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janvier 2015

À quand la pile nucléaire de 50 MW de puissance électrique ?

Les «piles nucléaires» historiques étaient en fait de petits réacteurs expérimentaux

Ils étaient exclusivement destinés à l’irradiation et à la valida­tion des calculs de neutronique, et non pas des réacteurs dits «de puissance» destinés à produire de l’électricité.

On peut nommer pour la France la pile Zoé (150kW de puis­sance thermique), qui divergea le 15 décembre 1948 au fort de Châtillon à 5 km au sud de Paris, et qui fut la première d’un certain nombre de réacteurs expérimentaux aux fonctions variées, la plupart conçus et exploités par le CEA.

On n’oublie pas non plus le réacteur Osiris du CEA de Saclay (70 MW de puissance thermique), qui est entré dans sa der­nière année d’exploitation suite à une décision de fermeture prise par l’ASN. Il a «divergé» (c’est-à-dire que la réaction en chaîne a eu lieu pour la première fois) le 8 décembre 1966 et a été utilisé entre autres pour produire des isotopes radioac­tifs pour la médecine.

Mais les ingénieurs du nucléaire ont toujours cherché à pro­duire en grande série des installations compactes, basées sur une réaction de fission en chaîne, et d’une puissance ther­mique d’1 à 300 MW suivant les concepts. Multipliez par un rendement variable en fonction des technologies (disons entre 30 et 45% pour fixer les idées) et vous obtenez une puissance électrique.

Avant de rentrer dans le détail de mon propos, voici quelques petites notes «en vrac» qui font suite à certaines questions qui m’ont été posées :

  • Le passage de la puissance thermique dégagée par le com­bustible fissile à la puissance thermodynamique du fluide qui passe dans la turbine est effectué par un cycle de Rankine dans les centrales nucléaires françaises actuelles (36% de rendement brut affiché pour l’EPR) mais on peut imaginer d’autres cycles thermodynamiques pour effec­tuer la transformation de l’énergie dégagée.
  • Un réacteur nucléaire français génère entre 2700 MW et 4500 MW (pour l’EPR) de puissance thermique.
  • Un neutron qui émane de la réaction de fission d’un atome a une grande vitesse et donc une grande énergie cinétique. Dans les réacteurs utilisés en France par EDF, on ralentit cette vitesse en plongeant les barres contenant de l’uranium dans de l’eau appelée liquide modérateur. On dit qu’on «thermalise» les neutrons quand on rapproche leur vitesse de celle liée à l’agitation thermique du milieu ambiant : à la fin de la phase de ralentissement on obtient des neutrons dits «thermiques». D’autres réacteurs n’ont pas de liquide modérateur et les neutrons sont appelés «rapides» car ils ne sont pas ralentis par chocs successifs.

Actuellement des «petits» réacteurs nucléaires existent déjà

En France DCNS et AREVA portent ce savoir-faire utilisé pour réaliser des moteurs de porte-avions (comme celui du Charles de Gaulle) et de sous-marins. Avantage principal : possibilité de réaliser de longues campagnes en mer sans recharger du combustible de propulsion.

Ils sont basés exactement sur le même concept que les réac­teurs électrogènes français, américains, russes et japonais. Dans ces réacteurs, de l’oxyde d’uranium (parfois mélangé à de l’oxyde de plutonium pour le combustible MOX) est plon­gé dans un réacteur où l’eau est à la fois un liquide de refroidissement et un ralentisseur des neutrons qui peuvent ainsi entretenir la réaction en chaîne correctement.

Mentionnons au passage une technologie navale russe équi­valente dans laquelle l’eau était - plus ou moins avantageu­sement - remplacée par du plomb fondu en circulation. À cet égard l’ingénieur en Russie avait probablement plus qu’ailleurs la possibilité de laisser libre cours à son imagina­tion...

Les réacteurs de propulsion navale ont d’ailleurs été les ancêtres des réacteurs électrogènes dont nous disposons à l’heure actuelle puisque la technologie militaire américaine a été récupérée par Westinghouse pour être ensuite diffusée un peu partout dans le monde, et notamment en France.

Au grand dam du CEA, d’ailleurs, qui aurait voulu céder à EDF son réacteur modéré au graphite et refroidi au CO2, désigné sous l’aimable pseudonyme d’UNGG (pour Uranium Naturel Graphite Gaz). Mais c’est une autre histoire.

 

Le stockage de l’énergie électrique pendant les périodes de pointe

L’évolution des techniques de fabrication des accumulateurs, la nécessité accrue de stocker l’énergie électrique (notamment celle des éoliennes) ont conduit les investisseurs à construire des unités de fabrication très importantes.

Alevo basé à Concord NC USA va fabriquer des batteries au lithium phosphate de fer et graphite avec électrolyte mélange de sulfures. Alevo prétend qu’en utilisant des batteries capables de restituer une puissance de 18 GW pendant un court laps de temps, les utilities du Nord des USA économiseraient 1 2 G US $ par an.

Cas particulier de l’énergie électrique des éoliennes :

Toshiba va installer en 2015 une unité de stockage avec des batteries Lithium Ion qui permettra d’absorber l’énergie éolienne et de resituer celle-ci à hauteur de 40 MW pendant 30 mn.

NGK au japon va installer à RoKKasho une unité absorbant 34 MW et utilisant ses batteries Sodium Sulfures (tous deux liquides et mainte­nus à température de 350°C).

Seul NGK développe cette technique qui a l’avantage de n’utiliser que du sodium à l’anode et du soufre à la cathode et une céramique conductrice comme électrolyte mais qui a l’inconvénient d’être diffi­cilement manipulable en toute sécurité.

Ce qui limite pour l’instant leurs applications aux batteries de stocka­ge en site fixe.

EDF en a acheté récemment quelques unes.

NGK fait partie du working group de IEE

http://standards.ieee.org/findstds/standard/1375-1998.html

voir aussi :

http://www.energystoragenews.com/NGK%20insulators%20Sodium% 20Sulfur%20Batteries%20for%20Large%20Scale%20Grid%20Energy% 20Storage.html

Philippe Thaure (N57)

 

DCNS avait remis au goût du jour l’idée d’un petit réacteur électrogène

Il s’agissait de son projet FlexBlue, lancé lors d’une grande opération de communication il y a quelques années, et qui ne fait guère plus parler de lui. L’idée Flexblue paraissait séduisante :

  • placer un réacteur de sous-marin dans une coque en métal sous l’eau au large des côtes de pays en voie de dévelop­pement,
  • tirer un câble vers la côte et, miracle,
  • une ville de taille moyenne avait l’énergie électrique pen­dant une période allant de quelques mois à plusieurs années (le temps d’un «plein» de combustible nucléaire en fait).

Les Russes ont déjà placé un petit réacteur sur une sorte de barge flottante au large d’une ville sibérienne glaciale et isolée

Vous économisez le prix d’un coûteux réseau de transport haute tension. Vous réduisez le risque de fusion du cœur car vous êtes environné par votre source froide. Vous avez un réseau plus facile à gérer car il n’est pas déstabilisé par la perte potentielle d’une source trop puissante. Vous diminuez les coûts en concevant une pile «simple» et en la produisant en série.

A priori rien ne s’y oppose. Il reste qu’installer un condensé radioactif isolé sous l’eau au large des côtes d’un pays qui ne connaît pas les spécificités du nucléaire présente un grand risque.

Mais l’idée continue de tracer son chemin dans le milieu de la recherche

Dans un contexte où on cherche à mettre en avant des éner­gies décarbonées pour lutter contre le changement clima­tique, les avantages du nucléaire par rapport aux énergies renouvelables sont bien connus : disponibilité (par opposi­tion à l’intermittence des ENR) et densité de puissance élevée (par opposition au caractère diffus des ENR).

Le petit réacteur nucléaire plaît

L’idée d’un réacteur nucléaire pour ainsi dire «sur roulettes» est particulièrement séduisante dans un contexte post-Fukushima qui a mis en avant les problèmes posés par l’évacuation de la puissance résiduelle dégagée par le combus­tible usé même après la fin de la réaction en chaîne. Dans le cas d’une «pile nucléaire», en cas d’accident grave on ne fait face qu’à un petit cœur qui est donc plus facile à refroidir et à contrôler lors de sa fusion éventuelle.

 
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On sacrifie avec ce type de projet à une mode - partiellement justifiée - de la production électrique décentralisée. Cette mode est soutenue par le monde économique libéral qui désespère de parvenir à faire bouger les antiques masto­dontes de l’énergie. Or, il pense que cette pile nucléaire «à taille humaine» permettrait de s’inscrire dans une logique de marché concurrentiel et de «smart-grid». Cet amour des libé­raux pour le «petit», le «décentralisé» et le «concurrentiel» se retrouve chez les Américains qui sont en pointe dans la recherche sur les SMR (Small Modular Reactors, appelés dans cet article «piles nucléaires»).

On peut imaginer un grand nombre de réacteurs

Un réacteur étant défini par son combustible, son fluide caloporteur et son modérateur, on a toute une panoplie de pro­jets plus ou moins prometteurs. Mais la plupart de ces concepts ont un talon d’Achille.

D’abord, la sûreté nucléaire et la prolifération sont mal contrôlées. Ensuite le coût ramené au MW est d’autant plus élevé que la taille est plus petite. Enfin la dureté du spectre neutronique est trop faible.

La dureté du spectre neutronique se définit par la vitesse des neutrons dans le cœur du réacteur

Si leur vitesse est grande (majorités de neutrons dits rapides de plus d’1 MeV d’énergie cinétique) le réacteur est dit à «neutrons rapides» et le spectre neutronique est «dur». À l’inverse, si les neutrons sont ralentis jusqu’à atteindre l’énergie cinétique des atomes qui les environnent, laquelle définit la température (d’où l’adjectif «thermique») alors le réacteur est dit à «neutrons thermiques».

Les réacteurs électrogènes du monde entier sont quasi exclusivement des réacteurs à neutrons thermiques

Et dans un petit réacteur, il est difficile d’entretenir une réac­tion en chaîne avec des neutrons rapides (à cause des fuites de neutrons qui sortent du cœur en plus grand nombre sans avoir interagi avec un atome fissile ou fertile).

En clair, dans une pile nucléaire à moins d’avoir un combus­tible très enrichi (ce qui pose des problèmes de prolifération), les neutrons sont la plupart du temps trop lents. Et c’est rela­tivement contrariant pour la pérennité de la ressource fissile.

Or, seuls les neutrons rapides permettent de pérenniser la ressource en uranium

En effet, il est bon de rappeler que seul l’uranium 235 est fissionné dans nos réacteurs à spectre thermique (au premier ordre, mais je simplifie) et qu’il ne représente que 0,7% de l’uranium naturel, constitué majoritairement d’uranium 238. Lequel n’est exploitable que bombardé par des neutrons rapides. Le calcul est vite fait : il y un rapport d’en gros 1 à 100 pour la ressource en uranium disponible suivant qu’on utilise ou pas des réacteurs à neutrons rapides. Saluons ici la ténaci­té du CEA qui tente depuis des décennies de convaincre nos décideurs politiques de lancer un programme conséquent de RNR (réacteurs à neutrons rapides) pour prendre la suite de nos bons vieux REP (réacteurs à eau pressurisée, la déno­mination exacte de nos réacteurs nucléaires).

Conclusion

Tout ce qui est dit plus haut conduit à abandonner l’idée de la pile nucléaire modulaire, rentable, flexible et économe en réseaux de transport d’énergie. D’abord pour des raisons de sûreté et de sécurité nucléaire : il est difficile de gérer et de protéger des petites centrales radioactives un peu partout. Ensuite pour des raisons de facilité technique de réalisation dans le cas du fonctionnement en spectre rapide. Et enfin pour des raisons de coût car je ne crois pas que l’effet de série ni d’apprentissage parvienne à compenser l’effet de taille inhérent aux installations industrielles complexes.

Mais on peut compter sur nos amis Russes pour essayer quand même, heureusement (ou pas ?...) ■

 

Auteur

Je suis jeune diplômé de la promotion 2010, Option Génie Atomique, mais ce n'est pas déterminant pour ma carrière.
Je cherche un travail avec une composante technique importante mais qui reste orienté projet et réalisation.
Mon rêve serait de trouver un travail à l'étranger avec une bonne dose d'aventure!
Toutes les idées m'intéressent, n'hésitez pas à vous faire connaître si mon profil vous intéresse.

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