Être Mineur au Moyen-Orient
Parfois décrié, souvent méconnu, le Moyen-Orient a cependant beaucoup à offrir et regorge d’opportunités : par sa consommation locale dynamique ; par ses ressources naturelles, humaines ou financières ; par sa situation géographique entre Asie, Europe et Afrique ; parce que la France y a aussi des liens durables et certaines places-fortes économiques, diplomatiques ou militaires. Nombre de Mineurs s’y sont établis ou en sont originaires. C’est pourquoi nous sommes ravis d’y consacrer ce dossier.
Il serait bien sûr illusoire de prétendre dépeindre le Moyen-Orient en un simple dossier de la Revue… Ce n’est pas ce que nous souhaitons faire ici. En revanche, nous voulons profiter de la présence de certains de nos camarades dans la région pour partager leurs points de vue, leurs retours d’expériences, regarder ces pays à travers leurs yeux. Nous souhaitons vous emmener plus loin que les articles de presse, plus loin que nos idées parfois faussées par l’actualité nationale ou internationale.
Repères géographiques et historiques
La région est communément définie par l’ensemble des nations de l’Asie du Sud-Ouest, de l’Iran à l’Égypte. Elle comprend le Croissant Fertile (Iran, Irak, Syrie, Liban, Jordanie, Israël, Palestine, voire Turquie), la Péninsule Arabe (Arabie Saoudite, Yémen, Oman, Émirats Arabes Unis, Qatar, Bahreïn, Koweït) et la vallée du Nil (Égypte). Certaines de ces nations sont ancestrales quoiqu’aux frontières remodelées, d’autres pays sont très récents, nés suite à la Première Guerre Mondiale et la dislocation de l’Empire Ottoman, ou au retrait des Britanniques de leurs anciens protectorats sur la route des Indes.
On compte plus de 400 millions de Moyen-Orientaux, sur 7 millions de km2 .
Cet espace abrite plusieurs groupes culturels et ethniques, incluant les cultures arabe, perse, kurde, turque et juive. C’est le foyer de grandes civilisations, de la Mésopotamie à l’Égypte des Pharaons, de Babylone à la Perse, des Arabes aux Ottomans. C’est le lieu de naissance et le centre spirituel des grandes religions monothéistes : Judaïsme, Christianisme, Islam. C’est un carrefour au croisement de l’Occident, de l’Inde, de l’Extrême-Orient et du Maghreb, de l’Afrique de l’Est, des Routes de la Soie au Canal de Suez (15% du trafic maritime mondial) : de Nabuchodonosor à Napoléon, d’Alexandre aux Croisés, des conquérants arabes à Ibn Battuta.
Au début du XXe siècle, la découverte de quantités considérables de pétrole (plus de la moitié des réserves mondiales) a placé le Moyen-Orient au cœur de la géopolitique mondiale des ressources, en en faisant le premier fournisseur mondial.
Le Moyen-Orient est encore aujourd’hui un espace de tensions, notamment du fait de la question Israélo-Palestinienne, exacerbées par les différences confessionnelles au sein de l’Islam (chiisme, sunnisme, wahabisme, ibadisme, etc). L’accord de Vienne sur le nucléaire iranien (pour la cessation de son programme nucléaire, la levée des sanctions économiques contre l’Iran, et le renforcement des contrôles internationaux), pourtant si difficilement obtenu en 2015, est déjà remis en question, suite au retrait des États-Unis. Certains des pays de la région sont actuellement en conflit indirect au Yémen, en Syrie, voire en Irak. Et même au sein du Conseil de Coopération du Golfe (entité supra-étatique datant de 1981), une crise diplomatique a éclaté en juin 2017 entre le Qatar et une coalition notamment menée par l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, Bahreïn, et soutenue par l’Égypte.
Quelques perspectives macro-économiques
Nous pourrions segmenter ces pays en trois groupes distincts :
• Les petits Émirats très riches du Golfe Arabo-Persique, aux économies tirées par les hydrocarbures et aux forts soldes migratoires (1).
• Les quelques grands pays très peuplés, dont le PIB dépasse souvent 1 000 milliards de dollars (2).
• Des pays en difficulté, souvent en raison de conflits (3).
Les cas du Liban ou d’Israël sont singuliers, le graphique les montrant entre deux, mais ne prenant pas en compte la puissance de leur diaspora (quelques 15 et 9 millions de personnes respectivement) dans le monde.
Historiquement, ces deux premières catégories de pays connaissent une forte croissance économique. Certaines des grandes villes de la région ont été transfigurées en 30-40 ans (qui connaissait Dubaï, Doha, Abu Dhabi, Koweït City il y a 30 ans à peine ?), pour devenir de petites mégalopoles ultra modernes, avec des infrastructures bien développées, un bon niveau d’éducation, où l’environnement est propice aux affaires et la fiscalité attractive.
Cependant, le rythme de croissance s’est récemment ralenti, avec la baisse des cours du pétrole depuis trois ans (quoique provoquée par l’Arabie Saoudite elle-même et depuis stabilisée avec les derniers accords de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole, l’OPEP). Ceci a entraîné de nouvelles difficultés. La part des hydrocarbures dans les recettes budgétaires est en effet majoritaire pour nombre de ces pays. Par exemple, l’Arabie Saoudite tire de ses gisements pétroliers 45% de ses recettes publiques, 55% de son PIB et 90% de ses exportations.
Pire… Pour certains de ces États, les cours actuels et prévisionnels restent éloignés du prix du pétrole permettant d’équilibrer les soldes budgétaires. Le Golfe, par exemple, est passé d’un excédent budgétaire de 10% du PIB en 2013 à un déficit équivalent en 2016. La dette publique de ces pays a doublé entre 2014 et 2017 (22% du PIB en 2017), près de 50 milliards de dollars d’obligations souveraines ont été émises et souscrites, les notations souveraines de Bahreïn et du Sultanat d’Oman ont dévissé.
C’est un grand changement pour ces pays, pour lesquels le terme hydrocarbure signifie richesse bien sûr, mais aussi travail, investissements de l’étranger, force géopolitique et gage de puissance sur la scène internationale.
Afin de faire face à la diminution de la manne pétrolière, les pays du Golfe, entre autres, dynamisent leur activité économique par des politiques de diversification hors hydrocarbures, et se voient contraints de mettre en place une TVA.
Oil & Gas… & what else ?
Déjà, d’autres sources de richesses ont permis le développement de certains pays de la région, sans jamais engendrer de dépendance vis-à-vis de l’or noir. Israël, le Liban, l’Égypte (voire la Turquie ou Chypre) ont ainsi appuyé leur développement sur des activités telles que le commerce de matières premières, de produits manufacturés ou de pièces détachées (grâce au canal de Suez en Égypte, à la mer de Marmara en Turquie, aux zones franches d’import-export à Dubaï, etc.), l’agriculture, la finance ou le tourisme. Au contraire, donc, des pays du Golfe… Outre les grands fonds souverains chargés d’investir leurs revenus pétroliers dans d’autres économies (sectorielles et/ou géographiques), les pétro-monarchies se sont lancés dans des programmes d’investissement non-hydrocarbures à 15-20 ans :
• «Vision 2030» en Arabie Saoudite : nous entendons beaucoup parler de la nouvelle possibilité de conduire pour les femmes ou de l’autorisation des cinémas, entre autres ouvertures sociales et libération des mœurs. Le plan «Vision 2030» est néanmoins centré sur l’industrie de la défense, l’industrie minière, le tourisme autour de la Mer Rouge (un pont entre l’Égypte et l’Arabie Saoudite est à venir, une zone touristique grande comme la Belgique doit être développée avec l’aide de la France). Même si la nationalisation des emplois est forte, une «green card» sera mise en place pour les expatriés. Et ceci sera financé par la réserve de changes du royaume et par l’introduction en bourse de 5% de Saudi Aramco, la plus grande entreprise pétrolière au monde.
• «Abu Dhabi 2030» aux Émirats : high-tech (aéronautique biotech, énergies renouvelables), industrie lourde (sidérurgie, armement), services (tourisme haut-de-gamme, culture, éducation, santé).
• «National Diversification Program» en Oman : manufacturier (pétrochimie, métal et non-métal, alimentaire, énergie), tourisme haut-de-gamme, logistique (aéroport cargo à Mascate, port commercial ouvert sur l’Océan Indien au Sud).
• «Qatar National Vision 2030» au Qatar : avec pour objectifs une meilleure gestion des ressources naturelles, le développement de l’économie du savoir, et une plus grande participation des Qataris au marché du travail.
• «Bahrain Economic Vision 2030», notamment centré sur ses infrastructures : nouvel aéroport, hydrocarbures (extension de raffineries, pipeline reliant l’Arabie Saoudite, terminal gazier flottant), industrie de l’aluminium, etc.
• «Vision 2035» au Koweït : en particulier pour ses infrastructures (zone franche du Nord Koweït, port, nouvel aéroport, autoroute régionale, réseau ferroviaire, pont traversant la grande baie de Kuwait City, etc) et dans l’industrie (raffineries, centrale électrique et de désalinisation). Le Koweït est le pays le plus dépendant aux hydrocarbures dans la région, mais aussi celui qui connaît la plus forte croissance.
Jamais avares d’effets d’annonce et de visibilité internationale, ces pays mettent en avant quelques grands projets :
• L’Exposition Universelle de Dubaï en 2020 : celle-ci transforme déjà le Sud de Dubaï, avec la volonté d’une pérennisation des installations et infrastructures. Près de 300 000 nouveaux emplois, plus de 20 milliards de dollars de revenus, 25 millions de visiteurs sont espérés.
• Le nouvel aéroport de Dubaï, au nom évocateur «Dubai World Central» : Dubaï est déjà l’un des premiers aéroports passagers au monde (84 millions, en croissance annuelle de 10-15%), mais atteint son niveau de saturation. Le nouvel aéroport (proche du site de l’Exposition Universelle) est dimensionné pour 160 millions de passagers (plus du double du trafic de l’aéroport Paris-CDG) et 12 millions de tonnes de cargo (cinq fois l’aéroport CDG) à l’année.
• La Coupe du Monde de Football en 2022 au Qatar : près de 10 milliards de dollars de projets d’infrastructures sont lancés (stades, hôtels, etc.), avec d’importants besoins en main d’œuvre et, ne l’oublions pas, des conditions souvent très difficiles pour la main d’œuvre peu qualifiée sur ces chantiers.
• Quelques villes nouvelles, mettant en valeur le recours aux énergies renouvelables (solaire, éolien, véhicules électriques, recyclage, etc) et prônant l’utilisation high-tech de drones automobiles, de robotique, d’intelligence artificielle, de réalité augmentée, de Smart City, de l’Internet des Objets, de Blockchain, etc. Citons par exemple Masdar à Abu Dhabi, Neom en Arabie Saoudite, Lusail au Qatar.
Des chiffres à faire tourner la tête, et dans lesquels les entreprises françaises et/ou les Mineurs pourraient trouver mille et une opportunités de taille.
Et quid des Mineurs là-bas ?
Nous sommes actuellement quelque 200 Anciennes et Anciens basés au Moyen-Orient, une population globalement plus jeune que la pyramide globale des âges des Anciens. Nos principaux contingents de Mineurs se trouvent aux Émirats Arabes Unis et au Liban, puis en Arabie Saoudite, au Qatar, et au Koweït.
Les problématiques culturelles et économiques que nous rencontrons dans la région sont souvent communes.
Les domaines professionnels des uns et des autres sont variés, reflétant l’économie de la région et son dynamisme évoqués plus haut. Bien sûr, le secteur énergétique (pétrole et gaz, mais aussi eau et énergies renouvelables) est prédominant aux Émirats côté Abu Dhabi, en Arabie Saoudite, au Qatar ou au Koweït. Mais aux Émirats côté Dubai, au Liban ou en Oman par exemple, nos Anciens sont dans bien d’autres secteurs : infrastructures, conseil, santé, banque et finance, aéronautique, éducation et recherche, etc.
Le groupe Intermines Middle East, initié mi-2016, se donne trois objectifs principaux :
• Fédérer voire soutenir les Anciens vivant et travaillant dans la région, ou intéressés par celle-ci, dans des pays et des systèmes que nous ne maîtrisons jamais complètement.
• Développer la visibilité des Écoles des Mines au Moyen-Orient & contribuer ensemble à nos communautés régionales.
• Permettre une porte d’entrée régionale aux entités des trois Écoles.
Quelques exemples récents, outre des réunions locales et des contacts réguliers entre Anciens… Nous avons participé à la semaine d’étude aux Émirats Arabes Unis de la Promotion du Master «Maîtrise des Risques Industriels», et c’est un plaisir de réunir localement Élèves, Direction et Anciens de nos trois Écoles. Nous rencontrons régulièrement les Ambassades et Chambres de commerce françaises, et les associations locales d’autres Grandes Écoles françaises (Ingénieurs, Commerce ou Administration). N’oublions pas que La Sorbonne ou l’INSEAD ont des campus à Abu Dhabi, HEC au Qatar, etc.
Dans les pages qui suivent, nous vous proposons un petit échantillon représentatif de la richesse des expériences de nos camarades Mineurs dans la région. Par-delà les rappels géographiques ou historiques, les analyses des cours du baril ou les données macro-économiques, nous avons réuni une série de témoignages personnels, parfois subjectifs. Ils offrent tous un point de vue qui, nous l’espérons, vous donnera envie d’aller plus loin dans votre (re-)découverte de la région. Au-delà des lieux communs parfois véhiculés dans les médias, occidentaux comme régionaux, confirmant ou infirmant nos idées reçues :
• Nicolas (P03) se consacre particulièrement aux enjeux locaux des énergies renouvelables et à la création de l’IRENA à Abu Dhabi.
• Arnaud (E11) partage son expérience des profonds changements que l’Arabie Saoudite vit sous l’impulsion du renouvellement de génération à la tête du pays et dans la perspective d’une diversification de son économie.
• Carla (P11) célèbre la démocratie libanaise, à l’occasion des récentes élections législatives.
• Christian (P05) s’intéresse à la gestion des risques dans la région, au travers de plusieurs cas d’entreprises françaises comme locales, notamment suite à la récente visite du Master MRI.
• Nous revenons sur l’embargo régional que vit le Qatar depuis l’été dernier et l’(in)efficacité des sanctions imposées.
• Alice (P05) fait le point sur l’«Expo 2020» de Dubai et nous donne quelques exemples de projets d’infrastructures en cours.
• Avec Bassel (E87), nous présentons l’évolution du monde de l’entrepreneuriat et de l’investissement privé au Moyen-Orient, et tout son potentiel à venir.
• Enfin, Frank (N94) revient sur l’ouverture du sublime musée du Louvre Abu Dhabi, qui, quoique nouvelle preuve du «Soft Power» français, nous invite à «voir l’histoire de l’humanité sous un nouveau jour». Et pourquoi pas notre regard sur la région également ?
Nous les remercions vivement pour leur contribution à ce dossier et leur expertise de la région. Bonne lecture à vous tous ! Et peut-être au plaisir, Anciens ou Directions des Écoles et Fondations, de prolonger ces échanges de vive voix ou de vous recevoir ici. ■
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