. Concernant les partenariats régionaux, l’école dispose de deux éléments majeurs. Le CHELS (Collège des Hautes Études Lyon Sciences) regroupe de nombreuses écoles et universités dans
le bassin Lyonnais. Cela nous permet de développer des modules de formations interdisciplinaires en s’associant par exemple avec VetAgroSup pour imaginer l’agriculture de demain, ou avec l’ENS Lyon pour travailler autour du transport et de la mobilité. Le collège d’ingénierie Lyon Saint-Étienne (INSA Lyon, Centrale Lyon, ENTPE, Mines Saint-Étienne), récemment créé, a pour
vocation de répondre aux enjeux des grandes transitions à l’aide de nouveaux modèles de coopérations entre acteurs académiques et socioéconomiques du même territoire. Les domaines particulièrement ciblés se déclinent autour de l’Industrie et
société décarbonée, de l’Économie circulaire et des Sociétés numériques responsables. Le trio historique Saint-Étienne, Nancy
et Paris, se structure autour de trois organisations administratives distinctes. C’est évidemment un incontournable de l’accompagnement des Alumni et des élèves de nos écoles, tout au long de leur carrière. Il faut savoir tirer parti
des visions et expériences différentes : profiter du meilleur de chacun. Quelle méthode, démarche, allez-vous mettre en place pour conduire cette évolution ? Je souhaite mettre en avant les valeurs de l’école afin de conserver notre identité lors de ces transformations à venir. En premier lieu, notre approche repose sur le développement économique par l’innovation. Nous nous appuierons bien entendu sur nos partenaires historiques et continuerons de nous développer sur le territoire et au-delà.
Je suis particulièrement sensible à notre savoir-faire en matière d’inclusivité, je veillerai à ce que cela reste au
centre de notre démarche. Nous sommes fiers d’être parmi les grandes écoles les mieux représentées en matière d’élèves boursiers. Néanmoins, il est important de continuer de développer une culture de l’inclusion des personnes en situation de handicap et du genre. Parmi les autres spécificités qui nous sont propres, notre proximité avec le milieu médical nous permet d’éprouver nos méthodes à ce qui se fait de mieux en matière de gestion du risque. Il y a également de belles dynamiques à initier de ce côté. Attention toutefois à trouver le bon compromis entre vitesse de déploiement des projets et gestion des risques !
À propos de la relation École /Alumni : quelles contributions attendez-vous ? Que faut-il absolument garder ou au contraire changer ?
Les Alumni véhiculent dans le monde professionnel et parfois au-delà les valeurs de Mines Saint-Étienne. À ce titre, l’école doit être à l’écoute de ces derniers et de leurs entreprises à travers eux. Les Alumni sont extrêmement
pertinents pour l’accompagnement stratégique de notre établissement : leur avis est irremplaçable. Je souhaite
d’ailleurs instaurer un format plus efficient permettant aux Alumni d’être plus présents dans la vie de l’école, en donnant
des cours ou pilotant des projets industriels. Cela viendrait compléter leur participation aux temps forts de la formation (Grand Oral Professionnel, Journée ICM…) et de la vie à l’école en général (Week-end d’Accueil des Nouveaux Arrivants…).
Si vous deviez piloter l’école avec 3 indicateurs, lesquels seraient-ils ?
En premier lieu, je pense aux effectifs et à la qualité des effectifs, et donc au niveau moyen de recrutement, qui a un
impact direct sur la qualité de la formation. Il faut garder en tête que la marque Mines Saint-Étienne ne suffit plus. Elle est bien sûr nécessaire mais nous devons veiller à valoriser nos différences auprès des candidats. Ensuite, le chiffre d’affaires. Il peut être
décomposé en CA recherche, CA innovation et de manière accrue dans les prochaines années en CA formations avec les mastères spécialisés, les droits d’inscriptions. Il faut savoir saisir les opportunités où elles se présentent : trouver de nouveaux clients est une solution, améliorer nos dispositifs de facturation au coût réel de nos activités et augmenter les effectifs des élèves en sont d’autres. Enfin, l’indicateur qui me paraît incontournable est notre positionnement sur les 17 Objectifs de Développement
Durable. Il reflète l’efficience de notre fonctionnement au quotidien sur ces critères et contribue à notre rayonnement en la matière.
Selon vous quelle est l’importance du leadership du directeur sur la performance d’ensemble ?
Je me vois comme un capitaine de navire. Si j’exerce une forte influence sur la direction qu’il peut prendre, je ne ferai absolument rien sans mon équipage. Pour revenir plus précisément à la question du leadership, je peux donner un exemple : lors de la fête de l’école en juin 2022, pour fixer le cap et le montrer à tous, je n’ai pas hésité à monter sur une table. Cela a pu en surprendre, mais l’essentiel était là.
Un mot de la fin plus personnel : qu’est-ce qui vous passionne dans cette école et vous donne envie de vous lever tous les matins ?
Je suis passionné par la stratégie humaniste de l’école. Pour que cela soit efficace, il faut que l’institution le soit au jour le jour. La qualité de vie au travail est primordiale à mon sens, la culture et l’associatif le sont également. Je rencontre les responsables associatifs des élèves, doctorants et autres au fur et à mesure et je souhaite instaurer une véritable collaboration avec eux. Ce
n’est pas forcément évident : nous avons 3 campus et 5 bâtiments et il y a toute une réflexion en cours autour de l’utilisation de nos espaces : nous concevons l’accueil de nos personnels et élèves autour d’un service à l’usager et non pas d’une simple mise à disposition de mètres carrés. Je conclurais en affirmant que si plus tard, tout notre écosystème pense que “Les ingés de Mines
Sainté sont des gens bien”, alors nous aurons réussi une belle dimension de notre ambition !
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