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mai 2011

Des bureaux d’études intégrés aux sociétés d’ingénierie multisectorielles

Les bureaux d’études intégrés aux donneurs d’ordre ou aux entreprises et les ingénieurs conseils indépendants ont accompagné dès avant-guerre, dans leurs domaines de spécialités, le développement de la France et ont contribué à son rayonnement technologique comme l’illustre une courte vidéo d’animation accessible sur le site de Syntec-Ingénierie. C’est essentiellement après-guerre que cette activité se structure en France.

Les bureaux d’études et les ingénieries excroissances de groupes industriels, de l’après-guerre

Après la seconde guerre mondiale, certains ingé­nieurs conseils se regroupent au sein de bureaux d’études techniques. Ils couvrent toutes les disci­plines nécessaires à un même projet de construc­tion : structure, thermique, fluides, électricité. Ils sont mobilisés par les pouvoirs publics pour inventer des solutions constructives permettant la reconstruction rapide de la France, à commencer par son parc de logements puis, en appui des services de l’État, pour son réseau d’infrastructures. Les besoins d’énergie sont à l’époque particulièrement cruciaux et certains bureaux d’études sont créés pour concevoir et mettre en œuvre des solutions technologiques permettant d’accroître rapidement les rendements et la production des centrales thermiques à charbon pour les besoins de production d’électricité d’EDF par exemple, ou plus généralement pour les besoins des indus­tries lourdes en cours de redémarrage.

Dès cette époque, le pétrole est considéré comme un enjeu national majeur et les pouvoirs publics, pour éviter la mainmise des pétroliers améri­cains, favorisent l’émergence au travers de l’Institut Français du Pétrole, de Technip, une société publique créée pour répondre aux besoins d’ingénierie pour les équipements pétroliers en France.


 

De sa naissance à nos jours, l’histoire de l’ingénierie, une activité devenue une profession en plein développement : étudier, concevoir et faire réaliser toutes sortes de projet d’aménagement, construc­tion, équipement ou fabrication.


 

Dès les années 70, émergence de l’ingénierie généraliste et du management de projets industriels

Les bureaux d’études donnent naissance, dans les domaines de l’industrie aussi bien que de la construction, à une ingé­nierie publique ou privée, indépendante ou rattachée à des groupes comme par exemple SERI Renault, Sofresid, Heurtey, Inter G, Krebs ou Speichim.

Cette ingénierie répond au double besoin d’un savoir inté­grant toutes les disciplines pour imaginer des solutions nouvelles, et d’une capacité de support aux acteurs existants.

Le mot «ingénierie» commence à se répandre. Il est formel­lement adopté dans la construction, au travers des décrets de 1973 sur les missions d’ingénierie et d’architecture des marchés publics qui codifient pour la première fois cette démarche. Les pouvoirs publics adoptent à la même époque l’arrêté du 12 janvier 1973 relatif à l’enrichissement du vocabulaire pour l’utilisation du mot ingénierie au lieu du mot engineering.

Quelques sociétés d’ingénierie portent encore le nom de leurs fondateurs, des ingénieurs qui ont marqué l’histoire des sciences et techniques comme Paul Heurtey dans l’industrie, André Coyne dans les barrages, Jean Bertin, père de l’aérotrain, Pierre Sechaud, Eugene Freyssinet, etc. Ils sont à l’origine de progrès remarquables dans la construction ou l’industrie. En réponse aux nouvelles exigences de qualité, de performances, de coûts, des années suivantes, les sociétés d’ingénierie apportent la maîtrise d’une science nouvelle en plein développement, le management de projet. Elles en font leur cœur de métier.

Au cours du dernier quart de siècle

Le recours à des sociétés, distinctes des entreprises de tra­vaux, pour concevoir les projets de construction et supervi­ser ensuite leur réalisation deviendra progressivement la règle pour les constructions ; ce sont les sociétés d’ingénierie. Elles emploient en 1975 près de 50 000 collaborateurs, essentiellement ingénieurs et techniciens.

Au sein de la maîtrise d’œuvre de bâtiment

Le clivage entre entreprises de travaux, ingénieries et archi­tectes va s’élargir. Aux décrets de 1973 sur l’ingénierie, suc­cède la loi sur l’architecture de 1977. Elle établit le monopo­le des architectes «indépendants» pour le dépôt des demandes de permis de construire. La loi du 12 juillet 1985 sur la maîtrise d’ouvrage et ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée (loi MOP) jette les bases d’une potentielle col­laboration entre les acteurs de la maîtrise d’œuvre ; elle ne définit la maîtrise d’œuvre que par les fonctions qu’elle lui attribue (art 7-1 o alinéa : «... une réponse architecturale, technique et économique...»), et non par la qualification du prestataire. La loi MOP aura jusqu’à la fin du siècle une influence majeure sur le développement d’un secteur de l’ingénierie de la construction, indépendant des entreprises de travaux qui se dégagent progressivement de cette activité, en particulier, pour ne pas se trouver en situation de conflit d’intérêts lors de l’attribution des marchés publics de travaux.

La maîtrise d’œuvre des infrastructures et ouvrages d’art

Elle a été très longtemps largement assurée par l’ingénierie intégrée des entités semi-publiques ou publiques, qui peu­vent à juste titre s’enorgueillir de la reconstruction et du déploiement d’un réseau d’infrastructures en France après-guerre. Les sociétés d’ingénierie «privées», qui intervien­nent plus généralement sur des missions spécialisées ou par­tielles en France, assument cependant à l’étranger des mis­sions complètes de maîtrise d’œuvre dans tous les domaines. Elles se trouvent parfois en concurrence - qu’elles jugent inégale - avec les SOFRE, ingénieries créées par les entités publiques à l’époque pour exporter leur savoir. Au cours des deux dernières décennies du XXème siècle, la situation com­mence à changer, à l’initiative de certains maîtres d’ouvrages publics, comme RFF, désireux d’ouvrir la concurren­ce aux ingénieries privées, et sous l’effet conjugué de dispo­sitions légales comme la loi Sapin, obligeant la mise en concurrence des ingénieries publiques, et de jurisprudences définissant les conditions de concurrence loyale ente ingénieries publiques et privées. Les ingénieries d’infrastructure se voient alors confier plus fréquemment des missions com­plètes de maîtrise d’œuvre en France.

L’ingénierie des ouvrages et installations industrielles

Elle, qui avait largement accompagné la reprise et l’essor industriel en France, tant pour l’industrie lourde que pour les industries de transformation, subit sur ce marché la même évolution que ce secteur, qui se réduit considérable­ment au cours du dernier quart de siècle. Cependant, elle se développe sur le marché international.

Les méthodes de conception informatique et l’émergence des sociétés d’ingénierie conseils en technologie (SICT)

Les méthodes de conception connaissent dans tous les domaines, mais d’abord dans l’industrie, une véritable révo­lution technologique. Les plans devenus numériques ser­vent de support à de nouvelles prestations et aux échanges entre les partenaires d’un projet : prise en compte dans la conception du cycle de vie, de l’exploitation et de la main­tenance. Ces évolutions, la CAO notamment, qui se répan­dent dans tous les secteurs de l’ingénierie de la construc­tion, ont un effet particulier dans les industries manufactu­rières. Elles contribuent à faire de la conception de produits un métier spécifique auquel les industriels ont recours pour des développements technologiques. Ceux de l’automobile et de l’aviation, en particulier, confient un nombre croissant de tâches de conception à des professionnels extérieurs à leurs entreprises. Ils donnent ainsi une forte impulsion à un nouveau secteur de l’ingénierie, celui des sociétés d’ingénierie et de conseil en technologies basées sur un nouveau busi­ness model, l’assistance technique. Quasi inexistantes en 1980, ces sociétés vont connaître un développement fulgu­rant jusqu’au début des années 2000, stimulé entre autres par la demande pressante de donneurs d’ordre industriels soucieux de trouver de la flexibilité pour satisfaire leurs besoins.

Au cours des années 80 et 90, les missions clés en main versus maîtrise d’œuvre

Le secteur de l’ingénierie s’affirme et se concentre. Il connaît une croissance annuelle moyenne très supérieure à celle du produit national - passant de 67 000 emplois en 1985 à plus de 160 000 emplois en 2000. Cette croissance est émaillée de périodes de crises, surmontées non sans dif­ficulté et au prix de quelques drames. Certains groupes (BEFS, Decobecq, etc.) à la croissance fulgurante, souvent issus du rachat forcené de bureaux d’études, éclatent. D’autres, publics et privés, tentés notamment par l’aventure des clés en main, sans en mesurer tous les risques, ne sont sauvés, in extremis, que par des soutiens massifs de capitaux par leur maison mère ou par l’État et un changement d’actionnaire. Le secteur de l’ingénierie se consolide. Les action­naires qui avaient accompagné la naissance de l’ingénierie, des banques comme Paribas, des industriels comme Thomson, Alsthom, des entreprises de travaux se retirent progressivement des sociétés d’ingénierie. Ce mouvement s’amplifie à partir de la fin des années 1990, très souvent au profit du management (Iosis, Sogreah, Ingerop, Coteba, etc.).


 La place de l’ingénierie dans l’économie française

Les chiffres clés actualisés pour 2010

Les chiffres clés 2010 de l’ingénierie en France1 :

  • Chiffre d’affaires : 36 milliards d’euros.
  • Emplois : 215 000 salariés
  • Exportations : 10,5 milliards d’euros (services et constructions / équipements clés en main).

1D’après l’observatoire Syntec-Ingénierie et dernières données Insee disponibles (2008)

Impact de l’ingénierie sur l’économie nationale estimation 20101

1D’après l’observatoire Syntec-Ingénierie et dernières données Insee disponibles (2008)

  • 12 milliards d’euros de services d’ingénierie / maîtrise d’œuvre pour la réalisation de ⇒ 250 milliards d’euros de bâtiments, infrastruc­tures et installations industrielles en France.
  • 7 milliards d’euros de services d’ingénierie spécialisée pour ⇒ 150 milliards d’euros de constructions et équipe­ment dans les domaines : nucléaire, armement, sciences de la terre, prospection, etc.
  • 6,5 milliards d’euros de services d’ingénierie produits / process intégrés aux ⇒ Programmes R&D des industriels, dont ces services représentent plus de 15 %.
  • 10,5 milliards d’euros de prestations d’ingénierie exportées (services et constructions clés en main), soit une ⇒ Contribution directe et indirecte à la balance des paiements de 40 à 50 milliards d’euros.

 

Au début des années 2000

Le panorama de l’ingénierie de la construction et de l’industrie en France est complètement modifié par rapport à ce qu’il était 30 ans plus tôt.

Le marché de l’ingénierie pour l’industrie lourde

Il s’est considérablement réduit en France, mais on observe d’importants développements sur le marché international, particulièrement liés à l’énergie. Il en résulte une forte concentration des ingénieries qui se développent selon deux modèles assez fortement différenciés :

  • d’un côté, les ingénieries qui font des interventions clés en main la base de leur activité et se dotent éventuellement de moyens de réalisation des chantiers susceptibles de leur apporter un avantage compétitif (par exemple, capacité de levage en mer),
  • de l’autre, les ingénieries qui conservent une primauté à la prestation indépendante des moyens des réalisations.



Mais toutes ces sociétés ont en commun d’avoir une valeur ajoutée économique - le moteur de leur développement - constituée majoritairement d’études, ce qui les différencie fondamentalement d’autres acteurs dont l’ingénierie inté­grée ne représente qu’une part minoritaire de leur valeur ajoutée au sens comptable.

Le domaine des infrastructures

Il s’ouvre désormais très largement aux sociétés d’ingénie-ries en raison de la réduction progressive de l’ingénierie des services de l’État, accentuée par le retrait délibéré des mar­chés de maîtrise d’œuvre, initié par les pouvoirs publics en 2008. Malgré le redéploiement par les collectivités territo­riales de services propres d’ingénierie, contrepartie de ce retrait, le champ reste très largement ouvert au développe­ment des sociétés d’ingénierie.

Le cadre légal des marchés publics de construction des bâtiments

Avec trois acteurs types (une maîtrise d’ouvrage, une maî­trise d’œuvre, des entreprises de travaux) et une mission indissociable, ce cadre légal fixé par la loi MOP depuis 1985, subit régulièrement depuis son application effective en 1992 des coups de boutoir par des textes qui étendent le champ des exceptions à son application. Des exceptions en faveur de la conception réalisation ou pour les ouvrages du domaine de la santé, les prisons, les commissariats, l’enseignement, etc. Enfin une exception majeure par l’ordonnance sur les contrats de partenariat du 17 juin 2004 qui insti­tutionnalise en les généralisant - sous certaines conditions imposées par le Conseil Constitutionnel - ces nouvelles formes contractuelles. Elles font des ingénieries tradition­nelles des sous-traitants des entreprises plutôt que des maîtres d’œuvre, mais leur ouvrent d’autres voies de déve­loppement telles que l’assistance à maîtrise d’ouvrage, voire la possibilité de fédérer des groupements. Cette hypothèse est cependant purement théorique aujourd’hui, compte tenu du comportement des majors de la construction et de maîtres d’ouvrages publics. L’usage des contrats de partena­riat (PPP) reste cependant assez limité, aussi, pour vaincre les réticences à leur utilisation, le gouvernement fait adop­ter la loi du 15 juillet 2008 relative aux contrats de parte­nariat qui atténue fortement les restrictions à leur utilisa­tion.

Les sociétés d’ingénierie conseil en technologies

Elles sont désormais fortement incitées par les donneurs d’ordre industriels à les accompagner dans leurs délocalisations d’une part et à développer d’autre part leur capacité de missions aux forfaits avec engagements sur résultats. Ces mêmes donneurs d’ordre restreignent leur panel de sociétés à consulter, ce qui provoque une forte concentration dans ce secteur où dominent aujourd’hui quelques sociétés major au plan français et même européen. Leur champ d’intervention s’est étendu bien au-delà des donneurs d’ordre industriels et elles interviennent aujourd’hui également dans le BTP. Trois des quatre Français parmi les 20 plus importants groupes d’ingénierie en Europe, du classement 2008 de référence établi par la fédération suédoise de l’ingénierie, relèvent de ce domaine particulier : les groupes Altran tech­nologies, Alten, Assystem et Segula technologies, alors que le premier groupe français de l’ingénierie de la construction le groupe Egis n’est qu’en vingtième position.

Aujourd’hui, face aux nouveaux challenges, dévelop­pement durable, énergie, garanties de performance...

Quels business models ?

Les 215 000 professionnels des sociétés d’ingénierie en France conçoivent l’essentiel des constructions, des aména­gements et de très nombreux développements technolo­giques pour des industriels, donneurs d’ordre ou maîtres d’ouvrages qui ont externalisé leurs services d’ingénierie.

L’observatoire économique de Syntec-Ingénierie montre que :

  • Près des deux tiers des études de conception, nécessaires aux constructions, aménagements et équipements liés, réalisés en France en 2007, ont été effectuées par des socié­tés d’ingénierie.
  • L’on peut évaluer à plus de 15% la part de l’ingénierie externalisée dans les programmes R&D des donneurs d’ordre industriels.

La professionnalisation de la fonction ingénierie par des méthodes, outils (CAO, simulations, etc.), res­sources (procédés, humaines, etc.), spécifiques aux sociétés d’ingénierie est le plus sûr garant de leur déve­loppement. Leur intégration à des réseaux internationaux de professionnels de l’ingénierie - déjà engagée pour plusieurs d’entre-elles en France - leur donne une capacité de réponse aux besoins désormais «globaux» qui deviendra rapidement une condition de ces développements.

La capacité des sociétés d’ingénierie à se positionner favorablement sur les nouveaux modes de contractua­lisation tels que les PPP et face aux exigences crois­santes de garanties de performance (sous-traitants ou partenaires attitrés de donneurs d’ordre, autonomes, etc.) constitue également un enjeu majeur pour leur développe­ment.

Enfin, le contexte national, conditionne leur dévelop­pement comme le montre clairement la place relative, très importante toutes proportions gardées, qu’elles occupent dans des pays tels que l’Angleterre, dans de petits pays nor­diques tels que la Hollande ou le Danemark et plus généra­lement aux États-Unis, sièges des sociétés d’ingénierie lea­ders mondiaux dans ce secteur.

Les actions engagées depuis les États généraux de l’industrie de 2010 notamment les politiques de filières intégrant l’ingénierie professionnelle, dans le prolongement de ces réflexions, devraient ouvrir de nouvelles perspectives de développement. Elles concernent certes, les sociétés d’ingénierie industrielle mais des évolutions similaires sont prévi­sibles pour les sociétés d’ingénierie de tous domaines qui parviendront, avec l’appui indispensable des pouvoirs publics, à sortir des cloisonnements traditionnels issus des règlements et jeu d’acteurs franco-français, à tirer profit de leur capital de matière grise pour relever les défis qui s’accumulent, et à être reconnues.

 

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