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Carrières * Santé au travail Mines de Nancy : les promesses de l'intelligence artificielle pour améliorer la prévention
Les laboratoires scientifiques développent des innovations technologiques qui se donnent pour objectif de perfectionner la prévention en termes de santé et de sécurité des salariés, notamment dans le secteur industriel. Le chien-robot SCAR, développé par l'école des Mines de Nancy, dans le laboratoire souterrain de Bure (Meuse), le 11 mai 2021.
JEAN CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP Lorsque des accidents surviennent en entreprise, les comptes-rendus sont souvent rédigés de façon spontanée, sans formatage. Des propos libres qui apportent de nombreuses précisions, une richesse contextuelle, mais ont leur revers : ils sont très difficiles à exploiter. Une problématique que des outils d'intelligence artificielle (IA) pourraient pallier, forts de leur capacité à faire ressortir d'une masse textuelle récurrences des signaux faibles. L'IA peut-elle être un atout pour la santé et la sécurité des travailleurs ? C'est ce que pensent aujourd'hui nombre de scientifiques, qui observent le potentiel croissant de solutions technologiques et les perspectives prometteuses qu'elles dessinent pour la prévention en entreprise. « Les avancées sont impressionnantes , note Martin Bieri, chargé d'études au sein du laboratoire d'innovation numérique de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).
Dans des organisations qui comptent des métiers à risque, où l'on observe beaucoup d'accidents, l'IA peut être une aide précieuse pour exploiter les données et mieux comprendre la multiplication d'incidents. » Des solutions sont d'ores et déjà déployées dans certaines d'entre elles, comme le logiciel Plus de la société Safety Data – Omnicontact. Il doit « améliorer la sécurité grâce au traitement automatique de données textuelles et faire office d'aide à la décision » , explique l'une de ses salariés, Céline Raynal. D'autres outils ambitionnent de surveiller en temps réel les espaces de travail et leurs occupants, dans le seul but déclaré de les sécuriser, et de lancer une alerte si un danger est repéré. Certaines sont déjà déployées dans des organisations, comme les caméras embarquées sur véhicule de chantier Blaxtair, qui permettent de détecter des piétons grâce à un système de reconnaissance de personnes. D'autres sont encore à l'état de test, mais pourraient trouver leur place dans les entreprises dans la décennie qui vient. C'est le cas des équipements connectés capables de mesurer et de transmettre des données biométriques du salarié (la fréquence cardiaque, par exemple) et des positions articulaires. « L'IA sera en capacité de donner l'alerte sur la fatigue d'un travailleur en combinant l'analyse de différents paramètres , explique Timothée Silvestre, chargé de prospective au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). L'enregistrement de certains mouvements ou du cumul de poids portés pourront par ailleurs être réalisés avec des capteurs portés, afin de prévenir des risques pour le corps du salarié, notamment de troubles musculosquelettiques. » Enfin, des solutions de robotique recourant à l'IA suscitent également l'intérêt des chercheurs, en poursuivant deux objectifs. Le premier : permettre aux salariés de bénéficier d'une assistance pour les épauler dans l'exécution de certaines tâches. Des robots collaboratifs œuvrent à leur proximité afin de les délester de différentes opérations (port de charges…). « Grâce à leur polyvalence et leur facilité de programmation, ils vont progressivement ne plus se cantonner aux grosses unités de production, explique Michaël Sarrey, responsable d'études à l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS). Ils vont investir de nouvelles structures, des boulangeries par exemple, ainsi que des PME de l'industrie.
A l'horizon 2035, ils assureront des petites tâches, répétitives ou exigeantes pour les corps, le transport de pièces par exemple. Cela permettra d'améliorer les conditions de travail. » Deuxième axe de ces recherches futuristes en robotique : limiter la présence des salariés dans des espaces de travail jugés à risque, les environnements radioactifs par exemple. « Ce type de mission est confié à des robots dotés de capacités de réaction et de représentation de leur environnement immédiat. Ils mèneront sur place les observations et les captations de données nécessaires » , poursuit M. Sarrey. Certaines expérimentations sont menées en ce sens. L'une d'elles est conduite par l'école des Mines de Nancy, en collaboration avec l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra). Ainsi, SCAR, un robot aux allures de chien est au cœur de ce test. Grâce à l'IA, il est capable de se déplacer en s'adaptant au terrain, à travers les tunnels du laboratoire souterrain de Bure (Meuse). « Il possède de nombreux capteurs qui lui permettent de collecter des informations sur les galeries (état des parois, déformations, risques de chute de blocs rocheux…), là où il peut être dangereux de se rendre » , résume Loïck Briot, responsable intelligence artificielle et développement logiciel à Mines Nancy. Un tel robot pourrait dans le futur être utilisé dans nombre de terrains risqués (milieux confinés, potentiellement pollués…).
Des solutions d'IA en devenir pourraient ainsi favoriser la sécurité et la santé des salariés. Mais une grande incertitude demeure : se déploieront-elles sur le terrain ? Sur le sujet, rien n'est joué d'avance, préviennent les scientifiques. « Ce n'est pas parce qu'une technologie est mature qu'elle est adoptée , rappelle M. Silvestre. Il faut qu'elle rencontre son marché, des besoins utilisateurs et qu'elle soit acceptée par les opérateurs. » Une acceptation qui s'avère essentielle et nécessite, en amont, un vrai travail d'échange. C'est tout particulièrement le cas pour les robots collaboratifs : leur intégration peut entraîner des risques psychosociaux si l'accompagnement des équipes n'est pas mené avec attention. Au-delà, la question des finalités de l'innovation et des modalités de son déploiement se pose. Lorsqu'ils évoquent les promesses de ces solutions, les chercheurs les assortissent de nombreux points de vigilance. Parmi eux, le risque d'une mise en sommeil de politiques de prévention à l'échelle des organisations, d'une déresponsabilisation individuelle ou collective, voire d'un détournement de certaines données par les organisations, afin de mesurer par exemple la performance des salariés. Des garde-fous doivent être pensés préventivement, assurent les scientifiques. Car comme le résume M. Bieri, l'innovation technologique « reste un outil. Tout dépend ce que l'on en fait ».
Article paru dans le Monde du 25/01/23
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