- Accueil
- Newsletters
Articles

Forum: l'énergie c'est compliqué
Les questions liées à l'énergie seront centrales dans les années qui viennent.
Le sujet est complexe et a trop souvent donné lieu à des prises de position expéditives ou réductrices, dans un sens comme dans l'autre. Dans la communauté des Mineurs il y a sûrement des compétences en la matière, ou alors c'est à désespérer de nos filières d'excellence :-). Nous avons souhaité, dans la News de janvier, amorcer un forum sur ces questions. Vos contributions nous encouragent à le poursuivre pour le troisième mois. Il ne tient donc qu’à vous que cette rubrique se pérennise.
Vers une électricité de plus en plus chère…
Nous le voyons tous : l’électricité devient de plus en plus chère. Mais pourquoi et jusqu’où ? Face à ces questions, nous pouvons (une fois de plus) constater la pertinence du titre de notre forum : « L’énergie, c’est compliqué… » ; en effet, se cumulent des facteurs de hausse très multiples… La présente contribution va s’attacher à recenser les facteurs essentiels (et d’autres contributeurs apporteront peut-être prochainement plus de précisions…). Elle va ainsi distinguer des facteurs conjoncturels et structurels qui relèvent tous de « l’économie réelle », puis des facteurs que nous pourrions plutôt assimiler à des artefacts politico-juridiques…
- Le secteur électrique connaît des chocs conjoncturels.
De multiples facteurs conjoncturels rendent difficile l’adaptation de l’offre et de la demande d’électricité et poussent à une augmentation des prix : plusieurs pays ont fermé des centrales nucléaires (dont la France avec Fessenheim en 2020) ; à la fin de 2021, 17 des 56 réacteurs français étaient à l’arrêt (à la suite du décalage des opérations de maintenance que la covid a entraîné, ou bien en raison d’opérations apparues nécessaires mais non programmées) ; au sein de l’Union européenne, la production éolienne a connu des baisses marquées (le « facteur de charge », c’est-à-dire le rapport entre l’énergie produite et celle qui aurait résulté de la pleine mise en œuvre de la puissance installée, a ainsi été limité aux environs de 15 % au 3e semestre de 2021, alors que son niveau usuel est voisin de 25 %) ; la sortie de l’épisode aigu de l’épidémie de covid a entraîné dans le monde une demande accrue de gaz et de pétrole, qui sont des « inputs » importants de la production électrique de nombreux pays ; et cerise tragique sur le gâteau, la guerre en Ukraine ainsi que les sanctions et contre-sanctions qui en découlent suscitent une envolée des cours du gaz naturel, alors que 20 % de la production électrique de l’Union européenne dépend du gaz…
- De façon structurelle, il va falloir consentir à des investissements coûteux dans les moyens de production.
La France a eu la chance de disposer pendant des décennies d’une énergie nucléaire qui était remarquablement compétitive dès le lancement des premiers PWR, et dont le coût s’est encore abaissé lorsque les centrales ont été amorties. Les centrales PWR continueront longtemps d’être un atout, puisque leur durée de fonctionnement, initialement prévue égale à 40 ans, devrait être rallongée de 30 ans. Mais ce rallongement suppose un « grand carénage » dont le coût devrait avoisiner 50 Md€…
De plus, la consommation française d’électricité doit augmenter (alors qu’elle était stable depuis 2010, sous l’effet des économies d’énergie et de la désindustrialisation du pays) : la volonté de limiter les rejets de CO2 amène en effet les Pouvoirs publics à vouloir une « électrification » accrue de l’énergie (y compris pour les transports ou le chauffage…). D’où la relance de la construction de réacteurs nucléaires de nouvelle génération, les EPR. Or le premier EPR construit en France, celui de Flamanville, s’avère beaucoup plus coûteux que prévu (près de 19 Md€), et d’après la Cour des comptes, va avoir un coût de production de 110 ou 120 € / MWh (à comparer au coût actuel pour les PWR, soit environ 50 €). Certes, un abaissement substantiel des coûts est assuré pour les futures tranches… mais son ampleur exacte est encore discutée.
Enfin, les investissements dans les énergies renouvelables vont perdurer (notamment l’éolien et le photovoltaïque). Heureusement, le coût de l’électricité ainsi produite est en baisse : l’ADEME a ainsi estimé que pour des éoliennes de dernière génération, le coût d’un MWh était compris entre 50 et 70 €. Mais on ne doit pas oublier que ces sources renouvelables sont intermittentes : avec des coûts comparables, la valeur d’un MWh intermittent (produit quand le soleil ou le vent le veulent bien) est très inférieure à la valeur d’un MWh « pilotable » (produit quand les consommateurs en ont besoin) … En pratique, compter sur les énergies intermittentes suppose un surinvestissement très lourd dans les moyens de production correspondants (à un instant donné, le facteur de charge peut être nul, ce qui tendrait à requérir un parc de production infini…), ou appelle le développement de moyens massifs de stockage (qui aujourd’hui, sont largement une vue de l’esprit, et en tout état de cause seront coûteux), ou enfin exige le recours à des moyens complémentaires de production palliant les intermittences du vent et du soleil (ces moyens complémentaires doivent être pilotables et peu capitalistiques, ce qui amène malheureusement à renforcer le recours aux centrales au gaz ou au charbon…). Le cas allemand apparaît comme un repoussoir : le délaissement du nucléaire, la priorité donnée aux énergies intermittentes et corrélativement, le recours accru au gaz et au charbon, ont débouché en Allemagne sur une électricité presque deux fois plus chère qu’en France (et la production d’un MWh amène en Allemagne 9 fois plus de rejets de CO2…) !
- Les taxes et charges diverses tendent à s’alourdir.
Dans le cas français, on soulignera l’exemple de la « contribution au service public de l’électricité », qui subventionne notamment le développement des énergies renouvelables, la péréquation tarifaire dans les îles et les « tarifs sociaux » : son montant est passé de 3,3 € / MWh en 2003 à 22,5 € / MWh en 2021 (soit une augmentation moyenne de plus de 11 % par an…). Encore cette charge est-elle à peu près connue, puisqu’elle apparaît sur nos factures. Mais d’autres charges sont plus cachées… Limitons-nous ici à l’exemple des « certificats d’économie d’énergie » : depuis 2006, les fournisseurs d’énergie doivent disposer de tels certificats, obtenus notamment en finançant des économies chez les consommateurs ; l’exigence d’économies a augmenté de 17 % en 2022 et représente un coût global supérieur à 5 Md€ par an.
- La concurrence s’avère un facteur d’augmentation des prix.
Ce constat paradoxal résulte du fait que la Commission européenne et la Cour de justice de l’Union européenne, très attachées au développement de la concurrence, tendent à imposer aux États membres un développement des opérateurs alternatifs par le biais d’une régulation « asymétrique » (cf. par exemple « l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique », créée en 2010 en faveur des « acheteurs-revendeurs » d’électricité et évoquée dans une précédente contribution). Dès lors que le développement de la concurrence n’est pas basé uniquement sur les performances intrinsèques des opérateurs mais repose largement sur une volonté politico-juridique, ce développement exige des mesures quelque peu artificielles et multiplie les opérateurs dans des conditions souvent coûteuses pour la collectivité. Au total, on peut arriver à des situations a priori inattendues…
Rappelons par exemple qu’Engie et l’Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (l’Anode) ont saisi le Conseil d’État pour faire annuler les « tarifs réglementés » de l’électricité fixés par le Gouvernement en 2017 et s’appliquant aux ventes d’EDF, parce que ces tarifs semblaient trop bas par rapport aux « prix de marché », confortaient ainsi la position d’EDF auprès des consommateurs et gênaient donc le développement des opérateurs alternatifs ; le Conseil d’État a donné partiellement gain de cause à ces opérateurs, en jugeant que le dispositif gouvernemental était excessif et devait donc être revu.
Enfin, essayons de répondre à cette question : pourquoi la Commission de régulation de l’énergie a-t-elle proposé au Gouvernement français, en janvier 2022, que les tarifs réglementés de l’électricité augmentent de plus de 44 %, alors que les coûts de la production française, qui est basée sur le nucléaire, l’hydraulique et les renouvelables, sont à peu près insensibles aux chocs concernant le charbon et le gaz ? Voici une explication de ce fâcheux mystère : pour donner suite aux arrêts de la CJUE et du Conseil d’État visant le développement de la concurrence dans le cadre de mécanismes européens de marché, le mode de calcul des tarifs réglementés fait jouer un rôle notable aux cours observés sur les marchés de gros de l’électricité ; or ces cours tendent à se fixer sur le coût marginal de production de la centrale qui est la moins compétitive, mais dont le système électrique a quand même besoin pour répondre à la demande (si le cours était inférieur à ce coût, la centrale s’arrêterait et le système électrique ne pourrait plus satisfaire la demande…) ; dès lors, l’envol des coûts de production dans des pays dépendants du gaz et du charbon (comme l’Allemagne) fait augmenter les tarifs français… On notera que face aux calculs de la CRE, le Gouvernement a fait jouer un « bouclier tarifaire » comportant une baisse provisoire des taxes et des marges ; l’augmentation a ainsi été limitée à 4 %. Mais un rattrapage est prévu en 2023…
Au total, nous vivons et allons vivre une fâcheuse conjonction astrale, où de multiples planètes s’alignent pour cumuler leurs effets néfastes et augmenter les prix… Mais nous pouvons essayer de prendre exemple sur Zéphyrin Xirdal, le héros de La Chasse au météore de Jules Verne, qui arrivait à modifier le cours des astres !