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Prises de parole des jeunes diplômés : anecdotique ou signe d’un changement profond ?
A l’occasion des cérémonies de remise des diplômes 2022 d’AgroParis Tech et de HEC un vent nouveau a soufflé : chacun à leur manière, des étudiants largement applaudis ont dérogé aux usages. Non seulement pour remettre en cause l’enseignement qui leur avait été dispensé, mais surtout pour interroger leur rôle à l’avenir au sujet du changement climatique.
Ils ont été rejoints sous d’autres formes par Sciences Po, Centrale Nantes et Polytechnique, avec des tonalités parfois différentes. A HEC, le formalisme des tenues à l’anglo-saxonne, un anglais impeccable pour l’allocution de Anne-Fleur Goll, 3000 spectateurs enthousiastes, une direction de l’École qui tente d’accompagner le mouvement. Climat plus tendu à AgroParisTech où un orateur parle de « déserter ». A Polytechnique la moitié de la promotion tourne le dos au parrain de la promotion, le PDG de Total, dans le contexte tendu de l’implantation d’une salle Total sur le campus.
Les réactions étaient prévisibles. D’un côté, des frissons émus, une forme d’admiration pour ces jeunes calmes mais déterminés à faire passer un message. De l’autre, on ironise sur ce qui peut passer pour une autopromotion narcissique de privilégiés qui surfent sur un effet de mode.
Regardons de plus près le raisonnement auquel semblent se rattacher ces prises de paroles et que l’on peut retrouver dans le « manifeste étudiant pour un réveil écologique » qui a été signé par plus de 30000jeunes.
1) les engagements individuels ne suffisent pas : à quoi sert-il de se déplacer à vélo, quand on travaille par ailleurs pour une entreprise dont l’activité contribue à l’accélération du changement climatique ou à l’épuisement des ressources ?
2) nous sommes les rouages du système, ce qui fait que le système ne peut fonctionner sans nous ;
3) mais nous ne pouvons pas agir seuls, nous avons besoin d’«embarquer » les décideurs politiques et économiques ;
4) nous ne croyons plus dans le système économique, il faut changer radicalement de trajectoire, il faut bifurquer.
Les temps à venir diront s’il s’agit d’un feu de paille ou d’un signe de changement. Il y a en tous cas convergence avec un mouvement actuel plus vaste, encouragé par les réflexions issues de la pandémie : la recherche plus active d’un sens à la vie, une remise en cause du seul objectif « gagner plus d’argent ». Certains orateurs lors des remises de diplômes mentionnent d’ailleurs l’offre de « salaires indécents »(comprendre : très élevés !) comme une piètre tentative de s’acheter quelques indulgences pour des pratiques choquantes.
Il est d’abord possible que le mouvement s’éteigne, comme beaucoup d’autres par le passé, le combat s’arrêtant faute de combattants. Pourquoi ? Tout simplement face aux contraintes de la vie adulte, le « réel » chassant l’utopie. Au fond Il ne se serait agi que d’un rite de passage, d’un adieu au temps étudiant, que les protagonistes se remémoreraient plus tard, lors de leurs rencontres, avec un mélange de tendresse et d’ironie.
L’hypothèse inverse repose sur les signes, qui se multiplient, et pas seulement chez les jeunes, d’une envie, d’un désir, d’une colère… alors que les discours restent prodigieusement vagues et répétitifs, combinant avec des appels creux, des débats enflammés sur la pertinence des retours en avion pour les clubs de foot ou sur la sobriété écologique – je cite ! – des cérémonies en l’honneur de la reine Elisabeth II.
La question que ces étudiants doivent se poser est : veut-on vraiment aller au-delà des belles paroles et si oui, par quels moyens faisons-nous advenir ce changement que nous souhaitons ? Les réponses sont peu évidentes et complexes. S'agit-il de changer de l'intérieur la gouvernance et la stratégie des entreprises dont ils deviendront des cadres ? Ou plutôt refuser ces carrières classiques et faire complètement autre chose, à rebours du capitalisme traditionnel, à travers des startups innovantes ou des ONG ? Le changement implique-t-il de s'engager en politique, d'influencer celle-ci, ou de créer des impulsions en parallèle du pouvoir institutionnel ?
Certains ont déjà pris en main ce changement et bousculent les règles. Le tout est de savoir s'ils seront isolés ou si ces promotions suivront le mouvement qui deviendra alors générationnel.
Nous entrons dans un paradigme d'instabilité inédit, fait de crises multiples et de cycles de ruptures dans l'ordre établi qui risquent de s'accélérer, de pertes de repères auquel le système politico-médiatique ne répond pas, préférant l'immédiateté et le sensationnel. Dans ce grand chambardement, les bouleversements d'équilibres deviennent plus probables. Et dans ce cadre, les initiatives de rupture ont paradoxalement plus d'avenir que par temps calme.
Alors prenons le pari qu’avec les manifestations des diplômés quelque chose peut commencer.
« Cela a un très joli nom, cela s’appelle l’aurore » disait Giraudoux à la fin de la Guerre de Troie n’aura pas lieu »
Ancien Président de l'Observatoire de la laïcité, Ancien Ministre