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22 février 2023

Du polar à l’histoire avec un grand H.

Jean-Frédéric Collet (N68)) Interviewe Timothée Roux (P95)

 

À part écrire tu fais quoi dans la vie ?

 Du plastique ! C’est fantastique !

Chez ExxonMobil depuis ma sortie des Mines en 98, je travaille actuellement sur le recyclage du plastique. C’est à dire trouver les sources de déchets les plus avantageuses; développer l’infrastructure industrielle pour traiter ces déchets, les trier, les sélectionner, et trouver le meilleur procédé pour en faire des nouveaux produits. Aussi, il y a tout un travail à faire avec le législateur un peu partout dans le monde pour s’assurer que le recyclage est bien pris en compte dans la législation. On assiste actuellement à une nouvelle « ruée vers l’or », une vague d’investissement et de recherche sans précédent. Cette fois, l’or, c’est le plastique qui est dans nos poubelles !

 "Shangaï 1932": ce qui dans ton parcours ou dans tes réflexions personnelles t'a fait te rétroprojeter dans ce pays et à cette époque ? plus précisément, tes deux années à Shangaï ont-elles directement "nourri" ce livre ?

 Le point de départ de Shanghai 1932 c’est une commande de mon éditeur. Par chance, il avait apprécié mes livres précédents, Asie Afrique et WikiTi, et m’a donc demandé avant de partir de lui écrire un polar sur le Shanghai des années 30. Je me suis attelé à la tâche dès le lendemain, et pendant 18 mois j’ai d’abord beaucoup lu, fait des recherches, et j’ai doucement échafaudé ma structure et développé mes personnages. A un moment, j’ai rappelé l’éditeur pour lui dire que je changeais d’approche, ce n’étais plus « un polar » Shanghai années 30: l’Histoire avec un grand H était bien trop présente pour l’éviter, voire la reléguer en arrière-plan. L’intrigue historique valait toutes les intrigues.

Le deuxième grand choix, ça a été d’écrire Shanghai 1932 comme un journal de bord, au jour le jour, écrivant, pour donner un exemple, le 19 février 2021 les pages correspondant dans le roman au 19 février 1932 et ainsi de suite chaque jour. Ainsi, tous les soirs avant d’écrire, je me suis replongé dans la presse du jour, j’ai visualisé les vidéos du jour, j’ai relu la correspondance diplomatique, et quand c’était nécessaire, j’ai effectué à pied les itinéraires de mes protagonistes. Ce choix d’écriture m’a imposé un tempo contraignant, sans échappatoire, mais m’a aussi donné un accès au tempo de l’Histoire, ainsi qu’un accès à l’émotion de mes personnages.

Cette écriture in situ est bien sûr facilitée par le fait que la Concession Française de Shanghai est admirablement entretenue aujourd’hui et ressemble beaucoup à ce qu’elle était en 1932. Il faut dire aussi que la Covid, en arrêtant tous les avions et en nous bloquant bien souvent dans Shanghai, a recréé des contraintes et une forme de stress qui me rapprochaient de 1932 !

Le lieu et l'époque renvoient à la "Condition Humaine" de Malraux (à la News on ne se mouche pas avec les doigts de pied). Y a-t-il une forme de filiation ?

Oui ! Shanghai 1932 a une double filiation à la Condition Humaine et au Lotus Bleu. D’ailleurs je n’ai pas osé ouvrir ni l’un ni l’autre pendant toute la phase d’écriture et d’édition ! J’avais trop peur de faire un plagiat involontaire ! 

Mais comme dans toute filiation, elle a sa part d’Œdipe, il faut aussi « tuer le père ». Et si j’ai voulu dans Shanghai 1932 garder le côté léger de Tintin et le côté littéraire de Malraux, j’ai aussi voulu apporter plus de véracité. Je me suis interdit les japonais caricaturaux, ainsi que les mélanges entre 1932, 1937 ou 1927. Je voulais qu’un habitant de Shanghai reconnaisse sa ville. Je voulais que l’âme de Shanghai se sente à chaque page.

 Retour à tes sources d'inspiration: quelle articulation avec tes précédents écrits: lepolar WikiTi , la pièce de théâtre sur l'Afrique et l'Asie ?

 Dans chacun des trois cas, les voyages sont la première source d’inspiration. Des voyages au Moyen Orient avant d’écrire Asie Afrique, cinq ans à Houston pour WikiTi, et deux ans à Shanghai pour Shanghai 1932.

L’articulation commune c’est à chaque fois la description de ce qui m’apparaît comme l’élément pivot de l’endroit visité.

Asie Afrique, une pièce de théâtre montée en 2004 décrit le dernier face à face entre les empires islamiques mongoles et maghrébins en 1401, entre le génial homme politique et historien Ibn Khaldoun et l’empereur Tamerlan. Avant c’est la domination des empires musulmans Africains et Asiatiques, après 1401, c’est la domination de l’Europe.

WikiTi, paru en 2015, est une nouvelle dystopique sur le monde de demain qu’il faudrait éviter où la violence deviendrait open source, crée par tous et contre tous. Une nouvelle née de travaux en cyber sécurité et de la disparition du vol MH370.

Enfin, Shanghai 1932 est un roman qui raconte à son tour un moment crucial de l’histoire. C’est le véritable début de la Seconde Guerre Mondiale. C’est le dernier moment d’équilibre entre les chinois Communistes et Nationalistes. C’est le basculement du Japon de l’économie de crise à l’économie de guerre. Avec toutes les puissances occidentales aux premières loges dans les Concessions. C’est un récit suffisamment léger pour être lu relax sans se fatiguer les méninges, mais c’est aussi un livre exact au jour près, pour fournir à ceux qui s’intéressent à la Chine et à Shanghai des grilles de lecture sur les tensions actuelles.

Une question d’opportunité pour finir : as-tu profité de ton séjour à Shanghai pour écrire ce livre, ou avais-tu décidé d’y séjourner dans ce but ? 

 Je suis parti à Shanghai avec ma famille à la suite d’ une opportunité professionnelle. Sur place, écrire Shanghai 1932 a été une formidable motivation pour poser des questions, m’inscrire à des conférences, et flâner dans les rues en essayant d’imaginer ce qui avait pu se passer. Avec du recul, cette aventure littéraire a beaucoup apporté à mon expatriation.

 Timothée Roux (P95)

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