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juillet 2016

Introduction

Le mot ingénierie a été victime de son succès. Il est aujourd’hui très largement utilisé, mais avec des sens différents selon les utilisateurs (voir à ce propos l’article «Des bureaux d’études intégrés aux sociétés d’ingénierie multisectorielles» paru dans de la Revue des Mines en 2011). Aussi pour éviter tout malentendu, il est important de noter que dans ce dossier le mot ingénierie est utilisé avec le sens originel de ce mot, et désigne une «activité spécifique de définition, de conception et d’étude de projets, d’ouvrages ou d’opérations, de construction, d’assistance et de contrôle pour la gestion et la réalisation de ceux-ci1».

Toute opération de construction, aménagement ou équipe­ment nécessite en principe, pour sa réalisation, des services d’ingénierie au sens évoqué ci-dessus. Ils peuvent être réali­sés par les donneurs d’ordre avec leurs moyens propres, ou intégrés aux prestations des constructeurs, fabricants et autres fournisseurs de matériels ou d’équipements d’un pro­jet, ou bien fournis par des sociétés qui ont fait de ces ser­vices leur métier principal. Ces dernières que l’on appelle couramment les ingénieristes, constituent le secteur de l’ingénierie dite professionnelle, pour la distinguer de l’ingénierie intégrée aux constructeurs ou aux autres parties prenantes d’un projet.

Eurostat, l’organisme européen de statistiques, traite réguliè­rement les données nationales des pays européens dits «comptes de la nation». EFCA, la fédération européenne de l’ingénierie, s’est appuyée sur le cabinet BRICAD pour extrai­re des dernières statistiques disponibles d’Eurostat quelques données mettant notamment en perspective les différents acteurs du marché de l’ingénierie en Europe, des données sur l’évolution des activités d’ingénierie au cours de la pério­de 2008-2015 ainsi que des prévisions pour 2016.

Ci-dessous avec l’aimable autorisation d’EFCA/BRICAD, quelques extraits de leur étude sur la situation de l’ingénierie en Europe2.

La demande totale de services d’ingénierie en Europe3 est estimée à partir d’un ratio appliqué aux montants de quatre types d’investissements4 appréhendés par Eurostat : les investissements en constructions, en unités et équipements industriels, en R&D, et pour compte propre. Ce ratio est calculé pour ajuster cette demande à l’offre de services d’ingénierie appréhendée par Eurostat pour trois types de fournis­seurs, les ingénieristes, les autres fournisseurs, et les fournis­seurs pour compte propre.

Les ingénieristes : un secteur professionnel très émietté, mais quelques poids lourds

Il y a dans tous les pays européens, et dans des proportions très variables, quelques grandes sociétés et beaucoup de petites sociétés d’ingénierie - voire des ingénieurs conseils - spécialisées dans un domaine très spécifique qui sont loin d’être négligeables.

Selon l’enquête de la revue ENR (Engineering News-Recors) portant sur les “Top 225 International Design Firms” ces socié­tés ont réalisé près de la moitié de leur CA total (environ 150 milliards US $) hors de leurs marchés nationaux. Selon ENR6, parmi ces sociétés les majors européens représentent 21,4% de la fourniture de services d’ingénierie fournis par ces majors dans le monde.

Ce dossier est focalisé sur ces très gros ingénieristes parmi lesquels l’Europe compte quelques ténors. Ils opèrent essen­tiellement sur le marché international dont ce dossier essaie de dégager, au travers de témoignages de dirigeants et col­laborateurs, quelques grandes tendances d’évolution. À l’opposé, les PME et TPE de l’ingénierie opèrent essentiellement sur des marchés nationaux où priment les langues, cultures, réglementations et autres spécificités nationales très hétéro­gènes, même en Europe. Malgré les efforts de la Commission Européenne pour ouvrir le marché européen, il n’y a aujourd’hui pas d’Europe de l’ingénierie, sauf pour quelques rares très grands projets qui relèvent de la logique du marché international de l’ingénierie. Ces marchés et les sociétés TPE/PME de l’ingénierie, ne sont pas abordés dans ce dossier. Il ne traite pas non plus des services de conseil en technologie fournis notamment aux industries manufacturières (aéro­nautique, automobile, etc.), par des sociétés spécialisées comme Alten, Altran, Akka Technologies ou Assystem. Certaines d’entre elles atteignent, voire dépassent, les 10 000 emplois; elles opèrent dans un environnement et selon des business modèles le plus souvent très différents de celui des ingénieristes des constructions et aménagements, objet de ce dossier.

L’évolution récente du marché de l’ingénierie en Europe : stable mais croissance faible (selon l’étude EFCA/BRICAD note 2 citée ci-dessus). Il aura fallu sept ans pour rattraper, en 2016 peut-être, le chiffre d’affaires d’avant la crise de 2008.

  • Les constructions ont porté 65% de la demande de services d’ingénierie en Europe au cours de la période 2008-2015.
  • Les 35% du reste de la demande proviennent d’investissements industriels, d’investissements en R&D (13%) et une très faible part (3,5%)d’investissements pour compte propre.
  • Le ratio des services d’ingénierie et assimilés, rapportés au montant global des investissements s’est situé entre 8,1% et 8,6% au cours de la période 2008-2015.
  • Après la forte chute de la demande en 2008-2009, la crois­sance de la demande d’ingénierie entre 2010 et 2015 s’est élevée à 1,1% par an en moyenne.
  • Les prévisions officielles d’Eurostat font état, pour 2016, d’une croissance des PNB et des investissements de 2,9% de la demande de services d’ingénierie.
  • Les quinze pays pris en compte dans les données et prévi­sions statistiques ci-dessous, à l’exception de la Norvège, devraient voir une croissance de la demande de services d’ingénierie à un taux supérieur à la croissance moyenne 2010 - 2015 pour la plupart d’entre eux.



     

 

Pour les 15 plus importantes économies de l’Union Européenne, contrairement aux investissements étatiques, les investissements du secteur privé, en constructions, équipements industriels et recherche et développement (R&D) mesurés par la Formation Brute de Capital Fixe (GFCF), à la source de la demande de ser­vices d’ingénierie, se sont effondrés en 2009-2010. Ils ne sont repartis à la hausse qu’à partir de 2013.

Source EFCA/Bricad


 

L’enquête annuelle de la revue ENR portant sur les plus importantes sociétés d’ingénierie dans le monde et en Europe apporte quelques éclairages sur ces évolutions7

Dans le classement ENR cité ci-dessus, l’Europe représente 54 des 225 plus importants ingénieristes au monde dont neuf Français.

Cette enquête montre, qu’après la crise de 2008 - 2009 qui a durement affecté les ingénieristes (cf. les courbes ci-contre), ces ingénieristes ont mis en œuvre des stratégies pour amé­liorer leurs marges - le plus souvent par croissance externe (acquisitions fusions) - pour entrer sur de nouveaux secteurs de marchés et aussi pour prendre pied dans de nouveaux pays. Ils se sont en particulier intéressés à la Chine, au Moyen-Orient, à la Russie et au Brésil ainsi qu’à d’autres pays de l’Asie. Plus près, le marché des pays de l’Est leur a offert encore certaines opportunités de développement. Ces sociétés ont aussi revu leurs relations avec leurs clients pour améliorer leur rentabilité en se concentrant sur l’amélioration de la qualité de leurs services. Pendant cette période, les ingénieristes américains ont procédé à des rachats straté­giques pour pénétrer l’Europe.

Témoignages de dirigeants de sociétés leaders de l’ingénierie des constructions ou aménagements industriels et tertiaires

Ce dossier apporte les témoignages de dirigeants de sociétés qui opèrent essentiellement sur le marché international de l’ingénierie des constructions, d’aménagements industriels ou tertiaires. Bien que leurs sociétés aient été durement affectées par la crise de 2008 - 2009, et par la chute des investissements jusqu’en 2010, ils partagent toujours une même passion pour ce métier dont ils ne doutent pas des perspec­tives de développement malgré les nombreux défis qui les attendent.

En tête de ce dossier, Flemming Pedersen actuel président d’EFCA la fédération européenne de l’ingénierie et ancien PDG de Ramboll8, présente des extraits de l’étude EFCA sur les défis de l’ingénierie recensés en 2011 par des ingénieristes de différents pays européens. Cette étude donne une bonne vision globale du monde de l’ingénierie. Elle soulève en conclusion, le problème fondamental, plus ou moins bien résolu selon les pays et les cultures, des critères de choix d’une société d’ingénierie par un donneur d’ordre.

 

Il est suivi par deux articles sur l’ingénierie des infrastructures et constructions
  • L’article de Michel Bastick (P74) DGA de la société française EGIS9, rappelle la vision française de l’ingénierie codifiée dès les années 75 par la réglementation des marchés publics, donc essentiellement pour des infrastructures «publiques». Il souligne également les quatre types de mar­chés d’ingénierie qu’il observe au niveau mondial dans ce domaine, avec des perspectives d’évolutions spécifiques.
  • L’interview de Yann Leblais, Global senior Vice-Président Infrastructure du groupe hollandais ARCADIS10, apporte en complément, son témoignage personnel et sa vision au tra­vers notamment de son expérience11, des logiques de la course à la croissance qui se développe sur le marché international des constructions et aménagements.

Les deux articles sur l’ingénierie des grands projets indus­triels donnent ensuite un aperçu sur un monde de l’ingénierie très différent, celui du monde pétrolier,

  • expliqué par un collectif de collaborateurs de Technip12, qui rappellent d’une manière trés pédagogique ses fondamen­taux, très imprégnés de culture et du jargon anglo-saxons ;
  • vécu par Denis Marchand (N68) qui retrace son parcours au travers de l’histoire des techniques de l’offshore dans le temps... et dans l’espace. Il ouvre en conclusion une pers­pective d’avenir à l’offshore, non limitée aux hydrocarbures.

Enfin l’article de François Xavier Huard (P77) propose une marche dans le temps rappelant les différentes facettes de l’ingénieur dans l’ingénierie, expert puis maître d’œuvre et manager de projet, enfin consultant multiservices, AMO et assistant au maître d’ouvrage (AMO) métiers qu’exerce par exemple le groupe ARTELIA13 auquel il collabore.

 

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En résumé, ce dossier vous propose des témoignages sur les défis auxquels sont confrontés au niveau mondial certains ingénieristes leaders dans leurs domaines. Ils sont mis en perspective par quelques données macroéconomiques et des extraits d’une enquête présentés en introduction. Ce dossier ne prétend pas couvrir le champ très vaste de l’ingénierie, notamment celui des TPE et PME de l’ingénierie, ni celui de l’ingénierie conseil en technologie, entre autres. ■

 

1Arrêté du 12 janvier 1973 relatif à l’enrichissement du vocabulaire.

2 «PRELIMINARY NOTE - DRAFT FIDIC-EFCA Consulting Engineering Industry Survey, 2016 Update».

3 Les données présentées dans le tableau ci-dessous ne concernent que les 15 plus importants pays européens au sens géographique dont les données étaient disponibles début 2016. 

4 La formation brute de capital fixe dans la terminologie des Comptes de la Nation.

5 Formation Brute de Capital Fixe, terminologie des comptes de la Nation.

6 http://www.mairetecnimont.com/it/media/rassegna-stampa/repository-it/27-07-2015-engineering-news-record-the-top-225-international-desi-gn-firms

7 The impact of the uncertainty in the world market can be seen in the results of ENR’s Top 225 International Design Firms survey. The Top 225 firms generated $70.85 billion in design revenue in 2014 from projects outside their home countries, down 1.1%, from $71.63 billion, in 2013. They also had $73.48 billion in revenue from domestic projects in 2014, up 1.6%, from $72.32 billion, in 2014. The total 2014 design revenue for the group was $144.34 billion, up 0.3%, from $143.95 billion, in 2013/

8 Ramboll est un groupe danois d’ingénierie employant près de 13 000 col­laborateurs, positionnée en 21e position dans le classement ENR des “design firms” dans le monde : http://www.enr.com/toplists/2015_Top_225_International_Design_Firms

9 Egis est un groupe français filiale à 75% de la Caisse des Dépôts et à 25% d’Iosis Partenaires (actionnariat des cadres partenaires et des salariés) qui emploie 8 300 collaborateurs dans l’ingénierie. Il est classé pour son acti­vité ingénierie, en 34e position dans le classement ENR précité.

10Arcadis est un groupe hollandais d’ingénierie employant prés de 28 000 collaborateurs, positionnée en 3e position dans le classement ENR précité.

11Il est aussi ancien PDG du groupe français d’ingénierie EEG Simecsol, incorporé au groupe Arcadis.

12Technip est un groupe français, leader dans le domaine pétrolier, classé pour son activité ingénierie en 34e position dans le classement ENR préci­té.

13Artelia est un groupe français employant 3 500 collaborateurs.

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